[Marseille secret] La dernière sentinelle des cellules Daviel

Chronique
le 23 Sep 2023
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Guillaume Origoni, photographe et journaliste raconte des pans de Marseille qui ne se donnent pas à voir au premier regard. Explorateur de l'urbain, il aime se glisser dans les lieux abandonnés, cachés voire oubliés. Dans Marseille secret, il partage ses excursions les plus marquantes. Dans ce huitième épisode, il dévoile la prison qui se trouvait sous le pavillon Daviel, à côté de l'Hôtel de Ville.

La pierre, le fer, l’attente et autrefois les ténèbres étaient les compagnons des prisonniers en attente de leurs éxécutions (Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas)
La pierre, le fer, l’attente et autrefois les ténèbres étaient les compagnons des prisonniers en attente de leurs éxécutions (Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas)

La pierre, le fer, l’attente et autrefois les ténèbres étaient les compagnons des prisonniers en attente de leurs éxécutions (Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas)

Lovecraft expliquait de son vivant que pour donner vie à une histoire, il ne fallait jamais rester accroché au scénario originel. La comète de Providence, la seigneurie des cauchemars signifiait ainsi l’importance de la divagation.

Lorsque vous cherchez ce qui n’est pas offert à l’évidence des déambulations ordinaires, vous dressez des listes composées de rumeurs, de noms, de lieux réels ou chimériques. Dès lors que votre corpus semble cohérent, vous pouvez mettre une croix sur vos propres cartes aux trésors. Il arrive pourtant que vos informations soient erronées ou vos sources fantaisistes. Dans ce cas, mieux vaut ne pas s’obstiner à creuser un trou au fond duquel ne se trouve aucun or.

Et si l’or rend fou, la perspective de rentrer les mains vides démultiplie les effets de cette démence passagère. Mieux vaut alors suivre les conseils du père de Cthulhu et se remettre en mouvement immédiatement afin de trouver d’autres raretés.

Fausses pistes

C’est précisément en suivant ce chemin que je me suis retrouvé dans les fameuses “cellules Daviel”. Au départ, j’étais en mairie centrale car une indiscrétion m’avait conduit sur l’hypothétique existence d’un tunnel destiné à l’évacuation de monsieur le maire en cas de danger imminent. Celui-ci, m’avait-on dit, devait conduire le premier citoyen marseillais de la mairie jusqu’aux environs du Mucem. Tout ça sous terre et dans le secret le plus absolu.

Après une vingtaine d’échanges de mail avec la totalité du service communication de la Ville et près de 12 mois plus tard (les chiffres et les délais n’ont pas été adaptés librement dans le cadre d’un récit fictionnel), on m’informe que ce tunnel n’existe pas, mais que l’on consent à me faire visiter les sous-sols de la mairie. Je sais déjà que l’on ne va rien me montrer qui satisfasse ma curiosité, mais je me dis aussi, qu’une fois sur place, je pourrais peut-être attraper au vol une information ou une indiscrétion qui me permette à la fois de parfaire ma connaissance de ce Marseille discret, voire secret et de rentrer avec un sujet pour mes chroniques régulières dans les présentes colonnes.

 Je sens confusément que j’emmerde un peu mes hôtes et ils sentent clairement que je m’emmerde beaucoup.

Me voilà donc en train de cavaler au pas de course dans des couloirs que j’avais déjà arpentés des dizaines de fois. Je sens confusément que j’emmerde un peu mes hôtes et ils sentent clairement que je m’emmerde beaucoup. Dans ce cas-là, il faut détendre l’atmosphère et mettre en place les dynamiques d’un échange informel. J’apprends ainsi qu’il existe une pièce sécurisée au sein de la mairie à l’attention du maire et ses adjoints, mais dans la seconde qui suit cette confidence, mon interlocuteur se referme instantanément.

Vraie prison

Nous voilà en rase campagne en plein centre de Marseille. Le scénario originel n’existe plus alors que les chemins de traverse sont barrés. Je tente alors un timide : “On m’a parlé des antiques cellules du Pavillon Daviel, il parait que ça vaut le coup d’œil ?”

Les couloirs qui desservent les cellules sont restés intacts (Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas)

Après quelques échanges téléphoniques, on consent à me conduire devant l’entrée du Pavillon Daviel. Plus précisément à droite de l’entrée principale. Là se trouve une petite porte, c’est celle de la conciergerie. J’y vois un bon signe. Le monde qui m’intéresse prend presque systématiquement la forme d’une route abandonnée, une trappe rouillée, une entrée dérobée. Pour voir l’extraordinaire, c’est par là que l’on passe. Je peux vous montrer des dizaines de ces stigmates dans notre ville et notre département. Vous passez pourtant devant chaque jour.

Cette minuscule conciergerie est un pont temporel entre la petite et la grande histoire. La personne qui nous accueille, un homme tout en douceur et en modestie, y cultive à la fois une langueur typiquement méditerranéenne et la conscience d’être le gardien de secrets révolus qui n’intéressent quasiment plus personne.

C’est depuis le balcon du pavillon que l’on prononçait les condamnations à mort. La guillotine était installée sur la place du même nom.

Cette toute petite loge tronquée par l’espace dédié à la réception du public ouvre pourtant la voie aux couloirs de ce qui fut naguère notre palais de justice dont la première émanation date de 1576. Au XVIIIe siècle le roi le trouve trop petit et ordonne sa rénovation qui passe par une extension. Daviel est alors le chirurgien du roi. On achète les maisons voisines et on double sa surface. Les travaux sont confiés aux frères Gérard qui livrent le bâtiment en 1747. C’est depuis le balcon du pavillon que l’on prononçait les condamnations à mort. La guillotine était installée sur la place du même nom. Elle fonctionna à plein régime entre 1793 et 1794. Quelles que soient les techniques, les mises à mort institutionnelles connaissent toujours un pic lors des changements de régime.
Les cellules du pavillon Daviel étaient dédiées aux malheureux qui attendaient que leurs têtes soient détachées du reste de leurs corps. Comprenant que cette situation pouvait générer stress et inquiétude, l’administration s’assurait que le futur décapité se tienne tranquille, à disposition du bourreau et de la foule puisque jusqu’en 1939, en France, les exécutions étaient publiques.

Les pieds et le cou entravés par des chaînes fixées sur ces anneaux en fer forgé, les prisonniers n’avaient alors plus aucun droits (Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas)

Pour éviter de surveiller – mais pas de punir – les prisonniers présents dans les cellules Daviel étaient enchaînés, pieds et cou, aux énormes anneaux en métal forgé encastrés dans les parois. Même des siècles plus tard, un tel dispositif produit toujours son effet.

Aujourd’hui, on utilise ces couloirs comme lieux de stockage, ce qui réduit – et dans le même temps accentue – la banalité du mal (Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas)

Les couloirs et les cellules servent aujourd’hui au stockage et le poids de cette grande histoire est aussitôt balayé par cette ambiance pleinement utilitariste. Notre hôte, conscient du poids qu’il porte involontairement sur ses épaules, est la sentinelle parfaite pour cette cathédrale de misère, il n’oublie rien mais ne surjoue jamais le pathos. La dernière sentinelle des cellules Daviel est un vrai Marseillais. Il est entier…

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Commentaires

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  1. Lagremuse Lagremuse

    J’aime!

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  2. Richard Mouren Richard Mouren

    Quelles découvertes je fais grâce à vous! Merci

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  3. Patafanari Patafanari

    L’Hotel de Ville est proche des cellules Daviel, La roche Tarpéienne est proche du Capitole.

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