Carbon, la giga-usine du photovoltaïque à Fos-sur-Mer en quatre questions

Décryptage
le 12 Juil 2023
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Un mastodonte industriel fabricant des panneaux solaires devrait voir le jour dans l'enceinte du port, à Fos-sur-Mer, d'ici à deux ans. Le projet soulève plusieurs interrogations en termes de financements, d'environnement et d'aménagements routiers.

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Dessin d'architecte du futur site qui doit s'implanter à Fos-sur-Mer. (Photo : QSQ)

Dessin d'architecte du futur site qui doit s'implanter à Fos-sur-Mer. (Photo : QSQ)

Bientôt un leader industriel européen à Fos-sur-Mer ? C’est en tout cas l’ambition affichée de l’entreprise lyonnaise Carbon qui prévoit d’implanter sa giga-usine de fabrication de panneaux photovoltaïques à Fos-sur-Mer. Un projet à 1,5 milliard d’euros dont la mise en service est attendue pour 2025. Alors que le groupe cherche actuellement des financements, d’autres interrogations restent en suspens, de la question de la ressource en eau à celle de l’accessibilité routière.

“Nous voulons démontrer par l’exemple, qu’en France, on peut tenir de grands projets industriels et être notamment concurrent de la Chine, affirme le groupe Carbon, fondé en 2022. Ce sera une usine 4.0, ultramoderne qui tournera 24/24, 7/7 en 100% électrique et zéro carbone”. La promesse est de taille, et s’ancre dans la stratégie nationale “bas carbone”, et la décarbonation souhaitée par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et le président de la République qui l’a rappelé lors de son dernier passage à Marseille.

Une enveloppe XXL qui reste à remplir

Ce futur mastodonte du solaire pose ses valises dans l’enceinte du Grand port maritime de Marseille (GPMM). Avec 62 hectares de terrain, 35 de bâti, le tout financé par plusieurs acteurs privés et publics. L’enveloppe, colossale, est actuellement estimée à 1,5 milliard d’euros. Elle ne semble pas effrayer l’entreprise.

L’État investit quatre millions, à travers l’Agence de transition écologique qui finance l’association Piicto. Cette dernière porte le programme “Syrius” (Synergies régénératives industrielles sud), qui couvre spécifiquement le territoire industrialo-portuaire de la zone de Fos et vise à accompagner des industriels dans les trajectoires de décarbonation. Autres acteurs publics à délier les cordons de la bourse : la métropole qui envisage une subvention de 10 millions d’euros, la région qui avance 15 millions dont deux votés fin juin et l’Europe, à hauteur de 40 millions, via le Fonds pour une transition juste.

Du côté des financements privés, cinq millions ont déjà été mis sur la table par les actionnaires. Une levée de fonds en cours à l’international vise à réunir 80 millions d’euros. Un second tour de table devrait suivre en 2024. Lors de la visite d’Emmanuel Macron, le groupe CMA CGM par la voix de son PDG Rodolphe Saadé, a d’ailleurs annoncé sa participation à travers son fonds Énergies, sans en détailler davantage le montant. Parallèlement, l’industriel s’appuie massivement sur une levée de dettes bancaires.

Une usine très gourmande en eau

Il n’y pas que les ressources financières que l’entreprise Carbon doit trouver. Pour fonctionner, la giga-usine nécessitera 2,7 millions de m3 d’eau douce par an, soit “la consommation annuelle d’une ville de 30 000 habitants”, reconnaît la société. Une consommation qu’elle cherche encore à optimiser, alors que les besoins initiaux étaient évalués à 13 millions de m3. Le Grand port de Marseille garantit de pouvoir approvisionner l’usine. Et ce, grâce à de l’eau pompée dans le Rhône, via le canal d’Arles à Bouc, comme pour l’ensemble des industries du port. Elle ne proviendra pas de la nappe phréatique de la Crau, qui alimente, elle, la consommation domestique des industriels du site portuaire.

L’eau douce sera traitée massivement, en amont de son usage dans la chaîne de production. Elle sera ensuite retraitée pour être réinjectée dans le processus industriel ou rejetée en pleine nature. “Deux stations d’épuration sont prévues, ainsi que des circuits de refroidissement fermés pour diminuer la consommation. Et 80% l’eau sera recyclée”, afin d’être réutilisée dans le processus de fabrication ou rejetée en mer, affirme en ce sens Carbon.

La question du recyclage a aussi été réfléchie pour les déchets industriels. La société assure prévoir de travailler avec des partenaires extérieurs, pour le traitement et la réutilisation des matériaux usagés. “On recycle 95% des panneaux, et bientôt ce sera 100%, avance-t-elle. Nous pensons circularité : on ne fait pas des panneaux pour se demander quoi en faire dans 40 ans. On boucle la boucle.”

