Quand les soirées plage ont la côte

Quand les soirées plage ont la côte

Malmousque est un endroit particulier, de bien des façons. Durant des années, le petit noyau villageois et ses criques ont su pratiquer un mélange d’usages dans un savant déséquilibre tout en stabilité très marseillais. Les cannes à pêche sont plantées sur les bons spots, mais les moule-boules ne le sont pas toujours, qu’ils soient sur des légionnaires privilégiés, profitant de l’espace réservé aux vacances des militaires, ou des retraités ayant depuis longtemps passé l’âge de se soucier du jugement des plagistes.

Malmousque, c’est aussi un sacro-saint endroit pour pratiquer l’apéro dans un pays ou c’est presque la dernière chose qui met tout le monde d’accord. C’est scientifiquement prouvé : face à la mer, l’alcool a meilleur goût, même s’il fait parfois finir face contre terre.
Traditionnellement, c’est le plan classique des habitants du centre-ville : les Catalans, c’est du sable pour les touristes et la plage du Prophète, c’est soit trop loin, soit trop glauque passé une certaine heure. Mais si le quartier a longtemps réussi à se cacher des touristes, abrité par le regard prenant du portrait de Zidane, ces dernières années ont vu émerger, comme beaucoup d’autres endroits à Marseille, des néo-marseillais pour qui c’est toujours incroyable. Le visage de Zizou a disparu, les posts Instagram se sont multipliés et le côté secret du quartier n’existe plus.

Parisiens à chaussettes remontées à Malmousque

Jusqu’à rendre certains aigris : “J’aurais jamais cru dire ça un jour, mais je me sens plus chez moi”. En ce début de soirée, Fred est venu rejoindre quelques potes en moto, pour se garer aux “légionnaires”, au-dessus des plages, après le petit port. Il connaît la nomenclature et les sens interdits de Malmousque, et il a sillonné ces rues depuis tant d’années qu’il a même développé une technique pour gérer l’embrayage et le pack de 12 d’une seule main. “Moi j’ai fait découvrir cet endroit à pas mal de gens. Si j’avais su, je me serais abstenu … C’est pas fait pour accueillir autant de monde, c’est moins populaire et mixte qu’avant. Franchement, ça me dégoûte un peu quand je vois tous ces Parisiens avec leurs chaussettes remontées s’approprier tout ça. Ils respectent pas l’esprit de partage et de mélange de Malmousque. Qu’ils aillent à la cabane des amis pour faire ça.” Si Fred a le teint du mec qui a attaqué son bronzage au mois d’avril, ce soir l’apéro se passera au-dessus des plages, qui sont bien blindées.

Sur la petite corniche, effectivement, pas mal de chaussettes sont remontées. On ne contredira pas Fred : une bonne partie de la population du soir a cette façon si particulière de prononcer des expressions marseillaises sans être tout à fait crédible. Les “tarpins” ne sont pas pointés mais pointus, et sont souvent suivis d’un “mec” subtil, mais pas du coin. Une raison suffisante pour créer la discorde ? Pas pour Stella, qui déguste un verre de blanc tiède sorti du cubi : “Je suis pas née ici, donc j’ai pas le droit d’apprécier les belles choses ? Je comprends même pas cet argument. Moi, je me suis installée à Marseille pour les mêmes raisons qui poussent les Marseillais à rester chez eux. Je vais pas me priver de kiffer : ouais c’est bien, trop bien même. J’ai autant le droit que qui que ce soit de boire des coups à Malmousque, merde à la fin! C’est comme ça qu’on sort ici. Je suis arrivée ici il y a deux ans et j’ai toujours fait ça. Si c’était pour rester avec des gens aigris, je serais restée chez moi …”. Chez Stella, et elle a du mal à le dire, c’est en banlieue parisienne. “Ben ouais, je le dis pas direct, y a du jugement des Marseillais …”.

Embouteillages sur la Corniche

Les commerçants du centre-ville râlent un peu, et sont surpris du manque de monde ces dernières semaines. Après la tant attendue réouverture, la fréquentation s’est calmée. Où sont tous les touristes qui nous ont blindé les terrasses, cassé les couilles mais rempli les caisses ? En traversant la corniche, la question est vite répondue : des embouteillages se forment sur chaque plage, les nombreux vélos tentent d’exister, souvent sans succès, et il y a beaucoup de monde. Aux alentours de l’escale Borély particulièrement, les parkings sont remplis, et la file de droite est à l’arrêt. Pendant que ce cirque se met en place, les terrasses surchauffent. On y mange des glaces industrielles à 10 balles, on y boit des cocktails à 20 balles, et on fait transpirer les serveurs.

Bientôt, ce sera l’heure de la queue au Sport Beach, et avant ça, un lieu incontournable fait son chiffre, un peu en retrait mais extrêmement visible. Le Red Lion de la Pointe-Rouge. C’est le spot de tout le 8e arrondissement de Marseille. À 20 h, la bière coule à flot et l’ivresse est bien là. Stéphane, habitué, est venu tout seul. Chemise ouverte, lunettes de soleil pas trop nécessaires, il a un objectif clair : “Je vais pas te mentir, y a une seule raison qui m’amène ici. Mon oncle a une maison pas loin, il est jamais là, et y a des petits culs tout le temps dans ce bar. Je viens pour soulever de la touriste”. Stéphane n’a ni le temps, ni l’élégance visiblement. “J’ai pas de vacances cet été, donc je fais venir les vacances à moi. Et je te le dis d’expérience : les filles de passage savent ce qu’elles veulent autant que moi”. Le bilan de ce début d’été est mitigé pourtant, mais il ne se laisse pas abattre : “C’est la loi des grands nombres tu vois. Je tente ma chance assez pour que ça finisse par marcher”.

Un havre de paix entre filles à la Pointe-Rouge

Plus loin encore, la Pointe-Rouge est souvent le symbole de la discorde des littoraux marseillais. Port peu accueillant, restaurants de plage menacés et riverains épuisés par la surfréquentation sont des ingrédients malheureux de la vie du quartier l’été. Ce soir pourtant, dans les petites criques près de la plage, il règne un calme en plein contraste avec le reste du littoral. C’est l’endroit qu’ont choisi Amélie et ses copines pour rouler des joints de CBD avec THC en écoutant du SCH. Cette bande de jeunes filles est venue de loin : depuis qu’elle a le permis, Amélie a ouvert des possibilités à toutes ses copines du quartier, dans le 12e arrondissement. “Peut-être qu’on ira boire un coup après, mais probablement pas. Ici, on est entre nous, pas un mec pour nous emmerder, nous faire des remarques ou nous draguer. On met la musique qu’on veut, on discute de ce qu’on veut”. Un havre de paix pour ces étudiantes ou jeunes travailleuses, qui se mérite : “On s’est toutes retrouvées sur le Vieux-Port avant de venir, déjà des mecs nous ont parlé. Puis quand on a garé la voiture, pareil. À Marseille, pour boire un coup tranquille entre filles, obligées d’aller loin. Autant te dire que quand on trouve un endroit pour être tranquille, on en profite …” Loin de Stéphane.