Deux ans après la visite de Macron, “rien n’a changé” pour les jeunes de Bassens

Reportage
le 26 Juin 2023
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En septembre 2021, le président effectuait une visite marquante à la cité Bassens, dans le 15e arrondissement de Marseille. La séquence, surmédiatisée, n'a rien changé aux difficultés des jeunes du quartier.

Nasser, 24 ans, devant le local de l
Nasser, 24 ans, devant le local de l'alimentation à Bassens. (Photo : CMB)

Nasser, 24 ans, devant le local de l'alimentation à Bassens. (Photo : CMB)

Jamais Bassens n’a été aussi propre. Il a fallu faire un grand nettoyage, sortir les canapés, préparer le buffet, avant d’être submergé par la foule. La foule : des journalistes du monde entier, des Marseillais de toutes les générations, parfois venus de loin pour offrir au président un accueil triomphal. Les trafiquants ont été mis dehors, remplacés par des dizaines de SUV aux vitres teintées et des policiers à toutes les entrées. Une armée de médiateurs en gilets orange font l’animation avec les jeunes. Les habitants ne les avaient jamais vus avant dans la cité. C’était le 1er septembre 2021, et Bassens découvrait Emmanuel Macron.

Quasiment deux ans plus tard, les mauvaises herbes rasées pour la visite présidentielle ont eu le temps de repousser partout. Les trottoirs qui longent la petite résidence rose saumon sont couverts d’encombrants. Des chaises, des meubles fracassés, des poubelles renversées. Il faut marcher sur la route, esquiver les voitures garées à cheval ici parce que sur le parking, le vrai, les racines des arbres ont soulevé le goudron. Dans quelques années, Bassens sera rasée pour laisser passer la voie ferroviaire de la Ligne nouvelle Provence Côte d’Azur.

Ce vendredi midi, Tahar tire le rideau pour rejoindre la mosquée. Il tient depuis 20 ans la seule alimentation du quartier. On y trouve des produits d’épicerie, des viennoiseries, du pain frais et des sandwiches au thon à trois euros. Il nous dit : “quand Macron est venu, un journaliste nous avait prévenus qu’une fois rentré dans sa grosse voiture, il nous oublierait. C’est exactement ce qu’il s’est passé.” Les jeunes d’ici ? “Ils demandent pas grand-chose, juste du boulot ! Un responsable du président avait pris quelques 06. Les jeunes ont vraiment cru qu’on allait les rappeler, mais rien. C’était de la poudre aux yeux. C’est mal. Ils les ont fait espérer et les petits ont été encore plus déçus. Ils iront pas voter la prochaine fois.”

Discrimination à l’emploi

L’été 2021 a été sanglant. Dix personnes ont trouvé la mort dans des assassinats liés au trafic de stupéfiants. L’un d’eux est abattu ici même, à Bassens. Il avait 20 ans. La cité délabrée du 15e arrondissement accueille l’un des “cannabis drive” les plus célèbres de France. Son accessibilité a été décuplée par l’ouverture de la rocade L2 il y a quelques années. Les clients viennent facilement, mais les jeunes d’ici se sentent à l’abandon.

Saber, 22 ans, avale une part de pizza devant l’alimentation de Tahar. Le jour du bain de foule présidentiel, il était resté au frais chez lui, à quelques mètres de l’agitation. “Ça m’intéressait pas. Macron, la politique, tout ça, ça m’intéresse pas.” Le jeune homme cherche du travail. Il a déjà eu des contrats d’éboueur, “mais c’est impossible d’avoir une place sans piston quand tu viens d’ici. Les associations qui viennent nous aider pour faire nos CV nous le disent : il faut juste écrire notre adresse, il faut pas écrire le mot « Bassens ».

Tahar soupire : “c’est de la discrimination.” Mounia, 20 ans, voit que “c’est pareil pour tous les garçons ici.” Son frère Juju, 28 ans, ne trouve que des contrats en intérim. Elle travaille comme aide-soignante dans une maison de retraite du centre-ville. Mais elle a été arrêtée pour accident du travail après avoir glissé dans une douche. Alors elle soigne sa lombalgie chez le kiné et fait passer le temps, assise à l’ombre des arbres de Bassens.

La politique ne va pas changer la vie des gens, surtout les gens d’ici. Macron, ça l’intéresse pas du tout.

Mounia, 20 ans

Mounia aimerait plus d’animations pour les enfants du quartier. “Ici, heureusement qu’on a l’association des Femmes de Bassens, c’est grâce à elles que j’ai pu aller au camping, à la plage, dans des parcs d’attraction…” Au cœur de la cité, il n’y a pas de jeux, juste un petit city stade et deux tables de pique-nique. La jeune femme regrette aussi le chômage qui frappe les jeunes de sa génération ici, et la violence. Mais elle pense que “la politique ne va pas changer la vie des gens, surtout les gens d’ici. Macron, ça l’intéresse pas du tout.”

Nasser et l’Élysée

L’association des Femmes de Bassens est une référence dans le quartier. Lors de la venue présidentielle, c’est dans ses petits locaux qu’Emmanuel Macron a été reçu. On se souvient des images : dehors, le président face à des grappes d’enfants souriant jusqu’aux dents, et l’euphorie collective. Juju, le frère de Mounia, lui avait même glissé quelques blagues dans l’oreille. Puis dedans, le président assis dans le local associatif, encadré par Samia Ghali, Benoît Payan et le député (LREM) de secteur de l’époque, Saïd Ahamada, devant un parterre de pâtisseries. Les discussions tournent autour de la sécurité et du chômage dans les quartiers.

