Sandrine Lana vous présente
Voilà le travail

Jenna, influenceuse en télétravail permanent

Chronique
le 9 Mai 2020
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Avec "Voilà le travail", la journaliste Sandrine Lana aborde le sujet quotidien qu'est le travail en partant des femmes et des hommes au labeur.

montage de quatre images dInstagram de Jenna.
montage de quatre images dInstagram de Jenna.

montage de quatre images dInstagram de Jenna.

Audrey, Nelly, Ophélie, Camille, Caroline, Pauline… Elles sont quatre-vingt-huit mille à suivre Jenna MZN sur Instagram. Ses followers lui permettent aujourd’hui de faire de son image ultra maîtrisée en ligne un vrai boulot. Jenna a 25 ans et est blogueuse-influenceuse, depuis son appartement aixois et naviguant entre Aix et Marseille.

Comment ça peut marcher ? Prenons son post du jour. Jenna y pose en robe rouge légère, la lumière du jour qui perce les rideaux blancs tombe sur le visage souriant. Elle fixe l’objectif qui la croque. Entre ses mains, un miroir en forme d’œil grand ouvert doré. Sous la photo une phrase sibylline : “le meilleur est à venir…”. Très vite, quelque 5 000 likes et plus de 200 commentaires : “Trop génial cette photo”, “J’adore” mais aussi “D’où vient ton miroir ?” Voilà la clé.

“Je réponds à tous les commentaires. Cela me prend entre quatre et cinq heures par jour.” Sous le dernier commentaire, Jenna réoriente vers la page Instagram du vendeur en ligne qui lui a certainement fait envoyer ce miroir. Une future vente à la clé pour lui ?

“Il y a six ans, je ne savais pas que ça allait devenir un métier. J’ai commencé par partager des photos en ligne puis au fil du temps, j’ai créé une communauté autour de moi.” Plus les gens la suivent, plus les marques s’intéressent à elle et à sa communauté, un public ultra-ciblé de jeunes femmes branchées lifestyle du Sud-Est et d’ailleurs. “Avant, les marques ciblaient la télévision pour vendre un shampoing, elles visaient aussi bien la grand-mère que les jeunes alors qu’en ligne, tes abonnés sont des nanas qui te ressemblent en général.”

De sept heures, quand son réveil sonne, au repas du soir, où Jenna s’accorde un temps hors connexion, la jeune femme diplômée de Kedge, décortique les nombreuses propositions de marques, commerçants, boutiques en ligne dont elle sélectionne environ 5 %. “Je ne veux pas que ma page Instagram deviennent téléshopping. Cette semaine, j’ai reçu des demandes de partenariats de boutique en ligne de fringues, mais je vais refuser, je travaille déjà avec d’autres. J’ai aussi reçu une proposition d’une marque de matelas, mais j’ai refusé, je n’en ai pas besoin”, s’amuse-t-elle. Ensuite, elle retouche ses images, réponds aux commentaires, pose…

Chez elle, trônent des meubles reçus qui apparaîtront sur l’une ou l’autre photo ou story sur Instagram. “Les trois-quarts des choses que j’ai dans mon appartement, j’ai eu la chance des les recevoir”. La blogueuse est totalement consciente de cette engouement pour son “travail-passion” et de l’équilibre économique qu’elle a créé autour d’elle : “J’ai été une étudiante boursière ++, je viens d’un milieu modeste, j’ai bien conscience de cette notion de chance.”

Avoir sa vie exposée en ligne, cela peut paraître malsain, égocentrique, voire dangereux. Jenna balaie cette perception de son univers que nous nous faisons. “Je ne montre que ce que je veux de ma vie. C’est moi qui publie tout. Je contrôle tout ce que je partage. Je ne montre ni ma famille, ni mes proches, par exemple. Quand j’en ai besoin, je peux me déconnecter deux jours.”

Entendu. Et ces marques qui utilisent l’image d’une jeune femme flamboyante ? “Chaque marque a sa stratégie de communication. Beaucoup incluent maintenant une ‘stratégie influence’ sur les réseaux sociaux. En présentant les 5 % d’offres que je reçois, je minimise les risques d’une mauvaise collaboration.” Son passage sur le campus et sur les bancs de la Kedge Business School de Luminy lui ont appris la polyvalence du marketing d’influence. “C’est une boite à outils des métiers du commerce que j’y ai acquis : compta, gestion de contrats… Être blogueuse est un métier très polyvalent.” Même si sa carrière a pris son envol pendant ses études.

Les marques payent ainsi Jenna et les influenceuses pour qu’elles portent leur robes, écrivent sur leur dernière crème cosmétique, organisent des concours pour gagner leurs produits… “Aime cette page, invite deux ou trois amies à faire la même chose pour participer au concours.”

“Plus tu as de monde qui te suit, plus tu peux en vivre. C’est comme à la télé finalement, passer à TF1, ça rapporte plus que de passer sur la chaîne 58”, ironise Jenna. Entre 10 et 20 000 abonnés ne permettent d’atteindre un vrai salaire en étant assez courtisée par les marques. “Avec environ 100 000 abonnés, tu peux très bien vivre et gagneras bien au-delà de 2000 euros. Si tu proposes à tes 100 000 abonnés un shampoing, c’est la marque qui va te payer pour ça”.

Parmi les publications sponsorisées, Jenna publie spontanément au jour le jour des belles prises de vue, des sourires éclatants, ses sensations du quotidien, qui rendent peut-être celui de ses abonnées plus doux…

Dans le monde du marketing d’influence, difficile de prévoir l’avenir. Il évolue au fil de l’acceptation des réseaux sociaux par les utilisateurs et de leurs pratiques d’achat. Et en ce moment particulièrement, les choses évoluent. “Les magasins sont fermés et les gens continuent à acheter sur des plateformes e-commerce. Nous, blogueurs, communiquons sur des shops en ligne des marques. C’est donc même positif pour nous.”

Le confinement n’a pas tellement changé un quotidien passé en grande partie derrière un écran d’ordinateur. Les centaines d’interactions quotidiennes en ligne éclipsent un travail tout compte fait solitaire. À voir si l’après 11 mai signifiera le retour d’invitations à des inaugurations de boutiques ou de restaurants où Jenna pourra être vue.

Sandrine Lana
Journaliste indépendante qui a quitté l'hyper-centre de Marseille pour l'hyper-vert de la Provence. Je travaille sur les thématiques médico-sociales, sociétales et migratoires pour la presse française et belge. J'associe parfois mon travail à celui d'illustrateurs pour des récits graphiques documentaires.

Commentaires

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  1. didier L didier L

    Bof …et des millions de petits TF1 fleuriront pour occuper les espaces de cerveaux disponibles et vendre leurs soupes. Marsactu un peu décalé du “mainstream” perdrait-il son regard et esprit critiques ?

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  2. Alain M Alain M

    Consternant…cette apologie de la marchandisation du vide et du futile me navre. Même Guy Debord n’aurait pas pu imaginer cette hystérisation souriante du frivole, ce narcissisme accroché comme une décoration. Beurk…je suis heureux que mes enfants aient échappé à cette vie de merde. Par ailleurs je suis abonné à Marsactu , pas à Gala ou Prima ou autres miroirs aux alouettes sans tête. J’aimerais que Marsactu me propose des sujets plus consistants. L’actualité n’en manque pas , non?

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    • vékiya vékiya

      c’est une rubrique “voila le travail” et c’en est un. nous sommes abonnés à un média indépendant, pour ma part je n’attends pas qu’il me livre uniquement des infos qui me conviennent. effectivement je trouve le job de cette fille complétement inutile et à contre courant de ce qui m’intéresse, j’espère que mes enfants échapperont à ça.

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  3. Alceste. Alceste.

    Ce sujet est très consistant pour reprendre votre expression, au contraire . Cela démontre et confirme l’abrutissement via la télévision et internet des gens. Regardez les scores d’Hanouna, de Nabila ou bien de ces influencenseuses.
    Alors Marsactu s’est un peu fourvoyé, mais à tout malheur, vous connaissez la suite.
    Imaginez le résultat en politique, enfin pas besoin nous avons ce qu’il faut à Marseille.

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  4. Tarama Tarama

    Au premier abord, j’ai ressenti un peu la même consternation. Tu fais quoi toi dans la vie toi ? Panneau publicitaire ambulant (= blogueuse lifestyle).

    Mais au final je trouve ça bien de connaître cette facette de la société, et sur la fin de l’article on sent poindre le fait que c’est un métier comme un autre, avec les mêmes désagréments (la vie passée devant un écran, la précarité, etc.).

    Mais il ne blogueuse en activité ne dira jamais plus, puisque c’est une activité uniquement basée sur l’image, une image positive, et où en tant qu’indépendant, il n’y a aucune protection.

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  5. Lisa Castelly Lisa Castelly

    Bonjour, comme d’autres l’ont déjà rappelé, cet article fait partie d’une chronique de week-end “voilà le travail” qui interroge des individus sur leur métier, leur rapport à celui-ci, comment leur vie s’organise autour : nous avons déjà publié des portraits de CPE de collège, de lobbyiste, avocate, pompier, bergère… Les influenceuses font partie de ces métiers “bizarres” qui ont vu le jour ces dernières années et cette chronique n’a pas d’autre but que d’en expliciter le fonctionnement et la réalité économique et pratique. Sandrine Lana ne manque pas de pointer les questionnements, les paradoxes qui en font partie, et Jenna y répond à sa façon.

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  6. leb leb

    Donc l’école privée Kedge Business School de Luminy a coupé des centaines d’arbres dans le Parc National des Calanques afin de s’agrandir et de pouvoir former des jeunes actifs à pigeonner d’autres jeunes actifs via ce type d’activité. Le mot “décadence” n’est pas assez fort pour qualifier ce qui arrive dans notre société.

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    • Bellemontagne13 Bellemontagne13

      Comme vous avez raison !!!

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    • PromeneurIndigné PromeneurIndigné

      Le nombre des écoles de commerce a augmenté comme notre déficit commercial!

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    • Pascal L Pascal L

      Quand la production coûte très peu il est normal de bien payer les petits jeunes qui suent pour vous vendre des trucs (et parfois des merdes) à 50 fois leur prix. Mais ce système est forcément condamné. Entre temps, il y en aura toujours pour en profiter. D’ailleurs ceux qui en profitent le plus ne sont pas ces petits dealers mais leurs employeurs

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  7. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    On peut lire dans” Le Monde Diplo” sur un sujet proche l’article de Lizzie O ‘ SHEA ” Les Emplois non qualifiés n’existent pas “

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  8. barbapapa barbapapa

    Si Jenna arrive à gagner sa vie en fourguant des miroirs en forme d’oeil et des shampoings, c’est que 80.000 tâches trouvent un intérêt à ces trucs

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  9. Latécoère Latécoère

    Que d’aigreur, de mépris, de suffisance, dans les commentaires sur cet article: Beurk, abrutissement, consternation, décadence, 80 000 tâches … C’est un peu démesuré peut-être non ?
    La gamine fait un métier que nous ne connaissons et ne comprenons pas. Elle se débrouille plutôt bien, et aucun d’entre nous ne serait capable d’en faire autant. Moi aussi je déteste Aix-en-Provence, le mot « Lifestyle » me fout des boutons, et je ne suis pas le bon client pour le miroir-œil. Mais je reconnais le boulot abattu. Et sur le fond, elle évite le salariat et les petits chefs, la grisaille des bureaux, la bouffe de la cantine, les transports en commun, les chèques vacances… Finalement si c’était ma fille j’en serait plutôt fier.

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    • PromeneurIndigné PromeneurIndigné

      Pour mieux connaitre ce métier lisez le numéro de 265 de Septembre 2019 de l’hebdomadaire ” Le Un” intitulé “les nouveaux prolétaires du Web ! Parmi les articles celui de Julien BISSON ” Des Clics et des Clacs ” ou l’ entretien avec Sarah ABDELNOUR Maitresse de Conf à Paris Dauphine Celle-ci observe que “les plateformes permettent de déréguler les statuts d’emploi tout en continuant à surveiller et à contrôler les travailleurs “

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  10. Alceste. Alceste.

    Très juste ce que vous dites , le problème n’est pas Jenna mais plutôt ses suiveurs.
    D’ailleurs , elle devrait faire de la politique à Marseille , elle aurait un excellent fond de commerce. Quand l’on voit que certains élus réussissent à se faire élire , la charité chrétienne me dit de ne pas les citer mais vous les aurez sûrement reconnus, toutes les espérances ouvrent les bras à cette jeune femme.

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    • Latécoère Latécoère

      Nous sommes victimes du vocabulaire. Influenceur/suiveur c’est la même chose que vendeur/client. Il y a quelques années Jenna aurait ouvert une boutique sur le cours Mirabeau. Quant à la politique, vous avez raison, elle y aurait sa place, dans la région, on n’a pas attendu l’ère du numérique pour marcher au clientélisme.

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  11. Happy Happy

    Je trouve cet article intéressant et nuancé, c’est ce que j’aime chez marsactu. Cette jeune femme a l’air équilibrée, elle fait la part entre sa vie privée et son activité commerciale, quant à son public d’abonné.e.s il n’y a pas de raison de penser qu’il n’est pas capable de faire la même part des choses. Au final ça ne paraît pas plus futile que le commerce de mode en général et plutôt moins abrutissant que la publicité classique. C’est sûr que les commentateurs de marsactu ne doivent pas être son cœur de cible, mais c’est bien que notre journal nous raconte “d’autres vies que les nôtres”, sans complaisance ni moralisme.

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  12. Forza Forza

    Très intéressant. Merci à @sandrine et à @marsactu de nous permettre d’entrer dans cet univers encore mystérieux pour beaucoup et qui fait partie de notre monde (que cela nous plaise ou non).

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  13. Véro - D'ici et aussi de là - Véro - D'ici et aussi de là -

    Pour ma part, je suis abonnée à Marsactu pour comprendre mieux le monde qui m’entoure. Et cet article y contribue. Merci d’ailleurs à Jenna de s’être livrée en transparence sur les fondements de son métier. Merci aussi pour les angles de questionnements posés par la journaliste. Le pilonnage de l’autre n’a jamais fait le socle pour vivre ensemble.

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  14. Pussaloreille Pussaloreille

    Tout à fait d’accord avec les derniers commentaires. Il y a de l’info dans cet article et donc c’est interessant. Marsactu fait juste son boulot ! Merci également aux lecteurs pour les références d’articles qui permettent d’aller plus loin.

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