Ezéchiel Zérah vous présente
La chronique gastronomique

De la nécessité de véritables halles en centre-ville

Chronique
le 10 Déc 2016
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Un des rares stands alimentaires du marché de La Plaine. Photo : Ezéchiel Zérah.
Un des rares stands alimentaires du marché de La Plaine. Photo : Ezéchiel Zérah.

Un des rares stands alimentaires du marché de La Plaine. Photo : Ezéchiel Zérah.

Un peu d’éclectisme dans Marsactu ne peut pas faire de mal. Une fois par mois, Ezéchiel Zérah nous propose une chronique gastronomique. Cette semaine, il regrette le manque de marché de producteurs dans la deuxième ville de France.

Au lycée déjà, je m’ennuyais fermement lors des travaux pratiques de chimie (cher professeur Zerwetz, si vous m’entendez…). Je me suis ainsi toujours demandé pourquoi les autres semblaient prendre leur pied en expérimentant burette et titrage d’oxydoréduction par colorimétrie. Ça ne s’est guère arrangé avec les années : si j’adore humer, goûter, mâcher et décrire, j’en ai même fait mon gagne-pain, pas question de mettre main à la pâte. Tiens d’ailleurs, je me demande bien quel subterfuge vais-je trouver pour décliner poliment l’invitation récente d’un meilleur ouvrier de France me proposant gentiment un atelier de cuisine légumière dans les locaux de l’école où il enseigne ?

C’est qu’à l’exception de tartares de bœuf, cookies au chocolat noir (recettes issues d’un fantastique livre anglophone de petits gâteaux édité dans les années 60 que j’avais déniché à la Librairie Gourmande rue Montmartre à Paris) et d’une salade tomate-pastèque-féta en saison, je ne sais rien faire. Et ne veux pas.

Non, ce que j’affectionne, c’est rapporter des produits à Madame. Du Borough Market (Londres) au Farmers’ Market d’Edimbourg en passant par les Capus (Bordeaux), le Brooklyn Flea Market, les Halles du Boulingrin (Reims), le Chandni Chowk (New Delhi), le marché de Croissy-sur-Seine (Yvelines) ou le Mahané Yehuda (Jérusalem), j’aime nourrir sacs et valises d’épices, fruits, frometons et confitures.

Gamin, ma mère nous emmenait avec mon frère au marché du Prado, à quelques 200 mètres de l’appartement familial. C’était un rituel hebdomadaire. Samedi 10 heures : panier de fruits et légumes. Dimanche même heure : séance ciné. Il m’arrive encore d’y passer ponctuellement pour m’acheter un bout de pizz’ à l’opposé de la place Castellane (soyez prudents : le camion près de la bouche du métro éponyme est infâme) et saluer une amie de maman, Françoise, qui vend ses cagettes de légumes depuis quinze ans au moins.

Actuellement, il y a bien quelques marchés qui rythment la vie des Marseillais amoureux du goût vrai mais ils sont trop peu nombreux, trop petits et pas vraiment quotidiens. Je pense au marché paysan du lundi soir à la Friche, le mercredi matin cours Julien. À celui du jeudi après-midi au pied de l’hôtel Intercontinental.

L’épicerie Idéal de l’ex-plume à fourchette Julia Sammut rue d’Aubagne affiche certes une sélection à boire et à manger pointue mais c’est une boutique qui verse plus dans la Méditerranée que dans l’environnement proche. Il y a bien les Capucins à Noailles mais il faut voir quels types de produits on y sert… Oui, le marché des Docks compte bien un bon boucher et un gentil supermarché biologique mais cela s’arrête globalement là.