Consommer beaucoup d’électricité pour en fabriquer

Quant à la consommation électrique, les besoins évalués ou “appel de puissance” sont “significatifs”, euphémise l’entreprise, avec près d’1,2 terrawatt-heure/an. Là-encore, Carbon déclare vouloir réduire sa facture : “Nous allons solariser au maximum, en équipant toits et parkings, soit 5 à 10% de la consommation du site. C’est un cercle vertueux”.

La question de l’alimentation en électricité du site de Carbon a peut-être trouvé un début de réponse lors de la récente visite d’Emmanuel Macron à Marseille. Le président de la République a ainsi souligné que “les besoins énergétiques” du GPMM, qu’il évalue lui-même à 4 EPR (ou réacteur pressurisé européen), ne pourront être comblés “par la capacité existante” et que “les énergies renouvelables ont des limites et ne permettront pas d’atteindre les quatre à cinq gigawatts nécessaires”. Ce constat l’a amené à poser la question de “lever le tabou” de l’installation d’un réacteur nucléaire au sein du GPMM.

Dessin d’architecte d’une vue nocturne du futur site. (Photo : QSQ)

Des aménagements routiers à repenser

“Nous ne donnerons d’accord à aucun projet industriel sans nouvelles routes”, assure Daniel Moutet avec fermeté. Le président de l’Association de défense et de protection du littoral du golfe de Fos est catégorique : “S’il faut évacuer rapidement, on est bloqués. Fos est enclavée, il faut de nouveaux axes.” Lui plaide pour le contournement de Fos par le “barreau des étangs”, projet coûteux réfléchi en 2020. Daniel Moutet s’inquiète d’autant plus que près de 3 000 emplois directs sont annoncés dès 2025 sur le site. Soit près de “800 personnes sur site à l’instant T”, selon l’entreprise.

Le trafic routier qui devrait augmenter aussi avec le flux de poids lourds irriguant la giga-usine. Le maire de Fos-sur-Mer, René Raimondi, corrobore : “Il y a un travail urgent à faire pour les routes, j’ai interpellé le président lors de sa visite à ce sujet. Le contournement est acté administrativement depuis 2017, mais il manque des financements”. L’élu assure que la préfecture est sur le dossier, projetant un potentiel nouvel axe routier pour 2027. René Raimondi a par ailleurs initié un manifeste pour un réseau routier à la hauteur des aspirations des habitants et des besoins des industriels”, signé par plusieurs maires concernés. Habitants et élus attendent réponses et documents à l’appui. Et notamment de découvrir les études d’impact et l’avis des autorités environnementales. Peut-être obtiendront-ils de premières réponses en septembre, lors de la prochaine réunion de concertation.

Des aménagements routiers sont aussi nécessaires dans la zone d’implantation de Carbon, au sein du port. “Il n’y aura pas d’embranchement ferroviaire spécifique, ni de quai spécifique. Mais bien des accès de proximité aux terminaux du port, développe Rémi Costantino, le directeur général adjoint chargé des grands travaux du GPMM. Nous travaillons aux accès routiers, car il faut franchir la voie ferrée”. Conscient du calendrier “extrêmement ambitieux” du projet Carbon, il assure que le port fera son maximum, d’ici à 2025, pour répondre à cette interrogation. D’ici là les autres enjeux devront aussi avoir trouvé leurs réponses.

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Merci pour cet article éclairant certaines zones d’ombre de ce projet.
    Pour l’instant beaucoup de comm’, des promesses, mais le côté “méga” de cette usine m’interroge, ainsi que l’impression d’un futur monopole qui se dessine (vont-ils emporter tous les marchés publics de la Region, et de la métropole ? ).
    Quant à l’argument de vouloir “concurrencer la Chine” (à eux tout seul ?), c’est plutôt inquiétant pour l’environnement et les conditions de travail des futurs employés.
    Tout cela me laisse des doutes sur les vertus de ce projet industriel.

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    • Mathilde C. Mathilde C.

      Vous avez raison de vous « inquiéter » sur les conditions de travail car il est prévu de faire travailler les employés 15h/j, 7 j/7, sans congés payés et avec la retraite à 70 ans.
      Je suis très inquiet également.

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    • petitvelo petitvelo

      rien que de les faire venir à Fos c’est jour avec leurs poumons

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  2. Kitty Kitty

    Article très intéressant, merci de nous éclairer sur ces sujets si complexes. Comme @MarsKaa, dès que l’on parle de Giga, je m’interroge. Au vu des transformations qui devront être réalisées pour participer à la production d’EnR (je suis particulièrement impressionné par la partie infrastructure routière), ma première impression est que, d’un point de vue environnemental, les gains nets risquent d’être fortement pénalisés par ces coûts d’infrastructure et d’exploitation (eau, énergie pour exploiter le site, artificialisation des sols, etc.). Mais, à suivre quand même car la réindustrialisation me parait rester le meilleur moyen de réduire notre empreinte carbone, mais ce sera compliqué.

