Malika Moine vous présente
Cuisine à croquer

Le pilaou et les achards d’Hadidja Bacari

Chronique
le 10 Oct 2020
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Pour Marsactu, Malika Moine va à la rencontre des gens dans leur cuisine et en fait des histoires de goût tout en couleurs. Aux Chartreux, Hadidja Bacari mitonnes des plats comoriens.

Le pilaou et les achards d’Hadidja Bacari
Le pilaou et les achards d’Hadidja Bacari

Le pilaou et les achards d’Hadidja Bacari

Lorsque j’arrive chez Hadidja et sa famille, je ne connais d’elle que sa voix chaleureuse et enjouée. L’artiste de hip-hop Soly Mbaé m’a vanté ses talents de cuisinière et il nous a mis en lien. Enthousiaste, elle m’a proposée la recette du pilaou, une sorte de “paella comorienne”. Comme je ne connais guère la cuisine comorienne, hormis les samboussas dont je raffole, je suis ravie d’en découvrir davantage. Le rendez-vous est fixé ce dimanche car le fils d’Hadidja n’a pas basket.

C’est lui qui, tout sourire, vient me chercher en bas de l’immeuble situé aux Chartreux (4e). Sa grande sœur m’accueille chaleureusement dans l’appartement. “Tu es à quel collège ?”, et tout en formulant ma question, je pense : “je me trompe…”. Et pétillante, elle me répond : “Je suis en seconde année de fac de droit”. Hadidja arrive et me sort d’embarras en m’invitant à l’accompagner. D’emblée, elle me propose un boubou pour éviter que les odeurs de cuisine n’imprègnent mes vêtements.

Des épices de Moroni et Zanzibar

“Je travaille au port maritime comme comptable gestionnaire, je suis mariée et j’ai 3 enfants”, se présente Hadidja. Elle me désigne la belle cocotte en fonte qui repose sur la cuisinière à induction : “C’est de la viande rouge qui marine depuis hier soir avec des épices, j’en ai mis 2 kg, on est de gros mangeurs…”

Et elle sort du placard un panier d’épices. “Je les rapporte du marché de Volo Volo à Moroni aux Comores. Celles qu’ils ne font pas pousser viennent de Zanzibar” explique Hadidja qui les moud et les mélange elle-même.

Recette du Pilaou pour 6 gros mangeurs, à mettre à mariner la veille :

– 2 kg de gîte de bœuf coupé en petits bouts comme pour la daube

– 1 oignon blanc et 1 oignon rouge émincés, ou des échalotes

– 4 gousses d’ail épluchées, dégermées et râpées

– 2 belles cuillères à soupe d’un mélange d’épices composé de : 2-3 clous de girofle, 2-3 gousses de cardamone, un peu de noix de muscade râpée avec un couteau, un peu de poivre, un bâton de cannelle, des graines de cumin

– 1 morceau de racine de curcuma à râper

– De l’eau pour le bouillon

– 3 bols de riz basmati

– Du ghee (beurre clarifié)

– Du concentré de tomate

Hadidja a mis la viande à mijoter un peu avant mon arrivée. Elle doit cuire une heure ou un peu plus, “on verra au toucher si elle est tendre”. Elle me raconte :

“Je suis née aux Comores et suis arrivée en France à 8 ans avec le regroupement familial. Mon père était navigateur, il faisait de la manutention sur les bateaux, mais c’était il y a longtemps car il a autour de 90 ans… Ma mère est beaucoup plus jeune, elle est de 59. Elle est la quatrième d’une fratrie de 8 enfants. Pour ses parents, c’était rassurant de marier leur fille à un homme qui avait une situation stable. Ils ne se connaissaient pas, c’était un mariage arrangé. Quand je suis née elle avait 14 ans, c’était comme ça à l’époque.

Quand il y a eu le référendum aux Comores, mon père a choisi la nationalité française. Ma mère l’a rejoint avec mon plus jeune frère. Je suis restée aux Comores chez ma grand-mère avec mon autre frère pendant 3 ans. Je me souviens seulement que ma grand-mère nous emmenait à la ville pour téléphoner à mes parents.

