Carrefour de toutes les précarités, l’Auberge aide des femmes à se reconstruire

Reportage
le 30 Juil 2021
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Depuis le mois de mars, l'Auberge marseillaise, ancienne auberge de jeunesse des quartiers Sud accueille des femmes et leurs enfants. Elles y bénéficient d'une entraide et d'un accompagnement social précieux. Une alchimie complexe mise en œuvre par sept associations aux savoir-faire complémentaires grâce à une convention d’occupation temporaire passée avec la mairie.

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L'Auberge marseillaise accueille une trentaine de femmes et autant d'enfants. Photo Myriam Léon.

L'Auberge marseillaise accueille une trentaine de femmes et autant d'enfants. Photo Myriam Léon.

Mercredi 21 juillet, il règne un calme inhabituel dans l’ancienne auberge de jeunesse de Bonneveine (8e). Fermée depuis la fin de l’été dernier, elle a repris vie en mars avec l’arrivée de trente femmes vulnérables et de leurs trente enfants, dont la moitié a moins de six ans. Dans la grande salle commune, trois femmes profitent de la relative fraicheur et du silence. L’une berce son bébé tout en surveillant du coin de l’œil sa jumelle sanglée dans une poussette. “Depuis qu’il y a un centre aéré dans l’auberge, c’est plus tranquille pendant la journée, explique Bintou (1), la mère des fillettes de sept mois. Maintenant, il ne manque plus qu’une crèche.” En face d’elle, un petit de trois mois est lové contre sa maman, puis il change de bras, recueilli par Aya, Sénégalaise à la stature majestueuse. “C’est Ali, le bébé de l’auberge, il est né alors que nous venions d’arriver, c’est un petit Marseillais de Guinée.”

Roumaine, française, russe, algérienne, albanaise, malgache… quatorze nationalités se côtoient dans ce bout du monde niché au fond d’une impasse. Les raisons de leur présence à L’Auberge marseillaise divergent également : demandeuses d’asile, exilées non régularisées, victimes de violences conjugales, volonté d’échapper à la prostitution et à la traite, femmes en situation d’addiction. Malgré leurs différences, elles ont en commun la grande précarité – 60 % d’entre elles n’avaient aucune ressource en entrant dans le dispositif – et la confrontation à la brutalité des hommes.

Désormais apaisées, malgré leur parcours migratoire douloureux et un accueil à la française qui les a livrées à la rue, Aya et Bintou parviennent à évoquer leur installation à l’auberge avec le sourire. “Bintou était dans la salle, moi sur la terrasse, on pleurait beaucoup, chacune dans notre coin. J’avais peur, je me demandais ce qu’était cet endroit où je ne connaissais personne. Mais je n’avais pas le choix, j’avais été placée dans un hôtel insalubre par le 115 [qui gère l’hébergement d’urgence, ndlr]. Mon fils et moi on se faisait dévorer par les punaises de lit. Finalement, après 15 jours, je me suis sentie heureuse. L’équipe nous aide beaucoup, on a un toit, des repas, nos enfants sont en sécurité, c’est un peu comme une grande famille.”

Un toit, des repas, la sécurité

Si les 40 chambres jouissent du confort relatif d’un accueil touristique bon marché laissé dans son jus, le site a le mérite d’offrir de vastes espaces collectifs : un grand hall d’accueil, un réfectoire de deux cents places, une cuisine professionnelle, une terrasse de 200 mètres carrés et un jardin de 3000. Une convention d’occupation temporaire a été signée avec la mairie avec une première échéance en juillet repoussée en décembre, sans doute au-delà en fonction de l’avancée d’un projet sur le site (voir encadré). La synergie de sept associations a permis ce montage innovant : Amicale du nid (sorties de parcours de prostitution), Nouvelle aube (réduction des risques auprès des usagers de drogues), Habitat alternatif et social (insertion par le logement), SOS femmes 13 (aide aux victimes de violence conjugale), Just (équipe d’intervention de soutien droit et santé communautaire), Yes we camp (coordination et animation de tiers lieux), Marseille Solutions (facilitateur et mise en relation).

S’inscrivant dans une philosophie d’entraide mutuelle, le fonctionnement de l’auberge repose sur une dynamique participative. Les femmes doivent notamment mettre la main à la pâte pour le ménage des parties communes. “Au début, on se disputait beaucoup à propos de l’hygiène, de l’organisation du planning des machines à laver, des enfants qui se bagarraient et des mères qui ne disaient rien, se souvient Aya. Petit à petit, on a fini par trouver des solutions entre nous, même si on rêve toutes de retrouver un vrai chez nous, seules avec nos enfants.”

