Estrosi et Maréchal-Le Pen se disputent l’original et la copie

Actualité
le 4 Nov 2016
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Refus des centres d'accueil des migrants de Calais, retrait de subventions aux associations d'aide aux immigrés, soutien aux forces de l'ordre, patriotisme économique régional... En marge du débat d'orientation budgétaires, la majorité de Christian Estrosi et son opposition frontiste se sont disputées pour savoir qui court après qui.

Estrosi et Maréchal-Le Pen se disputent l’original et la copie
Estrosi et Maréchal-Le Pen se disputent l’original et la copie

Estrosi et Maréchal-Le Pen se disputent l’original et la copie

“Oui kollabo, avec un k !” Dès la première demi-heure de la séance plénière, les rangs du FN s’échauffent contre Christian Estrosi, lequel demande aux scripts de veiller à porter ces noms d’oiseaux sur le procès-verbal. Dans la foulée, le président du conseil régional renvoie l’élu frontiste Philippe Vardon à son statut de condamné à six mois de prison ferme, malgré son appel de la décision. Lequel s’empresse de réclamer un rappel au règlement pour dénoncer cette attaque personnelle. “Vous pourrez faire votre rappel à la fin de la séance, comme le veut le règlement”, répond Christian Estrosi avant de passer à la suite de l’ordre du jour.

Depuis le début de la mandature en décembre 2015, vieux dossiers, menaces de procédures et suspensions de séances rythment les débats entre la majorité de droite au conseil régional et son opposition d’extrême-droite. “Si vous n’avez pas tout compris, on vous enverra une version à colorier”, lance plus tard le vice-président LR Julien Aubert à Amaury Navarranne, frontiste tout juste trentenaire qui s’offusque de ce “mépris”.

Unanimité répétée

Dans son intervention sur les orientations budgétaires 2017, l’un des dossiers majeurs du jour, Amaury Navarranne a pourtant accordé çà et là des bons points à l’exécutif en place. Certes, il accuse Christian Estrosi de “godiller, un coup à droite, un coup à gauche”, pour “donner des gages à la gauche qui [l’a] fait élire”. Mais il trouve “des axes intéressants” dans la politique économique menée et se félicite de la “barre à droite” sur la politique culturelle faisant la part belle “à nos racines, à nos identités. C’est un chemin où vous le savez vous nous trouverez à vos côtés.” En juin, Christian Estrosi avait inversement remercié Philippe Vardon de son intervention sur “les langues et cultures régionales”, force citations de félibres à l’appui.

De fait, passés les esclandres inauguraux, le groupe Front national a voté de nombreuses délibérations proposées par la majorité Estrosi : réforme du temps de travail des agents régionaux, nouveau cadre de la formation professionnelle poussant les organismes à atteindre un taux de retour à l’emploi de 70 %, réduction unilatérale du montant versé à la SNCF pour les TER et même la “contribution régionale à la sécurité intérieure”. “Ce sont des mesures positives que nous voterons, même si elles ne vont pas assez loin, se dispersent parfois et ne traitent que les conséquences des difficultés”, a annoncé Sophie Grech, conseillère FN.

Même approbation pour le “small business act” à la sauce provençale, introduit avec lyrisme par Christian Estrosi :

La préférence régionale n’est pas un interdit, c’est une exigence. Là où les idéologues de la libre-concurrence à tout prix et les eurosceptiques se retrouvent finalement pour prétexter des règles européennes et trouver toutes les bonnes raisons de ne rien faire, nous sommes décidés à agir.

Une orientation, “directement inspirée par le projet économique que nous défendions pendant la campagne. Mais ce n’est que l’ébauche d’un plagiat”, a commenté Franck Allisio (FN). “Vous nous faites le coup du suivisme !”, a grincé le président. Et chaque camp de brandir les extraits de ses tracts de campagne pour appuyer ses propos…

Retraits de subventions

Mi-temps, pause-déjeuner, et conférence de presse du groupe FN. Marion Maréchal-Le Pen ironise sur la “duplicité” de la droite qui a “toujours défendu au niveau européen l’interdiction de la préférence nationale”, même si “la préférence régionale d’Estrosi” est avant tout économique. Et Philippe Vardon ouvre un nouveau front : “Suite à notre intervention en commission de la vie associative il y a une dizaine de jours, 80 000 euros de subventions à des associations immigrationnistes (sic), alors défendues bec et ongles par la vice-présidente Sonia Zidate, ont disparu”. Une nouvelle preuve pour lui de l’influence de sa formation politique :

Ils n’ont pas le droit à l’erreur, nous ne laissons rien passer. Nous serions allés expliquer sur les territoires où les conseillers régionaux sont élus, où ils sont maires, qu’ils ont voté 80 000 euros de financement pour ces associations.