Des chaises abandonnées devant le city stade de Bassens, le 23 juin 2023. (Photo : CMB)

C’est ici que Nasser entre en scène. Natif de Bassens, il a alors 22 ans. Il a des allures d’enfant prodige, explique qu’il fait de l’équitation à haut niveau. Le 1er septembre 2021, Nasser passe sur toutes les chaînes d’information. Ce lundi, il doit, si tout va bien, rencontrer de nouveau Emmanuel Macron. Pour lui dire quoi ? “Il a rien fait pour nous. Je veux lui dire que rien n’a changé et qu’on comprend pas où va l’argent. Regardez autour de vous !”

Assis sur les marches de l’alimentation avec Juju, Saber et Mounia, Nasser veut tout de même convaincre ses collègues de garder espoir. Avec un argument implacable : “qu’on croit en la politique ou qu’on n’y croit pas, la réalité, c’est qu’on est dans la merde. Donc autant y croire et essayer de changer cette merde-là.” Les autres acquiescent. Quand Nasser rencontre Macron il y a deux ans, il en profite pour récupérer des contacts. Il cherche à être reçu à l’Élysée, pour le symbole et pour “parler des jeunes comme nous, les jeunes des quartiers, les jeunes musulmans, les jeunes Français, bref, on est tellement catégorisés qu’on sait plus comment s’appeler”. Il attend toujours.

Alors Nasser monte de lui-même à Paris, début mai, au Sénat. C’est le médiatique Hassen Hammou, porte-parole régional EELV, qui l’emmène avec lui dans le cadre d’une délégation. L’objectif ? Plaider pour l’ouverture d’une commission d’enquête sur les violences du trafic de drogue. Mi-juin, 85 sénateurs signent la proposition.

Un buzz orchestré

Nasser fait partie des jeunes de l’ombre propulsés d’un coup sous les lumières des caméras par la visite présidentielle de Bassens. Il ne l’a pas toujours bien vécu. “Une fois qu’on fait le buzz, tout le monde nous veut. J’ai été approché par pas mal de partis politiques. Je suis passé chez Cyril Hanouna, et toute l’émission a été tournée à mon désavantage. Ils attendaient que je sois le cliché du mec des quartiers Nord, c’était dégradant.”

S’il regrette cette expérience, Nasser est tout de même devenu un bon client des médias. Et parmi les jeunes qui ont interpelé Emmanuel Macron en septembre 2021, il est loin d’être le seul. La séquence à Bassens était évidemment bien orchestrée. Ceux qui ont eu la chance de parler au président ont été triés sur le volet. Parmi eux, on découvrait aussi Amine Kessaci, un jeune originaire de Frais-Vallon (13e), qui a perdu son frère dans un assassinat lié au trafic. C’étaient l’une de ses premières apparitions.

Parmi les figures médiatiques qui ont émergé ce jour-là,  le jeune Amine Kessaci.

Aujourd’hui, Amine Kessaci est régulièrement invité par les chaînes de télévision. Le jeune homme a obtenu un local pour son association, Conscience. Il organise parfois des débats sur la violence dans les quartiers, se joint volontiers aux marches blanches. Il porte ce combat partout où il le peut, et compte bien “redire à Macron qu’il y a eu trop de morts. Les choses n’avancent pas”, nous dit-il. Mais sa démarche très médiatique ne plaît pas à tout le monde dans le milieu associatif. “Moi, je me bats contre la banalisation et l’oubli des morts, pour qu’il n’y ait pas que les fachos qui s’emparent de ces questions”, s’émeut-il. La politique ? Il y croit “énormément”, se concentre sur ses études de droit mais promet que dans quelques années, il se lancera.

Quartiers nord sauce CNews

Troisième et dernier personnage propulsé devant les caméras par la séquence de Bassens : Mohammed Benmeddour, médiateur originaire des Marronniers. À l’époque, il interpelle le président pour demander “une meilleure traçabilité de l’argent public”, lassé de constater que les millions de la rénovation urbaine ne profitent pas aux jeunes qu’il suit. Depuis, on le retrouve régulièrement dans des reportages sur le trafic. Et surtout chez la très droitière CNews.

Au point que début juin, son employeur, l’Addap 13, n’a pas prolongé son contrat après sa période d’essai. Son passage dans l’émission de Jean-Marc Morandini est pointée du doigt. “Les médias, ça attire la jalousie, assure ce dernier. Bien sûr, j’ai hésité à aller chez CNews mais au final, c’est eux qui m’appellent le plus et je pense qu’il faut parler à tout le monde.”

Ce lundi, Nasser, Amine Kessaci et Mohammed Benmeddour comptent bien mettre à jour leur dernière discussion avec Emmanuel Macron. À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’agenda du président n’est pas arrêté, mais une visite des quartiers Nord se profile à la Busserine. La Busserine, illustration de la rénovation urbaine, avec ses façades neuves et son majestueux centre social.

Le premier volet du plan “Marseille en grand” ne comportait aucune mesure ciblant spécifiquement cette jeunesse en mal de perspectives. Peut-être sera-t-elle enfin au programme des annonces de ce deuxième déplacement. Mais l’Élysée reste très vague sur le sujet : “Le plan est une machine à engager des actions, à mettre en œuvre et les résultats ne sont pas immédiats. [Il y a deux ans], le président est allé en effet à Bassens. [Aujourd’hui], on aura l’occasion de montrer justement ce que peut donner la traduction du plan sur la ville, un quartier. Un peu de patience, mais le président tient ses promesses, il les tiendra.” De la patience ? La jeunesse de Bassens n’en a plus.

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    La comm’ politique fait des dégâts. Profonds.
    On ne le dira jamais assez.

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