Des ruines de Damas au Pôle emploi du 3e

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le 28 Oct 2015
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Après avoir fui la Syrie puis la Jordanie, la famille A. s'est installée à Marseille il y a plus d'un an. Désormais reconnus comme réfugiés, un nouveau défi les attend : trouver leur place.

Pour la famille A., le parcours administratif ne fait que commencer. (LC)
Pour la famille A., le parcours administratif ne fait que commencer. (LC)

Pour la famille A., le parcours administratif ne fait que commencer. (LC)

Notre situation est différente des autres Syriens”, tient à préciser Sader*. Veste de costume en tweed et poignée de main dynamique, cet ancien professeur d’université ne veut pas être plaint. Lui, son épouse et leurs quatre garçons n’ont pas eu à traverser la Méditerranée sur une embarcation de fortune. Ils sont arrivés à Paris en avion, de façon tout à fait légale, le 12 juin 2014.

Leur proximité avec l’opposition syrienne, dont il refuse de parler en détails, a certainement contribué à faciliter leur parcours en France. Après deux ans en Jordanie, au milieu de centaines de milliers de réfugiés, la famille a obtenu un rarissime visa pour la France afin d’y demander l’asile. Un appartement se libère pour eux, trois semaines plus tard, à l’autre bout du pays. Le 3 juillet 2014, la famille A. pose ses valises boulevard de Paris (2e), à Marseille, dans un quatre-pièces un peu tristounet.

Ce jour-là commence pour eux une épopée bien moins risquée sans être de tout repos: l’installation en France. Cette solution d’hébergement relève du réseau CADA (Centre d‘accueil des demandeurs d’asile) et s’accompagne donc du suivi d’une assistante sociale pour les premières démarches. La demande d’asile est déposée, sans trop d’inquiétude : même si l’attente peut être longue et hors problèmes de procédure, les Syriens sont quasiment assurés d’obtenir le statut de réfugié.

Parents et enfants sur les bancs de l’école

Les quatre garçons ont tous été scolarisés dès septembre 2014, du CP à la quatrième, dans les établissements du quartier. Ils sont aujourd’hui tout à fait intégrés au milieu des autres élèves. “À l’école, les autres savent que je viens de Syrie, mais personne ne pose de questions”, constate l’aîné dans le même français marmonné que n’importe quel adolescent, sans qu’on ne puisse vraiment y distinguer d’accent.

Les enfants partis à l’école, père et mère tournent en rond. Quatre heures par semaine de cours de français dispensés par le Secours catholique leur permettent de découvrir les bases, “mais ça n’était pas officiel” déplore Samia. En Syrie, cette souriante mais timide quadragénaire enseignait l’anglais. Elle semble comprendre le français sans effort, mais ne prend la parole que pour de brèves interventions. Sader parle la plupart du temps. Parce qu’il est le chef de famille, mais aussi semble-t-il, par un besoin naturel de communiquer, d’être compris. Par peur du régime toujours en place, il refuse par contre d’être photographié ou de donner son vrai nom. À Damas, il enseignait le marketing et le management de projet. “Mon objectif c’est de bien maîtriser le français, et après reprendre mes études pour faire mon doctorat”, affirme-t-il d’un ton déterminé, mais prudent.

L’asile est obtenu, mais rien n’est fini

Un an jour pour jour après leur arrivée à Marseille, le 3 juillet 2015, l’Ofpra les informe que leur demande d’asile est acceptée. Une nouvelle attendue, mais pas célébrée pour autant. Ça ne fait plaisir à personne d’être réfugié”, semblent dire leurs sourires embarrassés. Et la lettre de confirmation ne signe pas pour autant la fin des procédures. Voilà plus de trois mois qu’ils attendent que l’Ofpra leur renvoie leurs actes de naissances et livrets de familles, sans lesquels il leur est pour le moment impossible de demander une carte de séjour longue durée.

Depuis l’obtention de leur statut, la famille A. a rejoint le parcours classique des familles en difficultés. Les aides pour le foyer sont passées des 660 euros de l’allocation temporaire d’attente (et un loyer pris en charge) à 1300 euros en cumulant RSA et allocations familiales. “C’est un peu mieux qu’avant”, admet Sader. Le suivi en Cada touchant à sa fin, ils n’auront plus d’assistante sociale attitrée. “Nous avons demandé à la CAF d’en avoir une nouvelle et on nous a dit que nous n’en avions pas besoin. parce qu’on parle assez bien français. Mais il y a plein de choses que je ne connais pas, quels sont nos droits ? nos devoirs ?”, s’inquiète le père de famille. Il s’exprime en effet avec facilité, mais le vocabulaire, notamment administratif, lui manque. Début octobre, lui et son épouse ont commencé à suivre des cours quotidiens de langue fournis par Pôle emploi. Pour le moment, pas l’ombre d’une offre d’emploi en vue. “Trouver du travail ici, c’est difficile pour tout le monde, même pour les Français”, admet Sader, lucide.

“J’ai quatre enfants, je veux qu’ils soient en sécurité”

Autre urgence à régler : le logement. Il faudra bientôt quitter l’appartement qu’ils occupent depuis juillet 2014. Sur son smartphone, Sader montre avec émotion les photos de leur spacieuse et confortable maison à Damas, bombardée depuis leur départ. Il est sans nouvelles de leur autre villa à Deraa, la ville dont il est originaire, au sud de la Syrie. La famille ne se fait pas d’illusion sur le prochain logement qu’ils occuperont à Marseille. C’est surtout sa localisation qui les préoccupent. À l’assistante sociale, Sader a demandé “les arrondissements calmes. J’ai 4 enfants, je veux qu’ils soient en sécurité.”

La possibilité qu’on leur propose d’habiter hors de Marseille les effraie presqu’autant. “Salon, Aubagne, nous n’avons pas très envie…”, avoue Sader. La raison qu’il invoque n’est pas anodine. Il y a deux mois, sa mère et sa soeur sont arrivées à Marseille depuis la Jordanie, suivis la semaine dernière par son frère accompagné de sa famille. Ils s’engagent dans le même parcours éprouvant et complexe de la demande d’asile. La grand-mère, âgée de 66 ans, doit se faire opérer du genoux et n’est pas autonome. “Elle a besoin de moi, ma soeur ne peut pas s’occuper de tout. Comment on fera si je suis envoyé à Miramas?”, s’interroge Sader, anxieux.

Difficile au milieu de tous ces paramètres qui les dépassent d’envisager l’avenir. “Le futur ? Je ne sais pas. J’ai peur. On ne pensait pas qu’on vivrait un jour ici, alors on ne peut pas imaginer le futur, soupire Samia.La guerre n’est pas finie avant 10 ans, poursuit son mari. Habiter en Syrie c’est difficile maintenant.” “Aujourd’hui, la Syrie n’est pas pour les Syriens, ajoute-t-elle, mais bien sûr, le jour où la paix sera rétablie, nous rentrerons.” Pour l’heure, il leur reste à construire à partir de zéro une vie provisoire dans un pays où ils n’auraient jamais imaginé passer plus que des vacances.

*Les prénoms ont été changés

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