La soupe de Mado au cabanon
Pour Marsactu, Malika Moine va à la rencontre des Marseillais dans leur cuisine et en fait des histoires de goût tout en couleurs. Cette semaine, elle plonge en pleines traditions marseillaises avec une soupe de poissons dégustée au cabanon de son amie Mado.
En cuisine avec Mado, à Samena. (Illustration Malika Moine)
Mado est ma voisine du rez-de-chaussée. Née juste à côté, rue Chateau-Payan, il y a 85 ans, elle a toujours vécu dans le quartier. Mais c’est au cabanon qu’elle passe l’été. Alors elle m’a envoyée chercher les poissons de roche au Vieux-Port, pour faire la soupe, comme elle la mangeait antan.
Pour être sûre de ne pas rentrer bredouille, je me pointe au port à 9 h, après un bon bain aux Catalans. Ouf ! Les poissons de roche frétillants m’attendent encore, et je trouve des tranches et une belle tête de fielas (congre). En remontant à la maison, une rascasse bouge encore…
Une enfance à Samena…
On arrive à 13 h à Samena, et Mado nous accueille avec un veau aux olives bien mijoté, dont on se régale dans le beau jardin ombragé. Au fil du temps, le cabanon est devenu une maison, divisée en deux lorsque sa maman et son oncle en ont hérité. À l’intérieur, de jolies peintures figuratives : “Mon oncle, Duranton était peintre du dimanche et en bâtiment. Il m’emmenait de partout, j’ai connu Ambrogiani et tous les grands peintres de l’époque”. Mado se souvient : “On allait pêcher les bogues aux Pierres plates… On venait en tramway et chaque fois, c’était une expédition, on savait à quelle heure on partait, mais pas quand on arriverait. Quand il y avait du vent, la perche foutait le camp tous les 50 mètres… Le tram s’arrêtait à Montredon, en face de l’usine de produits chimiques Mante”. Mado tricote un bonnet assorti à une veste pour donner aux enfants malades de la Timone, tout en se souvenant : “avec les copains et les copines, on allait à la mer et dans les collines. À l’époque, il y avait beaucoup d’enfants dans le quartier. On était libres pourvu d’être à l’heure aux repas… “
“Mon arrière-grand-père – le premier à acheter à Samena, a payé le terrain un sou le m². Il allait chercher des pierres à la carrière derrière avec le maçon et une brouette. Quand les Américains ont bombardé, la maison n’a pas bougé ! On avait une citerne, des toilettes sèches et l’électricité en 43 parce que j’ai failli mourir des fièvres typhoïdes : Ma mère a porté le certificat du docteur et ils ont dit « Peuchère, elle est très mal, la petite, on va leur mettre l’électricité ! » Et ils ont tiré les fils…”
Dans le jardin, on faisait pousser ce qu’on pouvait. Les cartes de ravitaillement étaient chères et mes parents étaient très pauvres.
Mado est comme un livre ouvert, mémoire vivante de ces années qui l’ont marquées. “Les Allemands étaient dans le fort, là-haut. Ils avaient miné toute la côte et la calanque, ils croyaient que les Américains débarqueraient ici… Nous, on crevait de faim. Dans le jardin, on faisait pousser ce qu’on pouvait. Les cartes de ravitaillement étaient chères et mes parents étaient très pauvres. On faisait la queue à cinq heures du matin pour un kg de pommes de terre. Il faisait froid, j’avais faim et je me disais « quand tu seras grande, tu feras jamais la queue ». L’autre jour, au marché paysan, j’ai pensé à ça et je suis partie de la queue…”
… pendant l’occupation
“En face, à la place de ma cardiologue, il y avait Fifi, toujours assise sur sa terrasse et qui nous donnait du pain sur sa ration. La fille des voisins d’à côté, des grenouilles de bénitier, fricotait avec les Allemands et descendait toujours avec un panier bien garni. Alors, Fifi lui lançait « Bordille ! Connasse ! Salope ! » et mes parents avaient peur qu’elle soit dénoncée, mais non…
Un jour, en 42, j’étais avec ma mère au bac à sable, à l’entrée du Parc Chanot. Je jouais avec un petit garçon. Un Allemand est arrivé et subitement, il a tué l’enfant. Ma mère m’a prise dans ses bras et elle a couru avec moi sans s’arrêter jusqu’à Castellane. Tu me feras jamais voir un film de guerre parce que moi, je sais que quand tu meurs, tu te relèves pas. »
Mado raconte encore : “ma mère travaillait chez un grand couturier « Couture de Paris », rue Montgrand, ouvrière payée à l’heure. Si elle avait cinq minutes de retard, on lui levait demi-heure de salaire. Mon père était docker. J’ai pas connu ses parents, venus à pied du fin fond de l’Italie avec mon père sur les bras. Il me disait toujours « Qu’est-ce que j’ai pu souffrir, à l’école… ». À l’époque, le racisme était dirigé contre eux ! Mes parents se sont mariés en 27, et mon grand-père est mort en 28, c’est ma mère qui a élevé mon oncle qui avait huit ans alors. Quand il a voulu se marier, pendant la guerre, il y a eu conseil de famille. J’avais six ans, ma mère nous a dit, à mon frère et à moi « Vous bronchez pas ! »“.
