Ces cinémas d’en-ville
Ces cinémas d’en-ville
Durant plusieurs mois, Michel Samson a raconté pour Marsactu les arcanes de la justice à Marseille. Il revient en cette rentrée avec l’envie d’explorer les créations, lieux, acteurs et publics de la culture à Marseille. Son idée, notre idée, est de proposer un regard sur ces propositions culturelles et artistiques qui interrogent la ville, parle d’elle et de (certains de) ses habitants. Pour ce premier épisode de la série, Michel Samson revient sur ces salles du centre-ville qui font vivre un cinéma non commercial sans toujours être d’authentiques cinémas.
Un beau parcours cinématographique sur la ville exigeait récemment de se déplacer dans des salles bien différentes. Cette variété de lieux de projection a souligné le déficit en cinémas d’art et d’essai de Marseille et montré comment certains films, souvent les meilleurs, circulent dans des endroits éloignés des circuits commerciaux officiels – phénomène qui n’est pas que marseillais.
La Vieille dame indigne le formidable premier film de René Allio tourné en 1965 : au cinéma Les Variétés. La vieille ville indigne, du même Allio : dans l’auditorium du Musée d’Histoire. Bye Bye, de Karim Dridi (1995) : au Mucem, qui a aussi montré Le Temps d’un détour, essai filmé sur Marseille au 19e siècle d’Alain Bergala (1991). Murat le géographe (2016) : au Vidéodrome2. Toutes choses découvertes ou revues avec étonnement et grand plaisir grâce à Image de ville, le Musée d’Histoire, le Mucem et quelques autres qui rendaient un hommage appuyé, le mot est faible, au livre de Marcel Roncayolo Le géographe dans sa ville cosigné avec Sophie Bertran de Balanda (Editions Parenthèses). Tous ces films montraient aussi que fiction et documentaire peuvent être pourvoyeurs d’images et d’imaginaire avec la même force.
Le cinéma commercial de qualité est miné, donc, par cette grave et sinistre crise qui ronge les Variétés, ces cinq salles et 690 fauteuils qui furent d’art et d’essai et ne survivent que grâce à des salariés courageux : c’est pourtant là que l’histoire de cette veuve qui prend goût à la vi(ll)e, La Vieille Dame indigne, a été projeté. Amusant : dans la salle pleine ce soir-là, les femmes me semblaient être en majorité. Et les âges, pardon pour tou(te)s, assez élevés.
Le Videodrome2 a proposé Murat le géographe, un étonnant document réalisé par une équipe de géographes italiens, lourd d’une forte nostalgie politique sur le devenir des villes – et de la géographie ! Petite salle de 60 fauteuils de velours rouge, murs sombres et grand écran, bar, dîner sur le pouce, et activité associative : un de ces lieux où on tutoie facilement et où on rencontre des cinéphiles passionnés. Cette sorte d’estaminet évoque plus un club d’amateurs complices – et jeunes ! – qu’une salle commerciale. Un peu comme l’Equitable café, juste en face. Ou Manifesten, rue Thiers, capable de projeter des films pour une poignée de quelques amateurs – ils ont passé récemment un film de Comolli/Samson et se proposent de recommencer !
Un bijou oublié en 35 millimètres
Ces endroits ne sont pas de même nature que le noble musée de Marseille, intarissable réservoir pour qui veut connaître la très (très) longue histoire de la ville. Son auditorium au look universitaire un peu déglingué était bien rempli pour La vieille ville indigne de René Allio, documentaire intéressant mais un peu raté à mon goût : l’imaginaire semble y prendre la place du réel ! Quant à l’auditorium du Mucem, qui porte le beau nom de Germaine Tillion[1], il a l’arrondi d’une salle de théâtre moderne et un grand écran bien servi par des projecteurs modernes. On a pu y voir début septembre l’étonnant Bye Bye, belle fiction dramatique et policière, qui montre l’état du passage de Lorette et du Panier dans les années 90 en même temps que les Goudes[2].
250 spectateurs curieux ont pu y voir un bijou oublié en « 35 millimètres », ce format de pellicule sur laquelle il fut tourné et que cette salle est la seule à pouvoir projeter à Marseille (hormis à l’Alhambra de Saint Henri qui partage le label de cinéma d’art et d’essai avec le Gyptis de la Belle de Mai) : Le Temps d’un détour, essai filmé sur Marseille au 19e siècle réalisé par Alain Bergala. Ce critique et auteur de films avait réussi en 1991 à filmer de belles traces physiques du XIXème : les rangées de petits immeubles à 3 étages et 3 fenêtres, souvent ignorées alors qu’elles fondent l’architecture urbaine locale ; des restes de bastides ou de cabanons et une vieille machine à fabriquer et découper le savon. Le tout sur des textes anciens dits avec toutes les variations possibles de l’accent marseillais.
Ce cinéma non commercial – ou qui ne l’est plus après l’avoir été avec plus ou moins de succès – et de qualité est passé par des réseaux d’amateurs engagés, d’intellectuels passionnés. Et s’accompagnait de débats historiques et/ou cinéphiliques qui avaient l’agréable qualité de n’être jamais obligatoires. Ne restaient pour la discussion que les amateurs de débats qui entendaient alors des spécialistes. Eux aussi plus ou moins passionnants, en l’occurrence ils et elles le furent souvent. Le Théâtre de la Cité propose encore trois films à peu près inconnus (l’un date de 2013, les deux autres de 2016) dans l’après-midi du 8 octobre. Et le 16 octobre on pourra voir le délicieux et triste Cap Canaille (1983) de Juliet Berto et Jean-Henri Roger, toujours au Mucem.
[1] Résistante, femme de lettres et ethnologue, Germaine Tillon repose au Panthéon.
[2] Le dernier film de Krim Dridi Chouf, tourné à Marseille et déjà présenté au Mucem, sort en salles cette semaine.
Demain mercredi 5 octobre, midi pile : Sirènes et Midi Net, ce spectacle mensuel de 12 minutes sur le parvis de l’Opéra inventé en 2003, présentera Cérémonie urbaine pour la mort du plastique. (J’en parlerai la semaine prochaine…)
Commentaires
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En bref, pour voir certains excellents films à Marseille, faut faire de la résistance ou accepter d’être mal assis ou dans des salles minuscules.
J’aimais le Miroir à la Vieille Charité, sa salle malgré tout remplie, et la projection de films mythiques.
Marseille n’est jamais comme les autres. Heureusement, nous avons la mer et le ciel bleu
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Pour rebondir, la salle du “Miroir”, à la Vieille Charité est toujours équipée d’un projecteur 35 mm et d’un projecteur 16 mm. Malheureusement, cette salle qui était classée “Art et essai” a été abandonnée en tant que cinéma…
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