Les halles de la Major ? Elles peinent à décoller, doux euphémisme, probablement à cause d’une offre trop marketée et pas suffisamment identitaire (le fromager-charcutier lyonnais, vraiment ?). On pourrait également signaler l’existence des halles 113 portée par une femme pleine d’énergie mais ce projet s’active en périphérie (La Fare-les-Oliviers) et ne ressemble pas tout à fait à l’idée que l’on se fait d’un lieu de vie. Quant au Prado qui a bercé mon enfance, je dois reconnaître que ses petits stands sont tenus par des revendeurs moins que des producteurs… Il ne faudrait pas oublier le marché aux poissons du Vieux-Port évidemment. Mais la réflexion sur l’embellissement de l’endroit avec un véritable toit façon ex-halles Delacroix et des propositions plus conséquentes pour la clientèle a hélas fait long feu. Motif officiel : conserver l’esprit des lieux. Raison moins avouable : compte tenu du peu de charges réglées pour occuper l’espace, les pêcheurs auraient vu cette tentative de structuration d’un mauvais œil, craignant donc des tarifs à la hausse.

Pour être certain de ne pas être l’unique Marseillais à me plaindre de l’offre en marchés insatisfaisante, j’ai quand même appelé un copain qui s’y connaît un peu. Emmanuel Perrodin est chef nomade et patron du Conservatoire international des cuisines méditerranéennes. Quand je l’interroge, sa réponse est nette. “Catastrophique… C’est le paradoxe alors qu’il existe pourtant une zone de production ancienne à l’ouest de Marseille.” Lui regrette que Lafayette Gourmet soit ce qui se fait malheureusement de mieux aujourd’hui en la matière et rappelle que c’est à la métropole d’insuffler la volonté politique nécessaire à la création d’un grand marché de belle tenue digne de la seconde ville de France, qui dépasserait le cadre sympathique mais limité de toutes ces initiatives individuelles. À Sète et Nîmes, ce fantasme est d’ailleurs déjà devenu superbe réalité que je vous recommande de visiter sans tarder.

Au-delà des institutionnels, une figure locale pourrait impulser solidement la dynamique d’un marché alimentaire couvert que le centre-ville (mourant) de Marseille n’attend plus : Gérald Passédat. Le premier et seul cuisinier triplement étoilé du département (restaurants Le Petit Nice et Albertine, tables du MuCEM) possède un patronyme qui sait capter la lumière et les financements [il avait d’ailleurs esquissé l’idée d’aménager de telles halles dans la poste Colbert, ndlr).

À l’heure où les grandes toques hexagonales n’ont jamais été aussi exposées et célébrées dans le pays, ces dernières ont le devoir de s’approprier de tels défis. Oui, on se prend à rêver de populaires halles de Marseille – Passédat à l’image des halles de Lyon – Paul Bocuse, véritable marqueur de la capitale des Gaules. Ce serait le plus bel héritage de l’enfant de Malmousque.

Commentaires

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  1. CAN. CAN.

    Outre les intérêts de convivialité et de possibilité de circuit court pour les citadins , c’est lorsque on est touriste un lieu extraordinaire pour respirer l’atmosphère de la ville et du pays et pour la plupart constitue un formidable atout; il n’y a pour s’en convaincre qu’être un utilisateur des guides touristiques.
    C’est aussi , pour tout un chacun, un moyen tout simple d’apprécier la chaleur des rapports humains de la société locale et la qualité de la gestion municipale en termes d’organisation et de propreté.

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    • The Sardinist The Sardinist

      Complètement d’accord CAN L2. Pour ma part, c’est également souvent au travers des marchés alimentaires que je me fais une idée de l’ADN d’un territoire.

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  2. LaPlaine _ LaPlaine _

    J’ai bien lu “c’est à la métropole d’insuffler la volonté politique nécessaire”, voilà sans doute le hic, quelle volonté dans cette métropole? Quasiment aucun potentiel ni volontés privées ne sont appuyés ou exploités, seul l’immobilier prime, sans doute plus rémunérateur à court terme et tellement moins fatiguant pour les neurones.

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  3. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Je complète la NDLR sur la poste Colbert : la proposition qui a eu le plus de succès, en son temps, sur Marseille Carticipe est précisément celle de la transformation de ce bâtiment “en marché couvert de produits locaux, à l’image de la Bocqueria de Barcelone.” (http://marseille.carticipe.fr/#halle-colbert)

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    • The Sardinist The Sardinist

      Merci pour la précision. A-t-on plus d’informations à date sur le devenir de la poste Colbert ?

