[Entre les lignes] Haro sur les riens

Chronique
le 30 Déc 2023
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Auteur, slameur, Mbaé Tahamida Soly est l'un des fondateurs de la sound musical school B Vice à la Savine. Voyageur sans permis, il utilise au quotidien les transports publics. Ils lui offrent la matière de portraits de voyageurs, écrits comme des saynètes et postés sur les réseaux sociaux. Pour Marsactu, il en fait une chronique à lire entre les lignes.

(Illustration Ben8)
(Illustration Ben8)

(Illustration Ben8)

À la station Sadi-Carnot, le tram en direction d’Arenc est bourré comme une huître 🦪. Je dois me faufiler entre des collégiens pour trouver un espace où caler mes vieux os 🩻. Au fond de la rame, un accordéoniste qui maîtrise mal son instrument froisse les oreilles des passagers avec l’air de “La vie en rose”🪗. L’expérience est d’autant plus douloureuse que notre mélomane doit vite jouer ses fausses notes 🎶 afin d’avoir le temps de réclamer sa rétribution aux passagers avant qu’ils ne descendent. Une dame à côté de moi confie à son amie son ras-le-bol :
– “J’en ai marre des transports en commun 🚈. Ça devient pire qu’à Paris ma parole. Tu te fais agresser par des mendiants toutes les trois secondes. Tu ne peux pas être tranquille.”

Près de la porte de sortie🚪, un type est assis, une marmite couverte de suie à demi remplie d’eau à ses pieds🍲. Ses cheveux n’ont pas vu un peigne depuis longtemps et forment de grosses touffes. De la poche de sa grosse veste grise élimée 🧥 dépasse un sachet de pâte spaghetti 🍝. Les yeux dans le vague 🌊, il parle à des gens visibles de lui seul. Et il n’est pas du tout content :
– “Vous croyez quoi sérieux ? Que c’est facile pour moi ici ? Rien que vous demandez ! Jamais vous donnez ! Je suis pas votre pigeon 🐦. C’est fini ! Stop 🛑 ! Vous savez comment je vis ici moi ? Vous savez comment je vis ici ? Vous croyez que je m’amuse ? La vie en France c’est dur ! C’est très dur !”

La dame qui n’aime pas les mendiants fait remarquer à sa copine que le gars avec ses cheveux qui n’ont pas vu un peigne depuis des années peut rentrer chez lui, si c’est mieux.

Pendant ce temps, l’ambianceur de notre rame arrive à notre niveau et sans un mot nous tend la main pour réclamer son obole, car il ne maîtrise pas la langue de Molière. Hélas pour lui, aucun mélomane ne semble avoir apprécié sa prestation à sa juste valeur (à part peut être le moment où il a arrêté de jouer 😁). Notre râleuse ne se gêne d’ailleurs pas pour le lui dire : “C’est plutôt vous qui devez nous payer. Vous avez massacré Piaf, si c’est pas malheureux”.

L’accordéoniste sort tout marri du tramway en emportant avec lui, et son flonflon, et ses effluves d’alcool bon marché. Notre ami de l’invisible lui emboîte le pas en faisant bien attention de ne pas renverser le contenu de sa marmite et se dirige vers les Terrasses du Port (sans doute pour aller cuisiner son déjeuner dans le petit jardin situé à côté des Docks).

Je poursuis quant à moi mon chemin et arrivé au pied des escaliers à l’entrée du métro Joliette Ⓜ️, je croise le malvoyant avec sa canne dans le couloir 🦯. Je ne m’attarde pas, car je connais son speech par cœur :
– “S’il vous plaît Monsieur-Dame pouvez-vous me renseigner ? J’ai besoin d’un renseignement s’il vous plaît, pouvez-vous m’aider ?”

En fait, c’est lui qui a besoin d’un renseignement et à la fin, c’est toi qui lui donne une pièce 🪙 pour qu’il te laisse partir en paix. À chaque poisson 🐟 ferré au métro, il demande le chemin qui conduit au bureau de poste. Et vice-versa. Sur le chemin, le bon samaritain se fait généralement attendrir par son discours larmoyant et met la main à la poche. Une tactique qui semble fonctionner à merveille, car le bonhomme officie depuis des années sur le réseau RTM. Je le laisse donc derrière moi et me dirige vers les portiques pour pointer mon ticket 🎟️. Je descends les escalators puis les escaliers qui mènent au quai et là, je tombe sur deux dames en train de se disputer. L’une est la mendiante qui a toujours faim à n’importe quelle heure de la journée où vous la croisez. L’autre protagoniste est une dame, d’une cinquantaine d’années, assez bien apprêtée.

