Eau publique au privé : décryptage d'un débat très bas

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le 20 Mai 2011
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« Ce qui me choque dans ce débat, c’est cette vision dogmatique des choses. Ils ont décidé que l’on devait passer en régie coûte que coûte ». Tout comme Eugène Caselli, président socialiste de Marseille Provence Métropole (MPM) qui vient de déclarer sa préférence pour le maintien d’une délégation de service public (DSP) pour la gestion de l’eau et de l’assainissement, Martine Vassal (UMP), qui dirige la commission de MPM chargée du dossier, joue la carte de la rationnalité face à l’idéologie.

Et de fait, « ils » – les militants associatifs et surtout les partis (Front de Gauche, Europe Ecologie-Les Verts) – ont souvent répété qu’il s’agissait « avant tout d’un choix politique ». Mais les arguments avancés pour le recours au privé sont-ils pour autant aussi solides que la belle quasi-unanimité de l’Agora du Grand Marseille organisée par Renaud Muselier, chef de file de l’UMP à MPM, l’a laissé penser ? Peut-être pour certains. Mais certainement pas pour de nombreuses justifications lancées jeudi. « Des ânes », a osé Michèle Poncet-Ramade, présidente du groupe Europe Ecologie-Les Verts (EELV) au conseil municipal. Tour d’horizon, par ordre croissant de pertinence, des contre-vérités, omissions, exagération… et quelques vrais enjeux.

Un lien Trio de haut vol

Ca se bousculait pour ouvrir le bal, donc on vous les livre à la volée. L’argument d’habitude, décoché par Martine Vassal : « vous êtes satisfaite de votre régie Mme Le Strat (présidente d’Eau de Paris, ndlr) depuis un an et demi, nous ça fait 67 ans qu’on est satisfait par le privé ». Dormez braves gens.

L’argument classique anti-fonctionnaires, osé par Monique Cordier, présidente de la confédération des CIQ et auto-proclamée « usager lambda », qui s’est finalement dite satisfaite par le service offert par le privé : « quand vous avez une conduire qui éclate en pleine nuit, il faut une intervention rapide, et pas quelqu’un qui me dise « je fais les 35 heures ». Le reste (DSP, régie) m’importe peu ».

Dans la même veine, l’argument grèves, brandi par Martine Vassal : « malheureusement, à Marseille, on a de mauvaises expériences avec la régie, que ce soit dans la propreté, et Eugène Caselli en sait quelque chose, ou à la RTM avec la grève perlée que l’on a en ce moment ». Bien vu le petit clin d’oeil aux affaires sur les déchets, mais il nous avait plutôt semblé que la grève dont on soupçonne Alexandre Guérini d’être à l’origine était menée par Bronzo, filiale… de la Société des Eaux de Marseille. Et que plus largement les déboires d’Eugène Caselli et de nombreuses grèves du secteur concernent l’attribution des DSP. Et puis, imaginer que des syndicats d’une régie des eaux coupent les robinets et assoiffent la population pour faire pression, même Le Point, grand casseur de dockers CGTistes, ne l’aurait pas imaginé…

Un lien Les fiches de la Sem

Venons en au président de MPM qui, tout à sa justification de son choix, s’est au fil de son discours transformé en véritable VRP de « l’expertise » de ces sociétés : des centres d’appels qui répondent en six secondes, un contrôle de 650 équipements à distance… Avec, coïncidence troublante, des arguments reprenant ceux traditionnellement employés par la Sem. Exemple, cette pique empruntée à Loïc Fauchon, PDG de la Sem : Eau de Paris est tellement publique qu’elle à besoin de son entreprise pour assurer son service. Ce qui a fait bondir Anne Le Strat, qui a rappelé qu’il ne s’agit que d’un logiciel (en l’occurence Wat.erp qui gère la relation client, la facturation etc.).