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    • LaPlaine _ LaPlaine _

      Je crois que la Poste justement va y installer ses bureaux régionaux ou un truc du genre, çà sera un espace de bureaux à priori.

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    • LaPlaine _ LaPlaine _

      Désolé pour le doublon.

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    • jacques jacques

      “produits locaux” à la Boqueria, c’est une appellation très “extensive!

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  4. Mars1 Mars1

    N’y a-t-il pas d’autre personnalité que le sieur Passédat à Marseile pour rassembler autour de l’idée de bons produits vendus à des prix raisonnables ?
    Quand on voit les établissements à son nom qui ont surgi dans les différents lieux “branchés” de la ville récemment, on peut penser que ce chef joue beaucoup de sa renommée pour encaisser des revenus sans doute importants, vu les prix pratiqués, mais la majorité de la population locale n’ a pas les moyens ni l’envie de fréquenter ces lieux.
    Des halles de producteurs d’accord, mais il faudrait que ce soit un lieu populaire avec des prix accessibles à tous!

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    • The Sardinist The Sardinist

      Heureusement d’ailleurs que d’autres acteurs permettent de rassembler. Ce n’est qu’un exemple calqué sur le modèle lyonnais.

      De plus en plus de grande toques s’approprient les codes des bistrots et du snacking : leur cœur de métier reste le fine dining certes mais il est désormais possible de se payer une tranche de tel chef à prix modéré, les exemples sont légions (chou, madeleine, chocolat, panini, sandwich baguette, pan bagnat, bao, burger, galette…).

      Je suis d’accord avec vous sur les prix accessibles : l’objectif serait d’obtenir le meilleur rapport qualité-prix pour éviter de ne voir affluer qu’une niche fortunée.

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    • Tarama Tarama

      Snacking, fine dining,… mes yeux pleurent (pleuring ?) M. De la Sardine 😉

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  5. jacques jacques

    Tour à fait en accord avec Mars1.
    Avant que les Halles de Lyon ne soient sous-titrées “Paul Bocuse”, il a coulé pas mal d’eau dans la Saône au Pont de Collonge. On pourra en reparler quand Passedat sera aussi connu que “Mr Paul” dans le monde entier. Pour le moment sa renommée ne dépasse guère le petit monde de bobos et boubours (bourgois bourrins) lecteurs du Michelin.
    Et tant qu’à se référer à la liste de halles citées, autant prendre modèle sur les modestes (en prix), et il y en a.
    Autre aspect du problème: Mr Zérah, il ne vous est pas venu à l’esprit que Marseille est une ville où les communautés ne se mélangent pas, chacune a ses adresses et il serait trop long d’en faire l’inventaire. L’exception qui confirme la régle c’est L’Idéal, qui s’est posée dans un quartier en mutation en faisant le pari d’être là au bon moment.
    Et, tant qu’à critiquer, si les marseillais (si tant est qu’on puisse me dire ce qu’est un marseillais, j’ai déjà eu du mal à les différencier des provençaux) étaient un tant soit peu aussi portés sur la table que les lyonnais, ça se saurait depuis “la vie des rats.”
    Et qu’est ce qui empêcherait de refaire les Halles Delacroix “in situ” en démolissant quelques immeubles insalubres qui jouxtent la place. Le quartier a tout à y gagner pour essayer de remonter la rue de Rome sinistrée.
    Vite une pétition, c’est cool et dans l’air du temps.

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    • The Sardinist The Sardinist

      Difficile en effet d’égaler la notoriété d’un Paul Bocuse cher Jacques. Cela dit, force est de constater que le nom Passédat est porteur. Ce n’est évidemment qu’une suggestion.

