Clémentine Vaysse vous présente
Contrechamp

Travailler la tête en bas

Chronique
le 4 Août 2018
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Nous l'appelions Madame la présidente. Pendant 4 ans, Clémentine Vaysse était une des pièces maîtresses de Marsactu. Première présidente de l'entreprise, elle a choisi en 2017 de prendre la clef des champs pour tenter l'aventure de la reconversion agricole. Le temps d'une série d'été, elle revient à ses premières amours et raconte les joies et déboires de la découverte d'un nouveau monde. Ce samedi, les fraises.

Des sacs de fraises usagés à proximité d’une exploitation de Pertuis Photo : Clémentine Vaysse
Des sacs de fraises usagés à proximité d’une exploitation de Pertuis Photo : Clémentine Vaysse

Des sacs de fraises usagés à proximité d’une exploitation de Pertuis Photo : Clémentine Vaysse

Les fraises sont plantées sous serre sur des buttes recouvertes de plastique. Photo : Clémentine Vaysse

“Elles sont pas trop traitées les fraises?”. Je pense que c’est au printemps la question que l’on me pose le plus souvent quand je suis derrière le stand au marché. Les fraises sont un excellent exemple des problématiques du système agricole actuel dont les pesticides ne sont pas la seule caractéristique.

Depuis que les hommes cultivent des fruits et légumes pour d’autres hommes, ils n’ont eu de cesse de tenter de contrer l’austérité des produits d’hiver. Ce n’est pas avec des choux et des poireaux, ou des pommes, que l’on met du beurre dans les épinards. Un des pionniers de l’agriculture bio aux Etats-Unis, Eliot Coleman, s’est d’ailleurs lancé dans les années 70 à la recherche des techniques des maraîchers parisiens du XIXe pour étendre les périodes de culture sans utiliser de pétrole. Cloches en verre ou lit de fumier fermenté permettaient aux professionnels de proposer à leurs clients des produits plus tôt dans l’année qu’habituellement. Aujourd’hui, les fraises sont associées au printemps, et pourtant, en plein champ, elles sont plutôt un produit d’été.

“Il n’y a plus de saison”

En plantant les fraises dans une serre froide – c’est à dire non chauffée – il est possible sans trop de problème de gagner de précieuses semaines sur le calendrier “naturel”. Cela peut paraître anodin mais croyez-moi, après des mois à manger des pommes, un certain nombre de clients se ruent sur les premières fraises, peu importe leur prix. Pour avancer encore un peu leur arrivée, est apparu depuis quelques années un procédé de plus pour avancer la fructification : les “plants frigo”. Pour faire simple, il s’agit de tromper le fraisier en lui faisant croire que l’été est déjà là. La plante a besoin de froid pour donner des fruits, elle est donc “hibernée” en frigo à -2°c à l’automne pour lui faire penser que c’est l’hiver. Elle est ensuite plantée en serre en décembre où c’est à ses yeux le printemps. Voilà comment on obtient des fraises à Pâques ! Il ne faut en revanche pas s’attendre au même goût que les fraises du potager de Mamie… D’autant plus que cette année, la météo fraîche a fait que les fraises étaient là mais peu sucrées faute de chaleur printanière. Pour que le procédé marche d’une année sur l’autre, il faudrait donc changer à nouveau les pieds. Ceci étant dit, si la température influe considérablement sur la demande en fruits et légumes, c’est encore plus vrai pour la fraise. S’il fait gris et froid, comme cette année, on en remballe. S’il fait chaud, on en manque. Le phénomène est accentué par le fait que les fruits sont bien meilleurs s’il fait bien chaud.

Un petit calendrier venant d’une coopérative de producteurs de fraises du Lot et Garonne pour vous montrer l’étendue de la saison de production de la fraise