En attendant, elles doivent s’adapter à la vie du collectif. “Ici avant l’insertion, ce qui compte c’est la stabilisation, prendre le temps de se poser, de prendre soin de soi, explique Sarah Goulet, éducatrice fraîchement diplômée. Toutes les femmes sont arrivées à peu près au même moment, au départ tout allait bien. Puis ça a explosé, on a dû gérer des conflits en permanence. Depuis début juin, c’est plus calme.” Il a fallu quelques exclusions temporaires en hôtel pour marquer le coup à la suite de violences, mais peu à peu, les a priori et le racisme s’estompent, les points communs émergent et la solidarité prend le dessus. Les gestes symboliques deviennent naturels. Une Rom en robe léopard prend sur ses genoux le fils d’Aya en manque de câlin; « Barby » une jeunette très apprêtée prête son I Phone 12 pro pour une communication avec la CAF; des musulmanes en foulard tentent avec succès de dérider une boule de nerf en manque de cigarette.

“Au départ, on la prenait pour une folle, raconte l’une d’entre-elles. Maintenant on sait que même si elle crie, ce n’est pas grave. Tout le monde ne réagit pas pareil.” Les préjugés culturels et religieux face à cette voisine trop souvent en colère et parfois saoule ont fondu quand, avec la chaleur, les autres résidentes ont découvert sur son épaule la cicatrice laissée par l’impact de deux balles. Pour échapper aux tensions inhérentes à un collectif agrégé de souffrances, la plage et le parc Borély se trouvent à quelques minutes de marche de l’auberge. Il a pourtant fallu du temps pour que les femmes se sentent suffisamment fortes pour sortir et profiter du cadre. Désormais, elles se regroupent par affinités pour se balader, aller se baigner, faire leurs démarches en ville.

Au-delà des différences, des points communs

Une équipe de vingt et un salariés, services civiques et stagiaires accompagnent le quotidien du collectif et les démarches individuelles d’insertion. Deux éducateurs sont sur place le matin, deux autres l’après-midi. La nuit, deux gardiens régisseurs sociaux se relaient pour sécuriser l’espace. Une assistante sociale et une conseillère en économie sociale et familiale se chargent de l’accès aux droits. Ensuite, l’accompagnement aux soins s’avère une priorité, parce qu’une fois à l’abri, les corps parlent et les problèmes somatiques se manifestent. De nombreux bénévoles et acteurs extérieurs soulagent l’équipe dans l’animation du collectif, les sorties, la cuisine. Grace au soutien de Jane Bouvier, activiste de la scolarisation, tous les enfants sont scolarisés. Les Paysans urbains investissent le jardin et s’occupent du potager. Une chorale et une école de danse en manque d’espace répètent sur le site invitant les résidentes à les rejoindre si elles le désirent. Lors de la fête des voisins, une quarantaine de riverains ont partagé un moment de convivialité avec ces femmes en reconstruction. Certaines continuent de vivre leur vie à l’écart du collectif, d’autres proposent, s’investissent davantage et concoctent parfois un repas de leur pays. Après quatre mois, les bonnes nouvelles commencent à tomber. Deux ont obtenu leur régularisation, une a récupéré son fils placé depuis deux ans, trois ont été relogées.

L’ouverture du centre aéré début juillet donne de l’air aux mères comme à l’équipe. Porté par la Ligue de l’enseignement, il a l’agrément pour douze enfants âgés de 6 à 12 ans. “Monter un accueil collectif de mineurs sur un lieu de vie, c’est à la fois exceptionnel et un challenge, parce que les mamans entendent leurs enfants quand ils crient et les petits ont le réflexe de retourner vers elles en cas de difficulté, observe Julia Reich, la coordinatrice. Le premier jour, ils sont venus pour découvrir. Ils ont vu que nous proposions un lieu spécialement pour eux. On ressent une certaine violence liée à leur parcours, mais nous créons une bulle avec un cadre et des règles. Avec deux animateurs et un directeur, on a le luxe de l’accompagnement individuel et au fil de nos observations, on peut aménager des ateliers, comme par exemple la lutte contre la discrimination. On est vraiment dans le fondement de ce pourquoi nous faisons ce métier.” À la rentrée et jusqu’en décembre, le centre aéré continuera les mercredis et pendant les vacances scolaires. En apprenant cette nouvelle, Fiona sautille en mimant des mouvements d’ailes. Après avoir soutenu sa mère dans sa fuite face à un mari violent et un réseau de prostitution, elle peut enfin relâcher la pression et vivre ses dix ans.


