Michel Samson vous présente
Chronique du Palais

Les sourires du Palais

Chronique
le 24 Mai 2016
0
Les sourires du Palais
Les sourires du Palais

Les sourires du Palais


Depuis des mois, Michel Samson se rend tous les jours au Palais. L’ancien correspondant du Monde, journaliste et écrivain, y enquête sur la justice au quotidien, sur ses réalités multiples et les images qu’elle renvoie. Cette semaine, il aborde la – rare – question de l’humour au tribunal.

On s’amuse parfois au Palais. Pas souvent, bien sûr, les drames à grande ou petite échelle sont rarement drôles. Trois conditions doivent être réunies pour qu’on se divertisse : que l’affaire ne soit pas trop dure ; que le président ou la présidente du tribunal sache plaisanter, ce qui est assez rare ; et que le public puisse être complice, ce qui est encore plus rare. Et bien le 10 mai dernier c’est arrivé, et, chance, j’y étais.

La chambre est présidée par Fabrice Castoldi, vice-président du TGI de Marseille qui tient à garder “des mains dans le cambouis”, l’expression est de lui. Elle signifie qu’en dehors de sa fonction qui consiste à organiser la juridiction ou à présider la commission d’expulsion, il préside régulièrement des audiences. Ce jour-là donc, cinq avocats en robe noire sont devant lui, un peu en contrebas, avec deux justiciables un peu perdus, un jeune marin-pompier costaud et sa petite maman, employée municipale. Il s’agit de décider si le tribunal va accepter le report d’une affaire concernant “monsieur Dja…” (je n’entends pas le nom, ces conciliabules préalables sont tenus à mi-voix et confus… ndlr), mis en examen pour “usurpation du titre d’avocat” et malheureusement absent. Il a été convoqué, l’avocat de ce non-avocat ignore pourquoi il n’est pas là. Les discussions s’éternisent, arguments des autres et des uns, les avocats sont revenus derrière leur barre…

“Tout ça pour ça” lance à voix claire le président qui ajoute “je ne sais plus qui a dit ça”. “Lelouch !” dit à voix très haute Me Amram, qui représente l’Ordre des avocats. “Qui ?” demande le président. “Lelouch !” répète Amram. Le président, dans un sourire :  “C’est le titre du film… J’espérais au moins que vous alliez me dire Nietzsche… “, rires partagés par les robes noires et les six personnes présentes dans la salle. La discussion continue, échanges sur les adresses, les envois arrivés, reçus, égarés, confusion, le défenseur est pour le report. Le président : “Monsieur Djalalli a été régulièrement cité (…) Sur ces faits très anciens, certains remontent à 2001, renvoyer à un an est très pénalisant pour la partie civile, à trois mois pénalisant pour le tribunal, qui n’est pas taillable et corvéable à merci”. Les trois juges se retirent : rejet du renvoi, “l’affaire sera jugée réputée contradictoire”, l’avocat de l’absent n’est pas mandaté mais… Le président commence donc à expliquer l’affaire “je lirai les déclarations de Mr Djala…”, “Djabali” lance Me Amram qui, dans une mimique, glisse à voix basse aux deux journalistes présents “il n’arrive pas à dire son nom”.

“Des pièces en vrac”

“Je dois donner de la cohérence à des pièces en vrac” continue le président, qui demande à la justiciable défendue, la petite dame, depuis combien de temps elle savait que l’absent n’était pas un avocat. “Ça fait longtemps, maître” répond-elle, “C’est flatteur” répond le président qu’on ne peut appeler que “Président”, il lève les yeux vers les “maîtres”, qui lui sourient, assez contents. Ne comprenant pas comment ce jeune homme et sa mère ont pu confondre un avocat qui recevait… dans un garage, il reprend : “Si un Marseillais appelle les pompiers et que les marins-pompiers arrivent en trottinette avec une casquette sur la tête, ils vont se douter qu’il y a un problème”,  rires des présents.

Il poursuit “peut-être avez-vous été aveuglés par Dadji… “, “Djabali” souffle encore Amram, voix forte –ces lapsus répétés l’amusent beaucoup. Un peu plus tard dans ce procès décidément rieur, le président explique : “Un avocat d’un des plus prestigieux des barreaux de France, sinon LE plus prestigieux…”, il sourit de sa formule, échange de petits rires avec les membres du barreau, “qui reçoit dans un garage, quand même… !” Reprend la lecture des pièces où sont consignées les déclarations de l’absent qui a déclaré : “J’ai fait l’écrivain public, et le 1er avril 2008″, une main en l’air, sourire discret du président que la date amuse, “le premier avril, on n’y peut rien, c’est comme ça… “. Décidément cet après-midi est celui du petit plaisir des mots. Il rappelle, il aime cette formule, qu’il essaie “de rassembler les pièces du puzzle et de lui donner de la cohérence”, exercice manifestement délicat dans cette affaire de faux avocat qui en a été un vrai en 1974, avant d’être radié de l’Ordre en 1999, a fait appel, a perdu, cour de cassation, appel et a encore perdu.

Plaidant pour ces justiciables qui avaient été voir le faux avocat pour un vol de voiture et avaient  payé “300 euros en liquide chaque fois qu’ils venaient le voir”, Me Reynaud, leur vrai avocat donc, explique que ses clients “sont les gens simples” qui ont cru ce que leur disait celui qui avait “affiché ‘Me Djabali, avocat’, sur la porte de son bureau dans le garage automobile”. Le représentant de “l’Ordre des Avocats du barreau de Marseille”, qui “aime la robe qu’(il) porte”, rappelle que Marc Djabali, celui que justement on ne peut plus appeler maître, a été radié pour onze dossiers et qu’il n’a pas respecté “le serment que nous avons : délicatesse, honneur, dignité, probité”. Quant au défenseur de celui qui dit s’être présenté comme “conseiller judiciaire”, Me Dezauze, il dramatise l’affaire : “On ne frappe pas quelqu’un à terre, celui qui a été malade pendant des années et malade de sa radiation…”. Mais il joue ensuite, d’un ton grinçant et amer, sur l’humour dans lequel a baigné cet étrange procès : “Comment peut-on faire croire qu’un avocat a son bureau dans un garage, avec une plaque… ? Ça prête à sourire. Je pourrais plaider la démence, parce qu’en général les escrocs sont très intelligents et ne se trompent pas sur des choses de ce genre, ils savent comment se présenter justement…”.

Ce n’est que le 14 juin qu’on saura ce que, “après avoir délibéré”, le tribunal aura décidé.

Le lendemain le même président siège dans la même salle. Le public est installé, deux jeunes gens montent de la geôle entre des policiers, tournent la tête et saluent, pouces en l’air et sourires aux lèvres, leurs amis et frères présents dans le public. Qui, sourires aux lèvres, répondent avec leurs propres pouces en l’air. “On n’est pas au stade, les encouragements ou les signes de la main, c’est vraiment pas l’endroit” lance le président, qui ne rigole pas. Et quand le téléphone d’une dame sonne et qu’elle discute avec le policier qui s’est approché d’elle pour  faire éteindre l’appareil, il lance d’une voix affirmée et puissante : “Madame, on ne discute pas, on sort…” -ce qu’elle fait sous l’œil du policier.  Cet après-midi, on ne va pas s’amuser, c’est clair…

 

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire