[Histoire d’atelier] Les espaces à ciel ouvert de Mahn Kloix
Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, afin de raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants.
L'atelier de Mahn Kloix ? Ce sont les murs de Marseille et d'ailleurs. (Illustration : Malika Moine)
Depuis la première de mes chroniques, j’ai envie de parler de l’atelier de Mahn Kloix. D’abord parce que j’adore son travail. Ensuite parce que son atelier est très particulier : il s’agit des murs de la ville. En plus, au moins chaque soir et chaque matin, j’aperçois de la fenêtre de ma chambre son immense dessin de Nûdem Durak, chanteuse kurde emprisonnée en Turquie depuis 2015. Une autre raison pour laquelle j’aime son travail : il est poétique et politique. Ses fresques sont des hommages à celles et ceux qui luttent, pour l’accueil des migrants, pour la défense des droits des femmes, des communautés LGBT, pour les lanceurs d’alerte. Ses graffs me font rêver et m’inspirent. Je les dessine et redessine, le jour et la nuit.
C’est pourquoi lorsque j’ai reçu son contact, le l’ai appelé sans tarder, et j’ai bien fait. “Je finis demain un graff pour SOS Méditerranée sur le mur Zidane. Tu peux passer…” Le “mur Zidane”, ainsi appelé par les Marseillais en souvenir du portrait du footballeur marseillais, installé en 1998 sur la Corniche à l’entrée de Malmousque, a été recouvert en 2007, à notre grand dam, par une pub médiocre. Je l’avais dessiné au temps où en face était le bar Les Flots Bleus. Pour le livre Tournée générale, 51 bars de Marseille, Phil G avait écrit :
Le footballeur sur son mur est fâché.
Tous les matins face à la baie,
Il aimait bien, même par procuration, prendre un café.
Les flots bleus sont tombés, fauchés par la pelleteuse,
comme lui, le dribbleur par un arrière dépassé.
Le footballeur est fâché, carton rouge
aux massacreurs de tibias et de troquets.
Je suis prête à parier que ni Zizou, ni les Marseillais ne seront plus fâchés, tant les passants s’arrêtent, regardent, s’interrogent, devinent, admirent le dessin se réaliser sous leurs yeux par Mahn et un acolyte, suspendus sur des cordes, photographiés par un troisième homme-araignée… Une voisine, qui manifestement suit le chantier depuis le début de la semaine, s’approche et plaisante avec les artistes. “J’habite l’immeuble“, me souffle-t-elle, aussi heureuse que fière…
Je prends la mesure de l’impact extraordinaire de cette vigie qui guette la grande bleue en quête d’une embarcation en détresse. Mahn Kloix n’a pas eu le droit de mettre de la couleur à cause du voisinage du monument aux morts des guerres coloniales… Étrange, n’est-ce pas ?
Je reviens le lendemain pour parler avec Mahn, alors que l’équipe décroche les cordes et range le matériel. Ma première question, “Comment as-tu rencontré ton atelier ?”, sonne bizarrement au grand air. “En arrivant au cours Ju, en 2011. Des gens avaient organisé une session de collage dans les anciens bassins et je leur ai demandé de me joindre à eux avec mes pochoirs”, dit-il. J’ai loupé les pochoirs, mais il me semble que ça fait bien longtemps que je suis fascinée et inspirée par ses fresques immenses.
Je lui demande : “Comment l’espace induit ton travail artistique ?” Mahn enchaîne : “Mon atelier est dans l’espace public, je réalise mon travail devant les gens, c’est une performance, j’ai plein d’échanges. C’est comme une galerie à ciel ouvert, mais tu sais pas ce que ça va devenir, c’est éphémère et ce sera détruit.” Justement, il me semblait que les graffs de Mahn Kloix n’étaient jamais recouverts, toujours respectés… “Il m’est quand même arrivé une fois ou deux de rafraîchir la Tortue [rue Vian], mais c’est vrai que j’ai plutôt de la chance.” Si cet atelier est aussi grand que peuvent l’être les murs sur lesquels il officie, Mahn a aussi un petit, tout petit atelier pour faire ses dessins : “Il mesure sept mètres carrés. Je dessine sur du A4 des fresques qui mesurent jusqu’à 300 mètres carrés.” C’est sans projection que Mahn passe de la feuille A4 aux grands murs. Moi qui dessine l’immensité sur du papier, je suis très impressionnée par la trajectoire inverse.
Pour les outils, ils diffèrent tout autant de ceux dont j’ai l’habitude : certes, il y a le pinceau et un pot de peinture. Mais l’outil principal est la bombe. “Ici, à part pour la typo, tracée au pinceau pour que ce soit bien droit, tout est bombé. Et la signature est un pochoir.” Ensuite, la corde : “Ça me fait tripper de faire du grand [format] sur corde, sourit-il. En plus, la nacelle aurait été compliquée ici.” Avec la corde vient tout l’attirail du grimpeur : baudrier, mousquetons, casque…
Il ajoute : “Mon outil préféré, c’est la mine graphite sur papier. Je passe plus de temps à dessiner sur papier qu’à faire des fresques…”
Et économiquement, comment ça se passe ? “Pour plusieurs de mes graffs, je n’ai pas été payé, mais ici par exemple, je suis soutenu par Petzl, qui paie aussi les deux gars qui travaillent avec moi. À Félix Pyat, c’est le Mauma qui a été le financeur accompagné par un mécénat de compétences de l’entreprise Profil qui avait mis à dispo des cordistes pendant 3 semaines. Je vends aussi des petits formats, et même si le travail d’atelier m’intéresse moins, j’ai une galerie à Paris, je fais des expos… “
Sur son site, vous trouverez des images de ses fresques à Marseille, Paris et ailleurs. Mais pour voir en vrai le travail de Mahn Kloix, arpentez donc le quartier du cours Julien, vous y découvrirez un portrait de Cédric Herrou, un autre de Loulia Tsvetkova, ou encore la grande fresque de la tortue réalisée avec Gütan Man vs Wild. Allez donc aussi à Félix Pyat : Tursunay Ziawudun, une militante ouïghoure, se tient le visage entre les mains. Vous aurez alors l’œil pour reconnaître ses nombreuses fresques ailleurs dans la ville. Sans oublier la Corniche, où une jeune femme scrute la Méditerranée, vigilante à ne pas laisser l’humanité sombrer en même temps que les embarcations abandonnées par une France et une Europe oublieuses de leurs fondamentaux.
Commentaires
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c’est chouette de le mettre à l’honneur comme ça.
j’avais déjà eu le plaisir de voir ces murs !! ces fresques.
je conseille à tout le monde d’aller se promener et chercher ces images.
ça fait du bien, aux yeux et au moral !
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Tout pareil. Je passe sous la tortue plusieurs fois par semaines, c’est toujours un régal (et une prouesse) !
Bravo à lui pour sa contribution à la notoriété de Sos Mediterranée !
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