Cuisine à croquer : la mjaddara hamra et le fattouch de Lama Kabbanji

Chronique
le 10 Juil 2021
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Pour Marsactu, Malika Moine va à la rencontre des gens dans leur cuisine et en fait des histoires de goût tout en couleurs. Cette semaine, elle s'est invitée chez Lama, une chercheuse récemment installée aux Catalans, qui lui fait découvrir les spécialités libanaises de sa famille très métissée.

Dessins Malika Moine
Dessins Malika Moine

Dessins Malika Moine

J’ai eu le contact de Lama par le musicien Manu Théron, et après quelques minutes au téléphone, j’avais l’impression que c’était une vieille copine. On s’est retrouvées en bas de chez elle, vers les Catalans. Elle m’avait dit “j’ai de grosses lunettes turquoises, tu ne peux pas me louper.” 

J’étais avec mon fils, récalcitrant à l’idée de me suivre pour une chronique, mais très vite rabiboché devant la gentillesse de Lama et la perspective d’un bain de mer suivi de la projection du match pendant le repas. Lama habite un appartement au 9e étage d’un immeuble des années 70. Magnifique lieu de vie avec même un petit évier pour nettoyer le poisson sur le balcon côté cuisine.

Elle raconte : “Arrivée de Paris en octobre dernier, j’ai tout de suite trouvé cet appartement, juste avant le confinement !” Son histoire est empreinte de pérégrinations : “Je suis née au Liban en 79, pendant la guerre. On habitait à Beyrouth Ouest, mais à chaque fois que les combats s’intensifiaient, on se réfugiait ailleurs. Quand j’avais six ans, on a vécu un an à Paris. On a aussi habité quelques mois à Prague où l’un de mes oncles s’était installé, en Hongrie où un autre était parti étudier… En 89, mes parents ont fait une demande d’asile à Montréal. Ils l’ont obtenue en 91. À l’époque, on ne savait pas que la paix serait réelle, il y avait eu tant d’accalmies suivies de retour des combats… J’avais 12 ans et je ne voulais pas partir. À Montréal, j’ai fait un doctorat en démographie sur les politiques migratoires en Afrique de l’Ouest, avant de trouver du travail à Paris.” 

C’est mon arrière-grand-mère maternelle qui a transmis la recette à ma grand-mère, qui l’a montrée à ma mère, qui me l’a apprise.

Elle sort un à un les ingrédients de la mjaddara hamra, “un plat de tous les jours du sud du Liban. Ma mère me racontait que, lorsqu’ils étaient au village, pour convaincre les enfants d’en manger, ma grand mère leur disait : «  c’est les clous du genou ». Mais nous qui en mangions rarement, l’adorions. C’est mon arrière-grand-mère maternelle qui a transmis la recette à ma grand-mère, qui l’a montrée à ma mère, qui me l’a apprise… Je viens d’une famille qu’on dirait mixte au Liban.

Ma mère est d’un village chiite du Sud qui s’appelle Harouf mais elle est née à Dakar. Son père était parti d’abord travailler en Amérique latine. Il revint au Liban, épousa ma grand-mère, l’emmena à Dakar où il ouvrit une petite boutique. Il est mort quand ma mère, aînée de cinq enfants, avait cinq ans. Sa mère retourna au Liban, se remaria avec un cheikh qui avait déjà une femme et des enfants. Comme ça se passait mal chez lui, elle installa ses enfants dans un appartement à elle. Elle y venait chaque jour leur faire à manger et repartait chez son mari le soir.