Informé de ces propos, l’entourage de Christian Estrosi tente de retourner la version frontiste : “Le tableau des subventions que l’on vous a communiqué était le listing complet, avant arbitrage du cabinet et des élus. Ce que le FN prétend avoir réussi à faire retirer, c’est précisément les suppressions que nos équipes ont arbitrées.” Une présentation étonnante au vu des rouages habituels de la machine régionale. Mais retenons que la majorité Estrosi revendique le retrait de subventions à des associations sur des actions d’accès au droit, de lutte contre les discriminations, de soutien à l’intégration… “Ce sont des arbitrages au regard de nos orientations politiques et de nos priorités”, euphémise-t-on.

À jamais les premiers

Ce petit jeu de la primeur des mesures a culminé avec les motions, des textes d’interpellation sans valeur réglementaire qui arrivent traditionnellement en fin de séance. En l’occurrence, les deux groupes ont eu successivement les mêmes idées : s’opposer aux centres d’accueil ouverts par l’État après le démantèlement de la jungle de Calais d’un côté et de l’autre affirmer leur soutien aux forces de l’ordre.

Plus tôt, en conférence de presse, Marion Maréchal-Le Pen s’était réjouie de voir la majorité reprendre ses motions :

Elles sont quasiment identiques, en un peu plus soft. Aujourd’hui, Christian Estrosi est acculé. Voyant que nous sommes devenus incontournables, que nous sommes une opposition vigilante et constructive, il se sent obligé de reprendre nos propositions, voire de les plagier.

Réplique immédiate, un attaché de presse de Christian Estrosi était posté à la sortie de la salle pour distribuer une version imprimée d’une dépêche AFP datée du 13 septembre où il dénonce la création de “micro-jungles de Calais” dans la région. “J’étais à mon poste, réaffirmera à la tribune le président. Sur chacune de nos initiatives vous vous sentez obligés de courir derrière et vous vous essoufflez.”

À jamais les premiers sur les thématiques sécuritaires et d’immigration ? Celui qui se présentait dans l’entre-deux tours des régionales comme un “résistant” a tenu à marquer une “rupture” entre son parti et le FN. “Vous n’avez pas un mot pour les réfugiés éligibles au droit d’asile, pas un mot pour les chrétiens d’Orient qui se font massacrer par des barbares. La réalité, c’est que vous confondez tout, les clandestins et les réfugiés, que vous appelez migrants”, a-t-il martelé.

L’original et la copie

La réalité, c’est aussi que la motion LR contre l’établissement de “mini-jungles de Calais”, défendue par Pierre-Paul Léonelli évoque pêle-mêle “12 000 clandestins”, affirme à tort que le coût des centres d’accueil serait supporté par les communes et soutient le droit d’asile à condition que les demandes “soient désormais formulées dans le pays d’origine”. Dans ce contexte, Marion Maréchal-Le Pen a attaqué sur le silence de nombreux élus des communes concernées par ces centres d’accueil, dont Caroline Pozmentier et Nora Preziosi à Marseille. “En réalité il y a une vraie ligne de fracture au sein de votre parti.”

Au final, après avoir participé à l’adoption de la motion Léonelli et vu la sienne rejetée, la présidente de ce groupe de 41 élus – contre 82 pour la majorité – s’est dite “contente de sa journée”. De son côté, Christian Estrosi a conclu la séance comme il l’avait ouverte, en insistant sur les “méthodes sales” de son opposition et en traitant Philippe Vardon de “délinquant multi-récidiviste”. Mais au terme de ce corps-à-corps troublant, il doit au moins reconnaître la paternité du FN sur un point : son appel de ce jeudi à “préférer l’original et surtout pas la copie” est directement emprunté à Jean-Marie Le Pen…

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Commentaires

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  1. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Très beau concours d’abjection entre la droite et l’extrême-droite, dans cette enceinte où elles ont le champ libre pour dire et faire n’importe quoi.

    M. Estrosi a bien fait de se prétendre “plus social que les socialistes, plus écologiste que les Verts” et d’affirmer qu’il n’a “aucune valeur en partage” avec le FN (http://www.marianne.net/estrosi-soudaine-strategie-dedroitisation-100237875.html) : comme d’habitude, entre les discours et les actes, il y a un précipice.

