Gaudin pousse le dauphin Mennucci à s'échouer sur la plage

Gaudin pousse le dauphin Mennucci à s'échouer sur la plage

Cravate violet "évêque" sur chemise mauve. Ton sur ton. Gaudin s'était habillé ce matin à la Manuel Valls. Le flash-ball chargé sous la table. Après la longue et cruelle série de dimanche soir humiliants pour son camp, entre présidentielle et législatives, le conseil municipal de ce matin, le premier depuis le 6 mai, était très attendu. Et au lendemain de ces douloureuses défaites pour la majorité municipale, chacun imaginait de terribles chicayas entre muselieristes, gaudinistes et teissieristes, sous les yeux d'un Gaudin chiraquisé.

Mais comme souvent à Marseille les choses ne se sont pas exactement passées comme prévu. Et Gaudin, entré sur la pointe des pieds, est ressorti par la grande porte de la salle Bargemon, après avoir tendu un beau traquenard à son ennemi politique numéro 1, Patrick Mennucci et mis du coup à feu et à sang les socialistes marseillais et leurs alliés. Bien joué l'artiste. Il faut toujours se méfier des grands fauves blessés. Récit.

"J'aurai du mal à faire nommer les marins du César amiraux"

La matinée avait pourtant mal commencé. Les micros ne fonctionnaient pas. "Ce n'est pas possible que même ça, on n'arrive pas à le faire marcher", pestait Jean-Claude en direction de son fidèle directeur général des services, Jean-Claude Gondard. Après un hommage sous forme d'une minute de silence aux récents élus disparus Didier Garnier et André Varèse, Gaudin a fait le service minimum sur les législatives félicitant les élus et les réélus, et assurant de "toute (sa) considération et de toute (son) amitié " les députés battus.

C'est facile : à Marseille il n'y en a qu'un et il s'appelle Renaud Muselier. Son dauphin qui avait (un peu) montré les dents ce week-end dans Marianne déclarant que Gaudin "n'avait mobilisé personne dans son camp et qu'il s'en mordait les doigts". Rien de bien méchant non plus. 300 rapports étaient donc au programme de cette matinée estivale.

On commençait à s'ennuyer ferme avec le vote du bilan financier pour l'année passée, le "compte administratif" en langage de haut-fonctionnaire municipal, où on a assisté au traditionnel échange de fond de court entre l'adjoint aux finances, le banquier Jean-Louis Tourret aka "notre gestion financière est exemplaire" et son opposante socialiste Nathalie Pigamo forcément pas d'accord : "Ce n'est pas exactement ce que disent les agences de notations". Pour nous garder éveillés, deux ou trois habituelles gaudinades, notamment autour de la remise en service du César : "J'aurai du mal à faire nommer les 2 pilotes amiraux". Business as usual.

Le trou normand de Gaudin

Et avant que tout le monde ne somnole définitivement en tribune de presse, le trou normand est arrivé. Et c'est Gaudin qui rince. La tournée du patron. L'enjeu, c'est l'avenir de la plage des Catalans. On le sait deux projets s'affrontent. A ma droite le projet Gaudin qui est d'installer un bel hôtel-thalasso-les-pieds-dans-l'eau en lieu et place de l'ancienne usine de sucre Giraudon, qui est aujourd'hui installée à Vitrolles, avec une promesse "d'au moins 100 emplois à la clef". Un promoteur catalan de Perpignan (ça ne s'invente pas), un dénommé Monsieur Farine (ça ne s'invente pas non plus) a déjà versé 5 millions d'euros pour racheter l'usine désaffectée et monter l'opération. Mais depuis 2008, date du deal, l'opération est bloquée. Les riverains sont vent debout mais Gaudin les regarde de haut :

une vingtaine de rouges manipulés par le conseiller municipal communiste élu du 7e Christian Pellicani et par Patrick Mennucci, maire du secteur

Si la majorité n'a jamais rien lâché, elle a en revanche accepté de diminuer la hauteur du futur hôtel "qui ne sera pas plus haut que le toit du Cercle des Nageurs" comme l'a indiqué perfidement Yves Moraine, porte-flingue de Gaudin, au nouveau député socialiste qui est un des illustres membres du prestigieux club de natation et de water-polo.