      Pour revenir sur votre second point, les Halles pourraient précisément rassembler tout ou partie des communautés, c’est peut-être utopique mais je crois fermement à cette idée de grand espace alimentaire central de qualité et à prix raisonnables. Ce qui n’empêche nullement le maintien et développement d’initiatives très localisées. Quant à la culture de la table, elle s’apprend. Vous savez aussi bien que moi que rien n’est figé malgré l’historique des uns et des autres . Lyon reste Lyon, qui n’est d’ailleurs peut-être plus tout à fait la “capitale mondiale de la gastronomie” soit dit en passant, et il faut reconnaître que l’on mange de mieux en mieux à Marseille et que la gastronomie semble devenir une activité plus prisée qu’auparavant. Tant mieux si la dynamique des émissions TV ces dernières années a (grandement) participé à cette évolution des mentalités.

      Enfin, pour la pétition, c’est peut-être dans l’air du temps mais cela permet, parfois, de conduire à bien un projet => https://www.change.org/fr

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  6. Christine Sarré Christine Sarré

    A noter , un micro marché de quartier, le jeudi matin à St Barnabé sur l’esplanade du petit centre commercial : un très bon producteur d’Aubagne , Mr Teissere ( donc uniquement des légumes de saison) ;Paolo avec ses volailles et ses fromages de chèvre et un très bon marchand de produits italiens ( charcuterie , fromages , pâtes ) achetés directement dans l’arrière pays ligure .

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    • The Sardinist The Sardinist

      Merci pour ces infos Christine !

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    • jacques jacques

      les résidents circum le mall alliés à certains commerçants ont réussi à le réduire à peanuts par rapport à ce qu’il était au départ. Dommage.

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  7. corsaire vert corsaire vert

    Hors Passédat qui ne fait que son beurre avec les touristes bobos il n’y a en effet pas de réelle volonté politique de faire un marché couvert en centre-ville et pourtant !
    Comme cités plus haut tous les marchés couverts ont un franc succès pour plusieurs raisons :
    – diversité des produits alimentaires dans un même lieu.
    – concurrence bénéfique
    -abri contre intempéries et chaleur
    – lieu d’échange convivial.
    – réhabilitation du petit commerce de qualité .
    Il ne faudrait pas en effet que cela devienne un marché aux puces bis et des quotas et conditions serait nécessaires :légumes bio ou agriculture raisonnée,charcuteries traditionnelles qui ont quasiment disparu de Marseille etc…
    Qui sont les marseillais ? ce n’est ni une ethnie ni une race , seulement des gens ordinaires qui veulent vivre ensemble dans cette splendide ville .
    Qui a dit ?” Marseille on l’adore ou on la hait” je l’adore …

    Marseille , viandes et légumes de qualité avec des prix corrects

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  8. Helene Goldet Helene Goldet

    Pour moi, c’est Noailles. Les légumes sont ce qu’ils sont, pas chers et et beaux, le Grand Saint Antoine, et ses fumaisons, les gigots de Sisteron hallal, les poissons qui puent pas plus qu’ailleurs, et les épices dans leur caverne.
    Bien sur, ce n’est pas la hall du marché au puces, avec ses légumes à perte de vue, que c’est beau…sauf que revenir en bus c’est long jusqu’à Bougainville avec le chariot à roulettes.

    Après, la qualité comme vous dites, c’est de faire la bouffe pour plein de copains avec tendresse.

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  9. Magnaval Magnaval

    Les halles de Lyon, c’est très bien mais tout y est hors de prix.
    Les vrais lyonnais y promènent les touristes (et y font des achats occasionnellement pour les fêtes ou des circonstances exceptionnelles) mais pour les courses, c’est la Croix Rousse ou la dizaine de marchés de plein air de la ville.
    Les exemples sont plutôt à prendre dans des villes voisines comme Valence (Valencia, Mercat Central ou Ruzaffa), Turin Porta Palazzo ou les marchés de Barcelone (hormis la Boqueria).
    Le remodelage du marché de la Plaine permettra peut être d’attirer des producteurs locaux, des maraîchers, voire de fusionner avec le marché paysan du Cours Julien. Une halle couverte serait idéale, mais où trouver ça.
    C’est le travail de ma Métropole, mais aussi de la Région, afin de valoriser les produits et les producteurs régionaux.

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