– Qu’est-ce que vous voulez ?
– C’est ma place. Moi viens toujours ici. Depuis longtemps.
– Peut-être, mais c’est pas une propriété privée. Le métro, il est à tout le monde.
– Moi toujours ici.
– C’est pas vrai. Vous êtes tout le temps en haut, à côté des machines pour les tickets ou vers la sortie pour les Terrasses.
– Oui, mais aujourd’hui, il y a Monsieur aveugle🧑‍🦯
– Allez lui dire de bouger de votre place si vous voulez. Moi, je reste là.
– Vous partir.
– J’ai besoin de manger Madame. Ça ne m’amuse pas de faire la manche. Mais je n’ai pas le choix. Je ne suis pas une professionnelle comme vous.
– Vous partir.
– Allez trouver une autre place.
La pro se met alors à bousculer la squatteuse
– Mais ça va pas vous. Laissez-moi tranquille.
– Vous partir, vous partir maintenant !

Désirant absolument récupérer sa place habituelle, la première se met à envoyer des coups. Des passagers et moi essayons de les calmer, mais en vain. Fort heureusement, les cris attirent deux gars en chasuble violette chargés de la sécurité du métro. Après les avoir vertement sermonnées, les deux hommes somment uniquement la titulaire du poste de sortir du métro sous peine d’appeler les contrôleurs ou la police 🚔🚨. Elle est indésirable pour cause de troubles répétés à la quiétude du métro. Cette dernière s’exécute non sans râler contre ce traitement qu’elle juge injuste et discriminatoire.

Je poursuis mon trajet et prends mon bus en direction de la Savine à la station Gèze. Nous roulons sans encombre ni incident jusqu’aux Aygalades, où monte un homme d’une quarantaine d’années en compagnie de trois enfants particulièrement bruyants. Ce qui a le don de faire sortir le chauffeur de ses gonds :

– Tu es bien en France ? Tu veux rester ?Apprends-leur la politesse aux minots. Je suis gentil, tu montes, tu ne paies pas de ticket et vous cassez la tête à tout le monde. La prochaine fois, tu veux que je te prennes pas quand il pleut ? C’est ça que tu veux ? Je crie parce que ça fait 200 fois que je te le dis ! Vous montez dans le bus PAS UN MOT OK ? Les gens sont fatigués et moi aussi.

L’homme et les enfants restent cois tout le long du trajet et descendent après l’arrêt de La mure, où ils ont leur camp.

Je ne peux m’empêcher de penser que le conducteur se permet de les pourrir ainsi parce qu’ils sont roms. Et je ne sais pas pour vous, mais il y a comme une ambiance hostile à tous ces pauvres étrangers qui viennent enlever le pain de nos mendiants. Vivement une bonne loi raciste qui reprend les thèses et fantasmes de l’extrême droite et de la droite extrême pour les priver de notre charité chrétienne et de notre aumône.
Bonnes fêtes de fin d’année les amis. À l’an que ven. Qu’elle vous apporte à vous et vos proches ce qui manque à votre bonheur. Et à ce monde en décrépitude un peu d’humanité et d’empathie.

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Commentaires

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  1. julijo julijo

    ces chroniques “entre les lignes” ont souvent un côté amusant…..et bien pas aujourd’hui !
    c’est d’une tristesse rare.
    et moi comme vous, cher monsieur, je m’aperçois parfois clairement, parfois insidieusement d’une ambiance effectivement hostile à toute personne dans les tc, qui a une apparence moins “policée”, moins “civile”….moins propre, moins blanche ?
    je trouve ça pesant.
    cependant, depuis que le gouvernement avec sa nouvelle loi sur l’immigration a donné une espèce d’autorisation pour un rejet de beaucoup par tous, je pense que cette ambiance délétère ne va pas s’améliorer.
    autorisées, les langues se délient et les actions de rejet s’opèrent.
    nous devenons le pays des “droits de l’homme blanc”.

    j’espère pour 2024 continuer à lire vos chroniques, tellement réelles.

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    • Alceste. Alceste.