Et à ma gauche justement pour les opposants au projet, construire un hôtel aux Catalans serait un désastre écologique :

vous n'allez pas bétonner les derniers mètres carrés du littoral marseillais.

Pour la majorité Gaudin, c'est "l'hôtel ou rien, nous n'avons pas les moyens de faire autre chose, notamment un projet public". "5 millions d'euros le terrain de boule, ça fait cher le carreau", concluait tout en finesse Yves Moraine. Mais pour arriver à ses fins, Gaudin doit d'abord faire modifier le PLU (plan local d'urbanisme) de sa ville, en autorisant donc la construction de l'hôtel, puis le faire voter à MPM, car c'est la communauté urbaine qui décide in fine. Du coup, c'est à Eugène Caselli, le président de MPM que revient l'agréable décision d'avoir à trancher entre le projet Gaudin et le projet Mennucci.

Le plus simple dans ces cas-là étant de ne rien décider du tout, le président Caselli va tenter de s'en sortir en indiquant que traditionnellement, en matière de PLU, MPM suit les décisions des  maires. Il suivra le vote de la ville de Marseille, mais ne pourra pas prendre lui-même part au vote "ni ne fer(a) connaître son avis personnel sur la question". Eh, eh. Une position qui ne fait pas les affaires de Patrick Mennucci, mais, comme les 2 hommes sont de plus en plus en concurrence pour 2014 – ce qui n'a évidemment pas échappé à Gaudin – Eugène et Patrick ne se feront plus aucun cadeau. Le député Mennucci sait tout ça, et a donc décidé d'aller jusqu'au bout et de gagner la guerre des Catalans, y compris contre Gaudin et son allié de circonstance Caselli :

De toute façon, même si vous votez pour, je m'opposerai à ce projet, mes recours sont déjà prêts

Une conclusion en forme de menace que Gaudin a reçu cinq sur cinq, lui qui sait aussi que Delphine Batho, la nouvelle ministre de l'Environnement est proche du maire du 1/7. Ça peut toujours servir. Du coup, le sénateur-maire de Marseille a fait mine de s'énerver, "ça suffit avec ces menaces" et a sorti son missile sol-air : "Puisque c'est comme ça nous allons voter et à bulletin secret". Et là, le Jean-Claude, il joue sur du velours.

Le dauphin Mennucci s'échoue sur la plage des Catalans

Le piège se referme sur le pauvre Mennucci. Car voter à bulletin secret pour ou contre ce projet aux Catalans, c'est aussi voter pour ou contre Mennucci et permettre aux socialistes de se compter. Mais au grand jour. Et bien évidemment, le coup était monté. "J'espère que c'est bien préparé", glisse Gaudin à son secrétaire général alors que les micros (décidément) ne sont pas encore coupés. En deux temps trois mouvements le vote à bulletin secret est donc organisé avec Jean-Claude à la manoeuvre. "Samia Ghalli donne une procuration à Patrick Mennucci" et "Annick Boët à Eugène Caselli". Du grand art. Machiavel et Sun-Tzu peuvent aller se rhabiller. Résultat des courses, le projet des Catalans est adopté par 69 voix pour, 30 contre, une abstention et le "ne prend pas part au vote" d'Eugène Caselli.

Comme l'opposition a 49 élus au conseil municipal que les élus Modem, EE-LV et PC ont tous annoncé voter contre, pas besoin d'avoir fait Sciences-Po pour comprendre qu'une majorité de socialiste (17/15 selon nos calculs à la petite semaine) n'ont pas suivi Patrick Mennucci, leur propre patron de groupe. Un chef forcément déstabilisé qui tentait de minimiser la portée du désaveu en voulant croire à des dissidences écolos. Et surtout accusait Jean-Noël Guérini (qui a lui fait adopter tranquillement son compte administratif moins les "trois abstentions habituelles") d'avoir monté le coup avec son complice Gaudin.

Quelques socialistes  marseillais, comme Antoine Rouzaud (qui est en l'occurence radical), ont assuré après coup leur camarade sonné de leur profond soutien en mode "on a voté pour toi, tu peux nous faire confiance" . Forcément. Christophe Masse y allait même d'un tweet en mode grand sage.

Sur ce coup de maître, le conseil municipal s'est terminé rapidement. Comme disait Muselier, il faut faire attention quand on est un dauphin, on risque souvent de finir échoué sur une plage. Surtout à Marseille.