Mon oncle : « Il y a un problème…
Ma mère : Ne me dit pas qu’elle est enceinte…
Mon oncle : Non, elle est juive.
Ma mère : Haaaa, ça, c’est pas un problème ! »
Et mes parents l’ont planquée jusqu’au mariage après la guerre. Sa famille habitait rue d’Aubagne. Mon père les avait prévenus “Il faut partir, j’entends qu’il va y avoir des rafles !”, mais eux n’y croyaient pas. Ils ont tous été déportés”.
Mon grand-père maternel était de l’Allier et quand il a fait son tour de France comme ébéniste, il a rencontré ma grand-mère à Marseille.
La recette
Ma grand-mère et ma mère cuisinaient. Je les ai toujours regardées faire… Mon père et mon oncle revenaient de la pêche avec des poissons et on faisait la soupe, ici, au cabanon…
Ingrédients pour 6 personnes et le lendemain :– 1 bon kg de poissons de roche : roucaous, Saint Pierre, rascasses…– 6 tranches de fielas fermé (moins cher)– 1 tête de fielas– 3 tomates mûres – 1 oignon– du fenouil sauvage– 3 gousses d’ail– safran, piment et sel– 1 sac de pain grillé du boulanger
Mado ne fait pas de rouille, elle frotte le pain grillé d’ail mais mon fiston a apporté de quoi en faire une (la recette de Loury) :
Pour la rouille :– 1 œuf – 1 gousse d’ail par personne, plus une– un pomme de terre cuite– piment et safran– huile d’olive
Je coupe menu l’oignon. Mado le met à frire dans un grand faitout avec une belle rasade d’huile d’olive. “Il faut que l’oignon s’imprègne bien de l’huile, puis, tu envoies le fielas avec la tête.” Ensuite, elle rince et égoutte les autres poissons, avant de les ajouter et “de bien les faire revenir en tournant”. Elle épluche les tomates, les coupe en petits bouts, les balance dans le faitout. Elle ajoute une bonne quantité d’eau, le fenouil ficelé, le sel, le piment, le safran, couvre et laisse bouillir. On peut oublier le plat 3/4 d’heure à feu moyen, plus qu’il n’en faut à mon fils pour faire la rouille.
Il écrase l’ail au pilon, puis, la pomme de terre à la fourchette, ajoute le jaune d’œuf, du safran et un peu de piment, avant de monter le tout à l’huile d’olive…
Mais attention, ce n’est pas terminé ! Quand la soupe est cuite, Mado ôte le bouquet de fenouil et les morceaux de fielas du faitout pour leur enlever l’arête centrale. Elle remet la chair du poisson dans la soupe et mixe.
Puis, elle prend une autre marmite sur laquelle elle met une grande passoire. C’est bien d’être au moins deux. Tandis que l’un tient la passoire, l’autre écrase le poisson avec un pilon plat – Mado tient le sien de son arrière grand-mère – afin que tout le suc sorte et que ne restent que les arêtes. Louche après louche, la soupe s’épaissit… ne reste plus qu’à se mettre à table et aujourd’hui encore, tandis que j’écris, l’eau me vient à la bouche en me remémorant le festin de cette douce soirée d’été sous l’acacia au cabanon…
Commentaires
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Savoureux ! Et émouvant…
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Belle histoire, j’aime particulièrement les récits de la guerre. Beaux dessins, belle recette, émouvant. Merci pour ce bel article!
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Jolie et émouvante histoire, la recette est bonne, Loury est un chef qui s’y connait.
Un accent oublié qui change tout : fialas fermé et non ferme (au contraire du fielas ouvert, la partie entre la tête et l’anus du poisson où il y a moins d’arêtes)
Un e qui change le sens : la chair du poisson, pas la chaire
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On se régale de tout dans cet article !
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