Mais, elle qui se félicitait d’avoir « enfin un vrai débat » notamment avec Loïc Fauchon pour « rétablir quelques vérités » s’est heurtée à la machine « Agora du Grand Marseille », taillée sur mesure pour le squeezer. Pas l’occasion donc, par exemple, de rappeler qu’une régie peut effectivement faire appel au privé, mais seulement quand elle le souhaite (dans ce cas-ci car il est inutile de développer un logiciel juste pour 93 000 abonnés) et avec une mise en concurrence qui permet d’éviter la tendance des grands groupes à faire bosser leurs filiales qui peuvent éventuellement charger la barque…

L’autre tilt pour qui a assisté à des prises de paroles des envoyés de la Sem aux débats, comme à celui organisé récemment par Le Ravi« 130 personnes à la communauté urbaine travaillent toute l’année pour contrôler uniquement la Sem et la Seram », a assuré Eugène Caselli. Contrairement à ce que répètent militant et Chambres régionales des comptes qui dézinguent l’opacité du secteur, tout serait sous contrôle ? 130 agents derrière les tuyaux et les lignes de comptes, alors que la Sem emploie 800 salariés sur le contrat de Marseille (dixit Martine Vassal, là aussi il n’est pas dit que la barque ne soit pas chargée) ? Le chiffre est, c’est le cas de le dire, un peu gonflé puisque la Direction eau et assainissement est aussi maître d’ouvrage de travaux (pour des montants supérieurs aux délégataires comme le montre le dernier rapport annuel), emploie des administratifs, s’occupe aussi des deux régies de MPM…

Un lien Merci qui ?

On reste avec Eugène Caselli, avec un triptyque : la « qualité actuelle, probablement la meilleure de France », la « sécurité des approvisionnements, ce qui veut dire des investissements lourds, et c’est pour ça que le délégataire doit faire des bénéfices », et le prix de l’eau, « au dessous de la moyenne nationale » (3,39€/m3 contre 3,06 à Marseille, chiffres 2008). Des investissements répercutés intégralement sur la facture, comme le ferait une régie, oublie de préciser Eugène Caselli. Et des bénéfices qui sont effectivement corrects : 15 millions d’euros avant impôt pour la Sem et environ 2 millions pour la Seram.

Surtout, reste à savoir ce qui explique cette qualité, sécurité et ce faible coût. Qui est d’ailleurs très relatif puisque la moyenne nationale ne veut en l’espèce rien dire, celui-ci dépendant largement des conditions locales. Mieux vaut donc, pour établir des comparaisons, se rapprocher géographiquement, avec par exemple 2,96€/m3 de moyenne en Paca (2,22 pour les régies d’intercommunalités). Autre nuance sur le coût, et non des
moindre : « on a de l’eau très simple à capter puisqu’elle vient des canaux de Provence et de Marseille, il y a des gens qui extraient dans des nappes phréatiques, des rivières, de l’eau qui demande beaucoup de traitements. C’est une eau qui ne doit pas être chère », réagit Michèle Poncet-Ramade. L’étendue du réseau marseillais, une possible vétusté intervient-elle dans ce coût ? Il faudrait alors pour discuter sereinement chiffrer cela.

En tout cas, les Marseillais devraient encore profiter des investissements de Maximin Consolat et de nos glorieux ancètres qui, comme nous l’a rappelé professeur Gaudin live from London, ont décidé d’amener l’eau de la Durance et du Verdon « coûte que coûte ». Ce qui vaut aussi, on l’a compris, pour la qualité et la sécurité des approvisionnement, les Alpes étant indirectement notre « château d’eau », comme l’a rappelé un conseiller d’Etat. Bien moins sujet aux sécheresses qu’une nappe phréatique, même si également touché par le réchauffement climatique…

Retour de Martine Vassal, plus en forme que sur les grèves, avec le transfert des salariés des délégataires, qui devrait plomber les comptes de la collectivité. « Leurs rémunérations ne sont absolument pas celles du barème de la fonction publique », mais meilleures, et la loi oblige à les reprendre dans les mêmes conditions. « Vous pensez que les agents de MPM vont accepter cela ? » Effectivement, la question sociale est l’une des plus lourdes à régler. Mais « ils ne deviendront pas des agents de MPM mais des salariés de la régie », rectifie Michèle Poncet-Ramade. Tout comme les chauffeurs de bus ne sont pas au sein de la direction des Transports de MPM.

Un lien Droit d’inventaire

Idem lorsqu’il justifie le choix « par une raison locale d’abord » : MPM est pauvre et endettée et « passer en régie cela a un coût car il faut acheter les actifs du délégataire ». Effectivement, les compteurs, pour lesquels Eau de Paris – nouvelle régie de la capitale, a dû débourser 18 millions d’euros, ou encore les camions sont propriété de Veolia et Suez. Mais les canalisations, ou les stations comme la Géolide, « ont été payés par les Marseillais, on n’a pas à les racheter », s’étrangle Michèle Poncet-Ramade.

