[Nyctalope sur le Vieux-Port] Get up, soirée stand-up

Chronique
le 27 Jan 2024
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Pour Marsactu, le journaliste Iliès Hagoug raconte la nuit marseillaise, ses feux d'artifices et ses flops, ses nouveautés et ses traditions millénaires. Ce samedi, il tente de décrypter le retour en grâce des scènes de stand-up.

[Nyctalope sur le Vieux-Port] Get up, soirée stand-up
[Nyctalope sur le Vieux-Port] Get up, soirée stand-up

[Nyctalope sur le Vieux-Port] Get up, soirée stand-up

Le stand-up est une pratique qui ne date pas d’hier, mais qui semble étrangement revenir en force pour beaucoup. Les terrasses bobo du centre-ville de Marseille, source de cette affirmation et bien connues pour ne jamais mentir, semblent regorger de discussions autour de cet art de scène, que ce soit pour le pratiquer ou en être spectateur. Le fait nouveau ne serait donc pas le stand-up lui-même, mais les CSP qui ont décidé de s’y mettre ?

Qu’importe : “La comédie, c’est génial ! Ne laissez personne vous dire le contraire, et il n’y a pas de règles dans le stand-up, j’aime ça. Vous pouvez faire tout ce que vous voulez et dire tout ce qui vous passe par la tête, du moment que c’est drôle. Si vous n’êtes pas drôle, foutez le camp de la scène, c’est aussi simple que ça.” Richard Pryor, père du stand-up moderne résumait dans son verbe caractéristique l’attrait principal de la pratique. Reste le défi principal : il faut être drôle.

Le Garage comedy club, vers le cours Julien, est rapidement devenu le centre névralgique du stand-up marseillais. Premier élément de confirmation des échos des terrasses, même un dimanche soir, il y a du monde. Le site du lieu ne ment pas lorsqu’il recommande chaudement de réserver : que ce soit pour le spectacle gratuit de première partie de soirée ou celui, payant et plus long, de deuxième partie, le public a répondu présent et s’amasse au bar et à l’extérieur. Pour Marsactu, journal local indépendant, nous choisirons bien sûr la première option.

“Ici, on est à Marseille, pas à Aix, donc on va rire fort”

La première partie, c’est donc la “soirée des bleus”. Tout est dans le nom : une dizaine de néo stand-uppeurs se relaieront pour un passage rapide sur scène, pour se tester dans leur écriture ou le rapport au public.

Le Garage commence sur un bar, continue sur une petite salle avec tabourets et canapés, puis se finit sur l’attraction principale, une petite scène collée au public, qui sera lui-même bien serré. Quelques longs bancs, en long et large de la salle, une petite place pour une régie son-lumière, et des artistes eux-mêmes dans le public, au fond, qui attendent leur tour.

J’ai beau être latino, je ne sais pas danser.

Le chauffeur de salle annonce rapidement l’ambiance, après une intro musicale lancée par un “Yo, yo, yo Marseille !” qui surprend certains membres de l’audience décidément pas habitués à ce langage des plus urbains. Ici, on est là pour soutenir des artistes qui ont suivi des ateliers d’écriture donnés par le Garage. Lorsqu’on interroge le public, il doit répondre par applaudissements, on est là pour passer un bon moment. Et surtout, on est là pour rire. On va même commencer maintenant pour s’entraîner : au compte de trois, le chauffeur exige un rire. Et un fort, un vrai : “Ici, on est à Marseille, pas à Aix, donc on va rire fort”. Le public joue le jeu. Logique, puisque c’est ce qui rassemble tout ce beau monde.

La difficile tâche d’ouverture reviendra à un jeune homme aux origines latino, qui met les pieds dans le plat : “J’ai beau être latino, je ne sais pas danser. La dernière fois, j’étais en soirée, en train de passer un bon moment, avec de la musique à fond. Ouais, j’étais assis seul dans mon coin. Et lorsque quelqu’un m’a demandé si j’aimais la salsa, j’ai dit oui, mais que j’avais pas de chips sur moi”.

