Quand la culture n’a plus le droit de cité

Chronique
le 20 Déc 2016
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Michel Samson explore les créations, lieux, acteurs et publics de la culture. Son idée, notre idée, est de proposer un regard sur ces propositions culturelles et artistiques qui interrogent la ville, parle d’elle et de (certains de) ses habitants. Pour ce nouvel épisode de la série, il s’est rendu à l’Espace culturel Busserine et en défend l’indépendance de ton et de créativité.

Le centre social l’Agora, au cœur des cités de Saint Barthélémy, de la Busserine et de Picon ressemble à l’école qu’elle fut. Dans sa cour trois guitaristes, “des copains de la cité” jouent et fredonnent sous les platanes, des gamins courent, jouent au ballon. Sylvia Paz, de la compagnie de chants populaires de la Méditerranée Rassegna chante, accompagnée de Bruno Alery avec son espèce de mandoline à manche long. Avant trois jeunes rappeurs. L’après-midi vient de commencer après un pique-nique partagé par quelques dizaines d’amateurs de couscous royal. L’ambiance est tranquille, presque joyeuse. Pourtant les gens sont venus ce samedi 10 décembre pour se battre. À quelques pas de là l’Espace culturel Busserine (ECB), dont le personnel dépend de la mairie de secteur, est en effet attaqué et menacé de mort par le sénateur-maire Front national du 13/14 Stéphane Ravier. Celui-ci explique depuis des mois à propos de l’ECB qu’il ne “veut pas que l’on continue à faire de l’entre soi, que cette culture soit plus large, qu’elle concerne les cités et les noyaux villageois tradition provençale et marseillaise”. Selon lui, les activités de l’ECB participent à “la destruction des noyaux villageois”, une expression aussi méprisante que significative de sa vision des quartiers qu’il est censé administrer. Il énonce d’ailleurs volontiers ce vieil adage dictatorial : “C’est celui qui paie l’orchestre qui décide de la musique”.

L’ECB a formé et présenté depuis des années des artistes en herbe ou reconnus. Chanteurs ou danseurs, acteurs de théâtre ou de cinéma, issus de la cité et des alentours, y ont fait leurs premières armes et y ont rencontré leurs premiers spectateurs, eux aussi souvent éloignés à tous points de vue des lieux où la culture a droit de cité. “On a créé toutes nos opérettes rock ici, le lieu ne peut pas disparaître”, ont par exemple rappelé les musiciens du groupe Quartiers nord.

Le sénateur-maire de secteur, qui veut “éradiquer les dernières métastases rouges de nos quartiers (…) envahis par les étrangers” – soit 8,8% de la population locale (Insee) – avait voulu fermer le lieu plus d’un an avant le début de travaux indispensables à la réfection des murs de l’ECB. Face à une première mobilisation, Stéphane Ravier avait dû reculer. Une première fois reportés, les travaux doivent durer 8 mois à partir de janvier 2017 [dernière date annoncée, mais qui pourrait être de nouveau repoussée, ndlr] , et le maire veut que l’ECB soit ensuite exclusivement dédié au jeune public, manière grotesque d’interdire toute création culturelle. Ce qu’une participante au débat avait bien défini en s’écriant : “Il veut nous amputer !”. Devant cette menace, Stéphane Mari, le président du groupe socialiste et Samy Johsua, élu Front de gauche du secteur, demandaient aussi que la mairie centrale reprenne la main sur cet espace culturel, ce qu’elle a le droit de faire, afin d’en éviter l’agonie. Interrogée un peu après sur cette question la mairie centrale répondait à Marsactu que le code général des collectivités territoriales lui interdit de le faire. S’appuyant sur le texte qui précise que “l’inventaire des équipements de proximité est fixé par délibération concordante du conseil municipal et du conseil d’arrondissement concerné. Et le cas échéant modifié dans les mêmes termes”. Avant de préciser que cela concerne les équipements locaux “à vocation éducative, sociale, culturelle, sportive et d’information de la vie locale”, ce qui correspond bien à l’ECB.

En tout cas, le programme 2017 élaboré par le personnel de l’ECB, qui prévoyait aussi bien des spectacles musicaux pour enfants comme La Maison courants d’air ou des Fourberies “une scénographie circassienne” inspirée de la pièce de Molière, reste suspendu dans le vide : la mairie de secteur refuse encore de répondre aux demandes de l’ECB qui constituent l’essence même du travail des salariés de l’Espace.

À la fin du débat organisé par le collectif Nos Quartiers le samedi 10, un conteur des Pieds nus racontait devant les présents ravis comment la bouillabaisse était faite avec des produits « venus de partout » comme l’ail, l’oignon ou le safran. Et une semaine après la journée de mobilisation, l’Agora projetait le 14 décembre « Ils l’ont fait » du réalisateur Saïd Bahij, auteur, réalisateur et “sociologue de gouttière”, comme il se désigne lui-même : “L’histoire d’un braquage… électoral. Khalifa Camara, jeune du quartier tout juste radié de Pôle Emploi, décide de se présenter aux élections municipales pour détrôner le maire sortant…”. Un vrai film, drôle, qui joue avec les situations et les mots (« les routines de sécurité… »), réalisé en 2013 et d’une brûlante actualité. Réalisé avec de (pauvres) moyens du bord à Mantes La Jolie (78), par des auteurs nés dans le lieu. Avec des acteurs professionnels et des amateurs remarquables, certains issus du Val Fourré, ce quartier de Mantes-la-Jolie à si mauvaise réputation, qui ressemblent de très près à ceux qui vivent dans ces maudits quartiers Nord …

PS : Cette chronique est la dernière de l’année que j’écris pour Marsactu. Empruntant souvent des chemins de traverse, j’ai essayé de raconter que dans Marseille, cette ville à si mauvaise réputation sur le plan culturel comme sur d’autres, des créateurs, anciens et ou modernes, avec ou sans moyens, reconnus, oubliés voire méprisés, continuent de la faire vivre ; je veux dire vibrer de toutes les couleurs de la création.

Re PS : Merci à Michel Samson pour ces échappées culturelles qui ont rythmé l’automne sur Marsactu mais aussi pour son soutien sans faille à l’aventure qu’est ce journal. Nous réfléchissons déjà ensemble à une nouvelle forme de collaboration dans les mois qui viennent. La rédaction (permanente)

Commentaires

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  1. VitroPhil VitroPhil

    Il est un peu malheureux de finir sur une touche aussi désolante.

    Un grand merci, pour ces chroniques décrivant cette culture “fleur de bitume” faite localement et qui nous réassure sur la vitalité de cette ville !

    Alors que si on se limite aux initiatives affichant de plus grandes ambition, il possible de laisser le doute s’insinuer…

    Impatient de découvrir la nouvelle formule !

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    • Michel Samson Michel Samson

      Merci
      Je tenais vraiment à dire que dans cette ville vivante certains, en l’occurrence Mr Ravier, tentaient d’étouffer des voix qui, justement, font vivre cette ville

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