Je me rappelle aussi la nuit de mon arrivée en France. Tout le monde dans les rues était content. C’était le 21 mai 1981, le jour de l’élection de Mitterrand. On est arrivé à Félix-Pyat dans un petit appart que mon père avait acheté. Mes parents nous ont mis dans une école de sœurs à Saint-Mauront pour qu’on apprenne vite le français. Après, on a déménagé à Frais-Vallon. C’était la bonne époque, c’était familial, il y avait de l’entraide. Mon histoire est commune à beaucoup de ceux de ma génération.”

Hadidja sort du frigo des achards qu’elle a préparés la veille pour accompagner le pilaou. Les achards se conservent un mois au frigo. On peut les manger aussi avec du riz au lait de coco et à la cardamone. “Cette recette, je la tiens de ma mère qui la tenait de sa mère…”, dit-elle.

La recette des achards

– 3 carottes

– 1 quart de choux blanc

– 1 poivron vert

– 1 poivron jaune

– 1 poivron rouge (pour la couleur, on peut aussi mettre 3 poivrons identiques)

– 1 oignon blanc

– 1 oignon rouge

– 500 g de haricots verts

– 1 gros bout de gingembre

– Le jus d’1/2 citron jaune

– Le zeste d’1 citron vert

– Du vinaigre de cidre

– Un bout de racine de curcuma

– Le mélange d’épices sus-dit

– Huile d’olive

 

Craquant, acidulé, savoureux

Hadidja émince finement les oignons. Dans une casserole, elle verse une bonne quantité d’huile d’olive. Quand l’huile est chaude, elle y jette une cuillère à soupe du mélange d’épices. Elle y plonge les oignons pour les faire saisir. Son téléphone sonne, c’est une de ses amies : “Je troque avec toi une jupe sur mesure contre du madaba pour moi et mon homme !” Hadidja accepte en riant : “Le madaba, c’est un plat de feuilles de manioc. C’est très long à faire, ça mijote toute une journée…”

Tout en discutant des vertus du troc, Hadidja retire les oignons et les met à égoutter dans une passoire qu’elle porte sur la terrasse pour qu’ils refroidissent. Elle remplace les oignons par les haricots verts qu’elle touille avec une spatule en bois. Là encore, c’est rapide, “il faut qu’ils soient juste saisis, mi-cuits, ils doivent rester croquants !” Elle les égoutte, les emporte sur la terrasse à refroidir et met les poivrons finement émincés. Puis, c’est au tour des carottes coupées à l’économe. Enfin, elle rajoute un peu d’huile et le choux passe rapidement à la casserole, avant de prendre le frais au balcon. Les épices embaument !

On retourne chercher sur la terrasse les oignons et les haricots verts qu’Hadidja mélange dans une belle bassine. “Il faut que les légumes soient froids, sinon, la chaleur accélère la fermentation et avec le cidre, ça donne un mauvais goût”, explique-t-elle avant de reprendre le fil de son récit :

“Chez nous, traditionnellement, les filles cuisinent. Le grand reproche de ma mère, c’est que je ne mets pas assez mes filles à la cuisine. Je ne leur impose pas, je préfère les voir réviser. Mais pour elle, une fille grandit, se marie et doit savoir cuisiner et tenir sa maison. “Mais maman, on est en 2020 ! les études, c’est important !”, lui dis-je. Mes filles à moi trouvent que je fais du favoritisme avec leur petit frère parce que c’est un garçon, mais c’est parce qu’il est plus petit que je lui demande un peu moins de participer… L’important, c’est de prendre plaisir.”

Hassan, le mari d’Hadidja entre dans la cuisine, et repart aussitôt pour accompagner sa maman faire des courses. Il ne mangera pas avec nous à midi. “Hassan fait “des plats de semaine”, des pâtes, du riz, quand il rentre avant moi du travail ou que j’emmène notre fils au basket, et c’est déjà bien et rare pour sa génération”, dit Hadidja.

Au mélange pour les achards elle ajoute le choux, les carottes et les poivrons, y râpe le curcuma et le gingembre, presse le demi citron jaune, zeste le citron vert, verse une bonne rasade de vinaigre de cidre, sale et mélange bien le tout. Les achards doivent mariner au moins jusqu’à demain. Je goûte, c’est craquant, acidulé, savoureux. Mais l’heure avance, il est temps de s’occuper du riz pour le pilaou.