    Mais il a raison sur un point : entre l’original et la copie, l’électeur d’extrême-droite préfère l’original. Et en légitimant ses fantasmes, comme son compère le vulgaire Ciotti, qui se “réjouit” (sic) de n’accueillir aucun réfugié dans les Alpes-Maritimes, il ne combat pas le FN, il le rend fréquentable.

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  2. Blaah Blaah

    On vous l’avait bien dit en décembre dernier, que voter à l’extrême-droite pour faire barrage à l’extrême-droite, c’était un peu limite sur le plan de la cohérence.

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    • mrmiolito mrmiolito

      alors ça c’est cruel… (mais plutôt vrai avec le recul) : voir ma réponse plus détaillée infra svp ?

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  3. julijo julijo

    Personne n’est franchement surpris !!! et on se fiche vraiment de savoir qui est ou n’est pas…à l’initiative de telles belles idées. On éprouve (en tout cas, moi, je) une certaine honte à avoir des représentants du peuple de cet acabit.

    Et puis oh, un peu de patience…..le PS réfléchit !!!!!

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  4. mrmiolito mrmiolito

    Voilà qui me conforte, s’il en était encore besoin, qu’en décembre dernier, j’ai voté pour la toute dernière fois de ma vie, au 2e tour des régionales en l’occurrence, “utile pour faire barrage à l’extrême-droite”.
    Il est vrai que la seule nuance que j’avais trouvée à l’époque (pour me décider à y aller) était l’affaire des “points rouges sur fond blanc”, autrement dit le risque d’une destruction systématique de la culture par le FN.
    Une différence de programme réelle, mais bien mince hélas, uand on voit la convergence par ailleurs sur des idées de repli égoïste et nauséabond, où il n’y a pas une feuille de papier à cigarette entre LR et FN locaux…
    en tant que provençal (d’adoption moi aussi) je veux clamer haut et fort (comme julijo) ma honte que notre région, terre d’accueil historique depuis l’antiquité, soit représentée de cette façon-là…

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  5. Philippe Cahn Philippe Cahn

    J’ai créé une pétition pour dire que la majorité des citoyens désapprouve cette attitude révoltante. J’ai créé cette pétition afin que l’on puisse entendre cette majorité silencieuse. On peut la signer sur change.org ou trouver le lien sur ma page facebook (philippe cahn)

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  6. VitroPhil VitroPhil

    Cet article fait bien sur echo à celui sur la conférence consultatives.
    Conclusion les deux assemblées la IN comme la OFF dysfonctionne les partis de droite comme de gauche ont perdu leurs boussoles et nous offrent un spectacle navrant voir écœurant.

    Cependant, si je pense partager ce constat avec les commentateurs précédents les conclusions tirées m’inquiètent sérieusement.

    On ne peut pas croire que si les résultats électoraux avaient été inverse (et conforme aux prévisions d’entre deux-tour) la situation serait similaire.

    Elle serait bien pire ! Les changements concrets seraient bien plus radical qu’une réductions de 80 000 euros pour des associations aidant les immigrés…

    Nous aurions une démolition en règles des actions d’entraide, de la culture.
    Nous aurions sans doute l’abandon de tout projet pas assez “national” voir “provençal”.
    Une honte que nous devrions toutes et tous porter.

    Pour ma part, je reste soulagé que la gauche est pris ses responsabilités et que contre tout attente, il y ait eu une mobilisation pour barrer la route au FN.

    Bien sur,cela ne fonctionnera pas éternellement il faudrait autre chose mais en attendant une offre politique saine et crédible a construire, le vote “contre” est encore la manière la plus pragmatique d’éviter le pire.

    Entendu ce soir de la bouche de Julien Bayou : “quand tous les dégoûtés s’en vont il reste les dégoûtants” . Il parlait de l’engagement politique mais cela vaut également pour les électeurs de base.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Votre avis rejoint celui-ci : https://twitter.com/OnZeLeft/status/794676814136360961

      J’aimerais bien le partager, et il est sans doute tout à fait fondé aujourd’hui. Mais pour combien de temps encore ? Il me semble que les digues entre l’extrême-droite et la droite, dans notre région en particulier, sont bien fragiles. Et quand la droite, sous couvert d’être un “rempart” contre le FN, se contente de dupliquer son discours, où s’arrêtera-t-elle ?

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