Sur la même thématique, une grande femme blonde aux airs de prof se rend sur scène. Elle commence fort, l’accent américain bien marqué : “Dès que j’ouvre ma bouche, vous entendez que je suis la chouchou de l’immigration choisie. Certains sont des immigrés, moi je suis une EXPAT”. Son chemin vers l’intégration en France semble bien entériné, et les exemples font rire : râler contre les réformes, parler de bouffe et bien d’autres encore qui font mouche et font rire à chaque fois. “Mais je n’ai pas encore décapité de prof”. La phrase est lâchée au milieu d’un rire qui se transforme en “ohhhh” indigné. Elle quitte la scène, le sourire en coin, pour passer le relais à la suivante. Ce soir, les femmes sont en majorité, à 7 pour 3 hommes, un fait assez rare dans les arts de scène pour être remarquable.

Autodérision thérapeutique

L’exercice n’est pas de faire un résumé objectif de toutes les vannes, mais beaucoup seront sur des fils communs : les vicissitudes d’être une femme (“je suis véner quand j’ai mes règles, mais je me dis toujours que ça pourrait être pire, je pourrais ne pas les avoir”), la sexualité en des termes crus, la santé mentale et les névroses. Il y a beaucoup d’autodérision, voire d’autodépréciation, qui semble parfois être bien thérapeutique. “Tout humour est enraciné dans la douleur”, disait Richard Pryor.

Se rendre à une soirée stand-up, c’est s’exposer fortement au risque d’être très gêné par des tentatives de faire rire qui ne marchent pas.

On a une docteure en sociologie “le chemin tracé vers pôle emploi” qui lâche son embarras en repensant à son dernier after fait de kétamine et de tartiflette. Puis, une femme récemment divorcée qui n’oublie pas de prendre sa tisane “garde la pêche et te coupe pas les veines” avant d’aller chez son psy, ou encore un pratiquant de la boxe qui dit avoir “le trash talk de Cédric Doumbé mais le cardio de Houellebecq”.

Enfin, Pryor, au sujet de certaines réactions à ses spectacles disait aussi : “Je n’ai jamais connu personne qui a dit qu’il voulait devenir critique quand il était petit”. Et ce n’est pas l’objet de cette chronique, mais il est de son devoir d’être transparente avec ses lecteurs. Se rendre à une soirée stand-up, c’est s’exposer fortement au risque d’être très gêné par des tentatives de faire rire qui ne marchent pas. Ce cadre, doublé du fait qu’il s’agissait en l’occurrence de débutants, est donc un réel test de résistance à la crispation épidermique qui caractérise la gêne au second degré. Aucun artiste ne sera pointé du doigt, mais certains de ces moments, lorsqu’ils durent, diffusent une énergie qui semble se propager devant la petite scène : les têtes se baissent, les gorges s’éclairent par-dessus le silence, et le rire occasionnel semble de compassion. Il s’agit d’une part entière de l’expérience du stand-up. Un mal nécessaire côté spectateurs comme côté artiste.

Avant de partir, et de donner un billet dans le chapeau (“et ouais, l’entrée est gratuite mais la sortie est payante”), il y a une surprise. L’invitée spéciale du soir est plus professionnelle, et l’humour est son métier. Flora Amara n’aura pas plus de temps que les autres, mais elle offrira comme un bref condensé du meilleur de l’expérience. Elle maîtrise le public, sait ce qu’elle veut dire quand elle fait rire. Au Jamel comedy club, elle lançait déjà : “Encore aujourd’hui, lorsqu’une femme est agressée sexuellement et qu’elle va porter plainte, parfois les flics lui demandent comment elle était habillée. Pourquoi, c’est Cristina Cordula qui va mener l’enquête ?”. Ce soir, elle rappelle tout de même, au cas où ce n’était pas clair : “Je suis humoriste, j’ai donc un goût prononcé pour la précarité”. Qu’importe : chez beaucoup de “bleus”, en la regardant, il y a des étoiles dans les yeux.

Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    J’ai adoré et ri à la blague sur la salsa !!

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  2. Colette BRUN-CASTELLY Colette BRUN-CASTELLY

    Article vivant ! C’est comme si j’y avais été. On ressent l’ambiance entre critique sociale et humour…Bravo

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  3. Oscurio Oscurio

    Un article qui donne envie, je connaissais pas vos chroniques. Je vais suivre. Merci !

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