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  3. Richard Mouren Richard Mouren

    Ce serait peut-être l’occasion de revoir les liaisons ferroviaires du port de Fos, liaisons indignes d’un grand port international. Il n’est mentionné dans l’article que d’aménagements routiers (les transports routiers sont-ils intégrés dans le calcul du carbone?).

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    • Marc13016 Marc13016

      Je partage cette interrogation. Manque de vision ? A quand du multimodal à grande échelle sur cette zone portuaire, qui a tout pour ça : le Rhône, la voie ferrée, les bassins (et aussi les routes, enfin, bientôt).
      D’où vient donc cette inertie ?
      Je ne suis pas un spécialiste du portuaire, mais vu de loin, ça donne l’impression de petits joueurs …

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  4. Andre Andre

    On ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs! Pense a-t-on que faire venir par bateaux entiers de l’autre bout de la planète des panneaux solaires chinois fabriqués dans des conditions apocalyptiques pour les hommes et l’environnement est plus écologique?
    Certes, il faudra veiller aux conditions environnementales de cette installation et ne pas faire n’importe quoi. Comme l’écrit Richard Mouren, on devrait privilégier le ferroviaire avant de penser, presque par habitude, à de nouvelles liaisons routières. On n’est plus en 1970, lors de la création de Fos, m…!

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  5. kukulkan kukulkan

    donc iels ont bouclé même pas 10% du financement de ce projet à 1,5Md d’euros ! mouais assez dubitatif !

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  6. Christian Christian

    A condition de mieux préparer ce projet industriel (cf les demandes des maires), il est parfaitement à sa place dans la zone industrialo-portuaire.
    D’autant plus que se libérer de la dépendance à la dictature chinoise pour le solaire (comme à celle de la dictature russe pour les hydrocarbures) est une priorité.

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  7. dominique CLARAZ dominique CLARAZ

    on se demande pourquoi ce site est choisi car enfin rien ne convient : il manque des infrastructures routières (ferroviaires ? N’en parlons pas, il est d’ores et déjà dit qu’il n’y en aura pas!) L’approvisionnement en eau et son traitement ne sont pas assurés. Quant à l’approvisionnement en énergie c’est la même chose : il faudra d’abord construire un EPR au sein du GPM. Mis à part la demande des maires et la perspective d’une embauche de 8000 personnes qui reste à préciser : qui? quel niveau de formation ? de salaire ? etc…)et le discours ripoliné de vert
    C’est un projet qui paraît assez mal ficelé pour l’instant

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    • Alceste. Alceste.

      Ne faisons rien, pas grave .D’autres régions moins ” bêtes” pour rester poli que la notre, s’occuperont du projet et s’en accomoderont fort bien et avec profit notamment pour 8000 emplois ou même la moitié.
      Et nous pauvres imbéciles continueront à se lamenter,à trouver je ne sais quelle raison pour ne rien faire.
      Alors , allez faire de l’élevage de chèvres sur le site, cette région est d’une rare compétence en la matière.

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    • Andre Andre

      Fos a été conçu comme un site industrialo-fluvio-portuaire. On n’est pas allé au bout du projet compte tenu de la crise de 73. C’était alors peut-être mieux mais, aujourd’hui, on a l’opportunité de mettre à profit ce site pour des activités d’avenir. Allons y tout en prenant toutes les dispositions nécessaires. Utiliser uniquement la desserte routière serait en effet ridicule.
      Où construirait on un tel complexe, sinon? Sur le plateau de Valensole, peut-être?!

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  8. Marc13016 Marc13016

    Si je comprends bien, cette usine devrait se situer là:
    https://www.google.fr/maps/@43.4433123,4.8488496,7625m/data=!3m1!1e3?entry=ttu (au dessus de “Everé”)
    C’est vrai que ça donne envie de la desservir par péniche (le canal vers le Rhône est d’un côté) ou par rail (il y a une voie ferrée de l’autre côté) …
    On nous parle d’accès de proximité aux terminaux du port. Donc, des camions qui vont faire 200m pour aller charger ou décharger sur des péniches ou des trains .. ou qui partiront pour 1000km vers l’Allemagne ou l’Espagne !
    Ma foi, pourquoi pas. Mais espérons que cette solution à base de camions ne relève pas d’un réflexe pavlovien sur le “tout routier”, ça serait pas très 4.0 comme usine … Les mentalités de boomer ont la peau dure, un petit rafraichissement Monsieur le Président du GPMM ? ça vous donnera une occasion d’exister dans le paysage médiatique. Important pour votre “visibilité” … et pour un aménagement intelligent de notre territoire !

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  9. petitvelo petitvelo

    S’il faut attendre un EPR pour démarrer, à l’aune de Flammanville … je ne mise pas un kopek sur cette entreprise verte irradiée

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