      Pas besoin d’intellectualiser Julijo, d’aller chercher des références bibliographiques à la “One Again”, de prendre comme rambin la loi immigration. Cet article décrit la crue réalité marseillaise. Un manque de savoir vivre criant .
      Les notions d’éducation, d’urbanité, de civilités, de respect sont les choses les moins partagées dans
      cette ville .Simplement cet article décrit les transports en commun marseillais, concentré d’incivilités que nous ne sommes pas obligés de supporter.

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    • julijo julijo

      alceste, alceste, pauvre alceste
      toujours dans le négatif, jamais rien, rien de rien de positif dans vos commentaires.

      dans la critique absurde, incohérente, inutile…qu’est ce que ça peut bien vous faire que j’intellectualise ? en quoi ça vous regarde ?
      vous, vous voulez m’apprendre quelque chose, en critiquant mon commentaire de la sorte ? je n’ai rien compris à la “crue réalité marseillaise” ?! mon pauvre alceste.

      en quoi c’est génant de dire qu’effectivement on vient d’avoir une espèce d’autorisation à une “préférence nationale” ?
      c’est mon problème, ma façon de voir les choses.

      je n’ assène pas des ukases comme vous le faites, avec cette arrogance caractéristique de ceux qui se croient supérieurs aux autres.

      vos commentaires sont toujours insignifiants, mais critiques, vous ne construisez rien, et démolissez toujours : vous, vous savez mieux que personne….etc. un vrai repoussoir !

      bien, sur ce, je vais réveillonner en bonne compagnie.

      NB : à l’avenir, ce sera dur pour vous, mais essayez de ne pas répondre à mes commentaires, s’il vous plait. (LOL)

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    • Soly Soly

      Je souscris à vos remarques et sentiments sur l’ambiance dans notre pays. C’est de plus en plus pesant. J’espère pouvoir encore écrire en 2024 et partager avec vous ces moments de légèreté et d’humanité. Belle et heureuse année

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  2. Alceste. Alceste.

    Votre réponse est un magnifique témoignage de la différence entre l’idéologie incarnée par vos propos et l’intelligence.

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    • MarsKaa MarsKaa

      Ça y est, vous avez une nouvelle cible ? Le harcèlement en ligne vous connaissez ?

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  3. Soly Soly

    En 2024
    Je nous souhaite de nous battre
    Contre les conos de néolibéraux, les fachos,
    Et autres figures d’emplâtre
    Qui mènent notre monde vers le chaos

    Des rêves sans limite à partager sans modération
    Du bonheur, de l’amour, des rires à l’infini en présents
    De la santé, du temps à offrir à ceux qui nous sont chers
    Paix et sérénité dans nos cœurs et sur toute la terre
    Que cette année soit le début d’un nouvel ère
    Porteuse d’humanité, de justice et de lumière
    Soyons unis les amis
    Soly

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    • julijo julijo

      oui, je partage, bonne année ; mais surtout bon courage !!!

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  4. MarsKaa MarsKaa

    Vos chroniques Soly est essentielle, elle est une fenêtre sur le monde, sur la vie, sur l’humanité.
    Celle-ci fait hélas un triste constat, on vous sent désabusé, vous avez perdu votre humour. Il y a de quoi.
    La pauvreté est immense et s’aggrave : 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en France.
    Et les pauvres se battent entre eux. Les riches les méprisent.
    Le racisme, la xenophobie, l’intolérance galopent.
    On ne se parle plus. On hurle, on se juge, on s’invective. On s’enferme chez soi, dans sa bulle.
    Les temps sont durs.
    Mais même dans les situations les plus terribles, il y a toujours eu de la solidarité, de la résistance, pour tenir bon et pour s’en sortir.
    Le ciel bleu est toujours là, les nuages qui peuvent le recouvrir n’ont jamais gagné la partie.
    Force et courage pour 2024.

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    • MarsKaa MarsKaa

      Nos messages se sont croisés Soly ! Oui nous ne les laisserons pas faire.

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    • Soly Soly

      Parfois désabusé certes, mais j’ai toujours avancé avec espoir. Dans les temps sombres j’ai toujours trouvé sur mon chemin des gens avec qui construire des ponts d’humanité. La vie est espoir sinon à quoi bon vivre. Force et courage à nous tous et ne nous laissons pas avoir par les conos 😉

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  5. Alceste. Alceste.

    MarsKaa , vous oubliez avec Soly dans la liste des “conos” suivant le terme employé par ce dernier pour 2024, quelques personnes ou mouvements dont la caractéristique se termine par “istes” et qui ne sont ni porteurs d’humanité ni de lumière.

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