Michel Samson vous présente
Arts et essais

La culture et les “empêchés”

Chronique
le 29 Nov 2016
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Crédit photo : Franck Bessière / Hans Lucas pour Télérama.
Crédit photo : Franck Bessière / Hans Lucas pour Télérama.

Crédit photo : Franck Bessière / Hans Lucas pour Télérama.

Michel Samson explore les créations, lieux, acteurs et publics de la culture. Son idée, notre idée, est de proposer un regard sur ces propositions culturelles et artistiques qui interrogent la ville, parle d’elle et de (certains de) ses habitants. Pour ce nouvel épisode de la série, il fait sienne l’interrogation des États généreux de la culture sur l’entre-soi.

L’auditorium du Mucem est plein, les débatteurs s’installent, ils doivent échanger sur la façon dont “le numérique bouleverse notre rapport à la culture”. Ce sont les États généreux que Télérama organise à Paris, Lyon, Lille et Marseille : avec ces rencontres, débats et enregistrements dans les quatre villes, l’hebdomadaire désire “mettre en lumière des initiatives exemplaires et prometteuses (…) et  faire circuler paroles, désirs, points de vue”. Avant de rédiger un livre blanc soumis aux prochains candidats à la présidentielle. Ce samedi matin, on entend donc des acteurs locaux comme Nicolas Dupont de Tabasco Video, “qui utilise les outils audiovisuels et numériques comme moyen d’expression (…) et de communiquer sur les valeurs de citoyenneté”. Ou Céline Berthoumieux, de Zinc qui, “à travers les œuvres et la parole des artistes travaille à partir d’une mixité de démarches pour offrir une représentation sensible et poétique du monde d’aujourd’hui”. Ou encore Marc Dondey, directeur de la Gaîté Lyrique (de Paris), qui explique qu’il faut désormais penser toute activité culturelle “hors les murs et avec la notion, nouvelle, complexe, des spect-acteurs”.

Le débat de l’après-midi s’intitule “sortir de l’entre-soi culturel, faire advenir la diversité”, vaste programme et délicate question. Les intervenants tentent définir cet “entre-soi” qui éloigne du théâtre ou des musées une partie importante des gens de la ville. Ceux que Jean-François Chougnet, patron du Mucem appelle “des empêchés”, mot étrange pour désigner les gens les plus éloignés des musées à tous les points de vue : ressources, quartier, milieu culturel ; “et la bourgeoisie locale”, ces deux catégories qui fréquentent le moins le Mucem. L’un de deux “parrains de la journée” (!), Robert Guédiguian, souligne d’abord que la discussion sur l’entre-soi oublie souvent qu’il y a un “entre-soi des dominants et un entre-soi des dominés”, de nature différente. Et que l’entre-soi des dominés crée souvent des formes nouvelles, comme le blues aux États-Unis. L’autre parrain de la journée, Philippe Pujol, explique comment, dès le hip-hop reconnu comme art à part entière, des jeunes gens des cités s’en éloignent pour inventer une autre forme d’expression, la jump-dance par exemple.

Ces riches heures de discussion n’auront pas beaucoup éclairé les forces et faiblesses des milieux et créations culturelles dans la ville, dont beaucoup affirmaient qu’elle était pourtant d’une nature métissée favorable aux mélanges. Ce que la journée a souligné, c’est un écart important entre une partie des créations culturelles vivantes et celles que développent les institutions les mieux reconnues, malgré la meilleure volonté des présents. Comme celle de William Benedetto, de l’Alhambra, qui racontait que tous les matins dans son cinéma populaire et d’art et d’essai de Saint-Henri des classes des quartiers nord venaient, avec leurs enseignants et leurs parents découvrir parfois des films “bizarres” auxquels ils ne s’attendaient pas.

En cherchant bien, on constate quand même à Marseille une sorte de fourmillement culturel mais qu’il faut souvent aller découvrir. Ce qui en restreint l’accès justement à ceux qui ne sont pas branchés – d’une manière ou d’une autre. Les échecs comme les réussites et les limites de Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture, le manque d’intérêt quasiment affiché des décideurs politiques locaux qu’on ne croise jamais hors des salles largement subventionnées, n’auront finalement pas changé grand-chose à la question.


Post-scriptum

Jeudi 24 novembre, à l’Alcazar, on pouvait voir, en compagnie de deux classes de lycée, Les déserteurs de Daech, un film documentaire de François-Xavier Trégan. Pas de voix off, pas de ces commentaires moralisateurs et souvent insipides qui encombrent les mauvais docus. On pouvait y voir et y entendre les militants du réseau Thuwwar Raqqa qui, à partir de Şanlıurfa (sud-est de la Turquie), organisent la désertion de repentis de l’État islamique de la ville de Raqqa. On y découvre le drame de ces déçus de l’EI qui ont découvert une horreur quand ils attendaient un paradis, ou un moindre mal par rapport à la dictature de Bachar El Assad. Un ancien militant explique : “J’ai aussi été gardien de prison (pour l’EI). J’entendais les cris des gens torturés. C’était terrifiant. Un matin, un gardien est entré dans la cellule de cinq Marocains accusés de désertion. Il les a mitraillés.”

Dimanche 27, au cinéma Gyptis de la Belle de Mai, on pouvait écouter Jean-Louis Comolli parlant de son livre Daech, le cinéma et la mort. Après un long et passionnant débat, il montre Les marteaux de Damas, un tout petit film réalisé par un groupe syrien de cinéma, Abou Naddara. Fondé en 2010, il veut de donner une voix au peuple syrien et faire le portrait de cette société. Le film de 4 minutes 53 montre des artisans au travail avec leurs petits marteaux sur cuivre. Il montre surtout à celui qui le regarde que la lenteur du cinéma permet parfois de respirer. Et de réfléchir loin des offres de la propagande criminelle. C’était à Marseille la semaine dernière…

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