Travailler la tête en bas

À ramasser, pour certains, les fraises, c’est l’enfer. Moi, masochisme oblige, j’adore. Avoir mal au dos accroupi ou les jambes qui tirent ? Dilemme. J’ai opté pour la seconde solution, comptant sur une amélioration progressive (et supposée) de ma souplesse à coups de barquettes de fraises. Il faut en avoir déjà ramassées – ou des haricots verts – pour le savoir, et en grande partie comprendre le prix. Alors quand un client me dit que les fraises c’est cher, l’envie de grogner n’est pas loin. L’année dernière en rentrant du champ, je me souviens d’avoir vu des fraises – origine Espagne – moitié moins cher chez un primeur de Venelles. La main d’oeuvre y est aussi bien moins onéreuse (à suivre). Il semblerait pourtant que les gros fruits espagnols – creux à cause de l’engrais chimique et blancs car pas mûrs – que l’on peut trouver dans les grandes surfaces dès mars aient échaudé les clients qui désormais rechignent face à des fruits de gros calibre. Et pourtant, les Cléry, qui dominent le marché dans notre région, sont choisies pour cela, car on met deux ou trois fois plus de temps à remplir une barquette de petites fraises que de grosses, pour le même poids bien sûr. J’oubliais de rappeler que la récolte en serre ajoute le problème de la chaleur, souvent insoutenable déjà en mai ou juin. Autre élément important sur le prix : les fraises occupent la parcelle bien plus longtemps que le reste des produits pour une période de récolte relativement courte, en plus d’être fragiles et donc impossibles à conserver.

Après s’être posé la question de la disparition de la queue des fraises, l’Obs se demandait également en 2017 pourquoi il était si difficile de trouver des fraises bio. La réponse est simple : la culture hors-sol est interdite en agriculture biologique. Je n’avais qu’une vague idée de ce qu’était le hors-sol jusqu’à une visite à un ami qui travaillait dans une exploitation près de Lyon. C’est là que j’ai compris ce qu’impliquait ce nouveau mode de culture : les plants sont plantés dans des boudins de plastique remplis de fibre de coco, sur des étagères à hauteur d’humain. Ils pourraient être dans du sable, de la mousse artificielle ou tout autre substance puisque leur nourriture ne leur est apportée que par le goutte à goutte via de l’engrais de synthèse. Les professionnels de la fraise-hors sol la jugent nettement plus rentable que celle “en sol” : moindre pénibilité pour le personnel et donc recrutement plus aisé, moins de pertes dûes aux insectes, moins de pourriture des fruits…

Des sacs de fraises usagés à proximité d’une exploitation de Pertuis (Photo Clémentine Vaysse)

Je n’ai pas réussi à trouver de chiffres pour 2018 sur la part des fraises hors-sol dans la production nationale mais en 2015, “les cultures sur substrats (c’est-à-dire hors-sol) réprésentaient 65% des récoltes” pour 20% des superficies selon le ministère de l’agriculture.

“Je n’achète pas de fraises en supermarché moi”, allez vous donc répondre, persuadé de n’avoir jamais gouté de fruit hors-sol. Ce n’est pas une garantie puisque je peux vous assurer qu’au marché d’Aix par exemple, il y en a mais incognito. Faute d’obligation d’affichage, impossible pour le client de savoir si ce qu’il achète a été produit hors-sol. Ni même en serre ou serre chauffée d’ailleurs. .

Un autre chiffre – on ne perd pas si facilement les vieux vices – fait apparaître un autre phénomène : il y a trois ans – toujours selon le ministère de l’agriculture – les fraises “de plein champ” c’est-à-dire cultivées dehors, ne représentaient plus qu’un tout petit quart de la production française, face à une culture massive en serre. Sur le marché d’Aix, il est d’ailleurs difficile d’en trouver en juillet/août. Parmi les maraîchers que je connais, la plupart ont abandonné l’idée même de cultiver des fraises “dehors” faute de rentabilité. Alors si vous voulez des fraises de plein champ et bio, il va falloir vous lever tôt. Ou les planter dans votre jardin ou sur votre balcon, elles s’y plaisent aisément.

Commentaires

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  1. Tarama Tarama

    Merci Clémentine, c’est super intéressant.
    A l’occasion d’une visite dans une autre région de France, j’ai pu tester la cueillette à la ferme de fraises (bio) et autres.
    Cela ne serait-il pas transposable dans notre belle région qui fut quand même, si je ne m’abuse, une grande terre de maraîchage ?

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    • Clémentine Vaysse Clémentine Vaysse

      Oui les bouches du Rhône et le Vaucluse sont historiquement une terre de maraîchage (notamment grâce à l’eau de la Durance). Pour la cueillette des fraises j’aurai pu en parler bien sûr, je sais qu’en ardeche des exploitations le proposent. Ici je n’en ai jamais entendu parler. De ce que j’ai pu en lire cela peut soulever des problèmes de plants abîmés et de la question de la tarification. Vous souvenez vous comment étaient facturées les fraises que vous aviez ramassées ?

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    • Tarama Tarama

      Il me semble que c’était 6,5 € le kilo (fraises bio), quelle que soit la variété (mara des bois, charlotte, amandine,…). On pouvait aussi cueillir des tomates, des courgettes, des haricots, de la rhubarbe,…
      Il y avait du monde.

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