Quand les enfants ont grandi, l’appartement est devenu un repaire pour les jeunes communistes et les pro-palestiniens. Ma grand-mère était voilée et priait pour ses cinq enfants devenus communistes ou combattants. Je l’ai moins connue que ma grand-mère paternelle, elle est morte en 1995, lorsqu’on était à Montréal. Mon père vient d’un village chrétien du côté de sa mère et son père était d’origine arménienne. Mes parents n’étaient pas croyants, mais à l’école tenue par des sœurs françaises carmélites, on a dû se faire baptiser. Enfant, j’étais très croyante, mon père se moquait de moi, il m’appelait « Sœur Lama »… “

Depuis 2011, Lama est chercheuse à l’Institut de recherche pour le développement. “C’est un des seuls secteurs de la fonction publique ouvert aux étrangers avec les mêmes conditions de travail que les Français. Je suis ainsi fonctionnaire sans avoir encore la nationalité française”. Elle travaille sur les migrations en France, notamment étudiantes. Elle est partie en 2013 travailler quatre ans au Liban, sur les politiques migratoires du pays, pendant la guerre en Syrie. “On travaille sur les savoirs que véhiculent les personnes migrantes. On a commencé une coopération avec Radio Grenouille, « exploration sonore de l’immigration en France ». C’est une approche plus sensible pour parler de l’immigration de manière plus positive”. (C’est à écouter ici, ici ou )

Dessins Malika Moine

La cuisine fait partie de ces savoirs fondamentaux et quotidiens, et la transmission de cette culture culinaire relève à mon sens de cette même démarche, alors voilà les recettes de la mjaddara et de la fattouch :

 

Les ingrédients pour 4 personnes :

La mjaddara :
-1/2 kg d’oignon paille
– 2 verres de lentilles rondes brunes-rouges ou à défaut des vertes.
1 verre de boulgour gros
– 1 pincée de cumin
– Huile d’olive

“Ça se mange avec la salade, sinon, c’est trop sec.”

La fattouch traditionnelle :
– Salade romaine
– pourpier
– persil
– menthe
– cébette
– tomates 
– petits concombres libanais
– poivron
– radis
– sumac
– mélasse de grenade
– citron
– huile d’olive
– sel
– morceaux de pain libanais grillés ou frits

 

Mais aujourd’hui, des fanes de carottes, de betteraves et de choux rave remplacent la romaine, il n’y aura pas de radis ni de poivron… mais du chou-rave.

Lama coupe les oignons en deux, les émince et les fait revenir avec une bonne lampée d’huile d’olive. “Ils doivent bien brunir, presque brûler, c’est ce qui donnera au plat sa couleur… “ En même temps, elle met les lentilles à cuire avec de l’eau.

Tout en touillant les oignons, Lama appelle sa maman à Montréal pour des précisions sur la recette…

Les oignons ont pris la belle couleur brune, elle en prélève une ou deux cuillères pour la déco, puis, ajoute dans la poêle un peu d’eau de cuisson des lentilles et les écrase bien à la spatule. Elle verse encore de l’eau des lentilles qui se colore et ajoute le verre de boulgour et du cumin, mélange bien et verse le tout dans la casserole de lentilles…“Pour que le plat soit réussi, on doit retrouver les grains – dans une autre version c’est liquide : les lentilles doivent précuire 15 minutes à couvert.” Tout en touillant les oignons, Lama appelle sa maman à Montréal pour des précisions sur la recette. Elle l’a expérimenté ce week-end, mais mieux vaut être sûre… Elle ôte les lentilles du feu et les laisse dans l’eau chaude. 

Pendant que ça cuit 20-30 minutes à feu doux, elle s’occupe de la salade : elle émince une cébette, coupe les fanes en petits bouts, effeuille la menthe. Elle surveille le plat de lentilles, rajoute de l’eau si c’est trop sec. Elle coupe en petits bouts la tomate et le concombre avant de s’attaquer à la vinaigrette : elle presse un citron, mélange son jus à une petite cuillère de mélasse de grenade, de l’huile d’olive, deux pincées de sumac et une de sel. 

Il est l’heure d’aller faire un petit bain aux Catalans pour se mettre en appétit… mais rapide, car la faim n’est pas loin !

De retour, Lama fait frire le pain égyptien que lui a donné sa voisine. 

Elle essaie en vain de mettre le match retransmis sur une chaîne introuvable… Mince ! Heureusement que les savoureuses lentilles, la salade fraîche et parfumée, le pain frit et craquant nous fait presque oublier le match.

Dessins Malika Moine

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