Un dispositif temporaire soutenu par la Ville et l’État

Propriété de la municipalité, l’auberge de jeunesse de Bonneveine est tombée sous les radars d’un consortium d’associations désireux, en pleine crise sanitaire, de porter une action dédiée aux femmes vulnérables sans solution d’hébergement digne. A la base, elles sont trois, Yes we camp, Nouvelle aube et Just. Lors du premier confinement de mars 2020, elles avaient déjà expérimenté la mise à l’abri de 180 personnes au Village club du soleil de la Belle de mai. “Les équipes mobiles se retrouvaient complétement démunies avec des gens à la rue et il y avait des hôtels de tourisme vides, résume Jean-Régis Rooijackers, coordinateur de Just, émanation de Médecins du Monde dédié à l’expérimentation médicosociale. Nous avons contacté Marseille solutions qui nous a mis en lien avec le club des propriétaires.”

Pragmatique, le directeur joue le jeu, son équipe continue à entretenir le lieu pendant que des travailleurs sociaux et des bénévoles s’occupent des personnes installées à l’hôtel. Yes We Camp se charge de l’animation et de l’ouverture sur le quartier. Malgré un accueil inconditionnel d’hommes, de femmes et d’enfants, il n’y a pas eu d’incident majeur pendant les deux mois d’occupation. Quand il a fallu vider le lieu, seules une vingtaine de personnes sont restées sans solutions de relogement. “Quand on donne de la qualité aux gens, ils vont mieux et s’autorégulent, constate Jean-Régis Rooijackers. Cette expérience a généré une communauté d’action et une capacité à prendre des risques. L’idée c’est d’arrêter les places d’urgence en hôtel. Quand les pouvoirs publics laissent la gestion de la misère à des personnes malveillantes, c’est très couteux financièrement et humainement.”

En novembre, quand l’équipe veut remettre ça, elle repère l’ancienne auberge de jeunesse de Bonneveine. La nouvelle municipalité affirme sa volonté d’accompagner le mouvement mais ne propose qu’une aide matérielle. Ça tombe bien, l’auberge fait partie de son patrimoine immobilier. Elle accepte de s’acquitter des fluides. Reste à convaincre l’État de financer le projet. Une fois encore c’est l’union qui fait la force. Pression médiatique oblige le gouvernement priorise le financement de structures dédiées aux femmes victimes de violence. “Nous n’avions pas les compétences, alors on a sollicité des associations spécialisées. On a organisé une réponse commune et construit en coopération un projet d’accueil de femmes vulnérables.” Cette collaboration permet en janvier d’obtenir l’écoute de l’État, puis de négocier un budget de 33,50 euros par jours et par personne pour une ouverture mars. Pour 10 mois d’occupation, cela représente un budget de 600 000 euros essentiellement dépensé pour l’accompagnement social.

Cette collaboration inédite doit être évaluée par la Fédération des acteurs du social. Mais déjà, le consortium d’associations travaille avec la mairie au repérage d’espaces propices au développement de lieux inoccupés propices au développement de solutions alternatives aux hôtels. Après avoir visité quinze sites vraiment trop inadaptés, Jean-Régis Rooijackers ne perd pas espoir. “Ça fait 20 ans, qu’on essaie de faire comprendre que l’on peut accompagner des personnes en difficultés dans des appartements ou des bâtiments vides et les libérer quand il y a un projet dessus. Ça serait beaucoup plus cohérent en termes de dépenses publiques. On milite pour des lieux temporaires mais des places pérennes.”

(1) Les prénoms des résidentes et de leurs enfants ont été modifiés.

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Commentaires

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  1. Tarama Tarama

    Vous parlez “d’ancienne auberge de jeunesse”, or elle était en activité et il faut espérer qu’elle le redeviendra.

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  2. kukulkan kukulkan

    bravo super initiative !

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  3. MarsKaa MarsKaa

    Quelle belle initiative ! Voilà un projet solide et ambitieux, qui donne espoir, car il montre que l’on peut faire des choses. Bravo à toutes ces personnes.

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  4. penchi penchi

    A la Redac de Marsactu : attention le 115 et le samusocial sont deux entités distinctes.
    Le 115 est une plateforme téléphonique qui attribue les place d’hébergement (sans pouvoir de gestion des établissements).
    Le samusocial est quant à lui un service municipal de la ville qui fait, entre autre, de l’aide et du transport pour les personnes sans abri.
    Merci de corriger la note qui induit une erreur et non une précision

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    • Jean-Marie Leforestier Jean-Marie Leforestier

      Regrettable erreur de notre part, désormais corrigée. Merci du signalement !

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