En entendant Eugène Caselli, la présidente de la récente régie Eau de Paris Anne le Strat est sortie du format très cadré du débat : « vous ne pouvez pas dire que cela coûte à la ville ! » Et nous confiait plus tard être« toujours un peu consternée de voir que l’on défend la DSP sur de faux arguments ». C’est pourtant bien la même menace que nous brandissait après le débat Martine Vassal, évoquant le chèque d’équilibre maousse de la RTM, manière de dire que les comptes de MPM n’ont pas besoin d’être plombés par une autre régie.

Sauf que, c’est un principe : l’eau paye l’eau, autrement dit ce sont les usagers qui alimentent le service. Conclusion : si surcoût il y a, il sera sur les factures et non dans les impôts. « Et voilà », triomphe Martine Vassal, devant la perspective d’une augmentation du tarif de l’eau. Pour Anne Le Strat, le rachat ne change rien : « tout comme les biens ont été amortis par la délégation, il le seront par une autre structure, et la collectivité n’a rien à voir là-dedans. C’est même plus intéressant car l’amortissement se fait sur la durée de vie des biens et non du contrat », nous assure-t-elle.

Qui pointe aussi les économies potentielles dans les contrats, citant à Bordeaux, où en se plongeant dans les comptes, la communauté urbaine s’est fait rembourser en deux renégociations 317 millions d’euros par Suez ! Un peu avant la prise de position d’Eugène Caselli, Anne Le Strat, présidente tendance socialiste d’Eau de Paris assénait tranquillement que la ville prévoyait 30 millions d’euros d’économie par an.

Alors, combien MPM devrait-elle exactement débourser pour racheter les actifs ? Cela nécessite un inventaire détaillé entre les biens indispensables à l’exécution du service public, qui sont rendus gratuitement à la collectivité, et ceux qui reviennent au privé mais qu’elle peut choisir de racheter. A-t-il été effectué ? Au parc Chanot, Eugène Caselli l’a joué Sarko aux Guignols de l’info (« je vous dit pas le prix tellement c’est indécent ») en restant muet sur le montant. Les conseillers communautaires auront peut-être envie d’en savoir plus. En évitant l’eau tiède du Grenelle de l’eau…

A lire aussi : les enjeux politiques de la décision, et les petites et grosses ficelles du débat

Un lienEau : une Parisienne pour convaincre les Marseillais (c’est raté), sur Marsactu

Un lienLes 5 enjeux de la gestion de l’eau à Marseille, sur Marsactu

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Commentaires

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  1. ribellu ribellu

    …..Et si par hasard il y avait une logique de groupe entre le gestionnaire privé de l’eau et des filiales du même groupe chargées de gérer les déchets!!!!! L’argent gagné ici permettant d’être mieux disant là……Celà pourrait expliquer l’amour de Caselli pour le privé…….

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  2. Ricou 24. Ricou 24.

    Vous pouvez penser ce que vous voulez,il y a Entraide et Assurance par le passé! J’en suis sur.
    Maintenant je ne pense pas,les choses ont changé.

    Ricou 24.

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  3. casanovette casanovette

    Excellent article Julien qui conforte la mise en place d’une certaine ” pédagogie pour Elus”. Si seulement ils pouvaient vous lire !!! La Vassal, qui sait, en paraitrait peut être moins nouille ? Le discours UMP est vraiment infâme tant il se nourrit de lieux commun, de contre vérités, de bêtise jusqu’à l’écœurement ! Beurck !!!!

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  4. Carla2marseille Carla2marseille

    Bravo Monsieur Julien pour la qualité la pertinence des questions soulevées! Au moins vous, vous ne vous laissez pas endormir par les beaux discours! Quand vous nous dites que que Caselli s est transforme en VRP de la gestion privée, que dire de plus! Quand caselli nous vante la qualité de l eau marseillaise, ” la meilleure de France”‘, des investissements remarquables, une eau pas plus chère qu ailleurs, on a l impression d’ entendre mots pour mots les paroles que Gaudin nous rabâchent depuis des années. Soit il lui a pique son discours, soit ils sont devenus frères siamois. Tout ça est une histoire de gros sous et c est encore l usager le dindon de la farce! C est quand meme bizarre tous ces elus qui passent habituellement leur temps a s echarper mais qui, sur ce dossier, comme par hasard, sont tous d ‘accord. Ou est aujourd’hui hui la différence entre la gauche et la droite si elle n existe pas sur des dossiers comme celui la. Vous comparez caselli a sarkozi mais sarkozi lui au moins, iL assume qu il est de droite

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