Je suis contente ! D’habitude, je suis seule dans la cuisine.

Hadidja place la boîte de ghee au bain marie. Pendant ce temps, elle sort un sac de 10 kg de riz basmati. Elle prend 3 bols de riz qu’elle verse dans une petite bassine pour le rincer, “trois fois, comme [sa] mère”. Elle a transvasé la viande et la marinade dans un saladier et remet à chauffer la cocotte avec une bonne quantité de ghee fondu. Comme il n’y a plus de concentré de tomate, elle râpe dans le riz un bout de racine de curcuma “pour la couleur”. Dès que la cocotte est chaude, elle verse le riz au curcuma et le fait rapidement revenir, sale généreusement et ajoute la viande. Elle met de l’eau à couvert et mélange. Le feu est fort, jusqu’à ce que l’eau s’évapore. Elle couvre alors la cocotte de papier alu, met le couvercle et baisse à 3 le feu à induction.

“La bouffe c’est la vie”

Hadidja a rencontré son mari quand elle était au lycée. Comme elle était pas bonne en math, sa maman a demandé à Hassan de lui donner des cours. “Je suis passé de 6 à 12 de moyenne, et je l’ai épousé”, sourit-elle avant de me montrer des photos du grand mariage aux Comores : “C’est l’occasion de verser un impôt au village, qui sert à faire les routes, l’école. Il y a beaucoup de corruption et le gouvernement central ne s’en occupe pas.” Sur les photos, on voit sa maison :

“Traditionnellement, c’est la fille qui hérite de la maison familiale, et l’homme qui vient y vivre. S’il y a divorce, c’est lui qui s’en va. Mais, maintenant ça change. On a acheté un terrain, et si on divorçait, on le vendrait et on partagerait… En même temps, la femme a la responsabilité de s’occuper de ses parents. Quand après m’être mariée, je suis partie vivre trois ans à Bondy, en région parisienne, j’ai été très malheureuse. On est revenu vivre à La Castellane en 2004 pour voir mes parents qui étaient à Félix-Pyat. J’y passe presque chaque jour, même deux minutes, en partant au travail.”

Hadidja m’invite à mettre la main à la pâte pour la préparation d’un jus de tamarin. “Ha, je suis contente ! D’habitude, je suis seule dans la cuisine”, s’exclame-t-elle. On enlève les graines des gousses de tamarin qu’elle a mis la veille à macérer dans l’eau avec un peu de cardamone et du sucre. “Je bois ça depuis l’enfance. Hélas, mes enfants préfèrent aller s’acheter des jus au supermarché…” Elle poursuit :

“Les premières années, c’était bien à La Castellane, il y avait beaucoup d’entraide, de solidarité. Après, ça s’est dégradé, le trafic s’est intensifié. Quand tu as des enfants, que tu travailles et que tu peux pas les surveiller, c’est pas possible. Il y a un petit de 17 ans qui s’est fait tuer sous ma fenêtre. C’est ce qui nous a décidé à partir. Dans la communauté, on se connaît tous et quand il arrive malheur comme bonheur on va chez les gens présenter les condoléances ou les félicitations. Ici, aux Chartreux, certes, avec les voisins, c’est chacun pour soi, mais au moins, les enfants ne sont pas exposés.”

Elle filtre le jus, m’en sert un grand verre, rajoute des glaçons. C’est un délice.

Tout est prêt pour passer à table. Mais c’est dimanche, tout le monde s’est endormi ! Jawdan se réveille et nous aide à mettre la table. Les filles ne se lèvent pas et Hadidja ne s’en offusque pas : “Quand elles auront faim elles viendront, et même si elles ne viennent pas, il y en aura plus pour nous !”

Hadidja nous sert des assiettes grandioses. C’est délicieux. La viande est tendre, le riz parfaitement cuit. Les achards un peu acidulés et très parfumés colorent délicieusement l’assiette et le palais. Le piment de la maman d’Hadidja relève le tout. Comme dit Hadidja : “La bouffe c’est la vie !”. Quel délicieux dimanche ! Et en plus, je me suis fait une nouvelle copine !

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