Beauregard, un hôpital privé à la dérive

Enquête
le 29 Mar 2023
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Faute de fusion avec Vert Coteau, avortée en 2021, l'hôpital du quartier Saint-Just est en crise, entre cadre décrépi et personnel épuisé. Jusqu'à inquiéter la médecine du travail.

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L'entrée de l'hôpital Beauregard, situé quartier Saint-Just à Marseille. (Photo : ET)

L'entrée de l'hôpital Beauregard, situé quartier Saint-Just à Marseille. (Photo : ET)

Sous un beau et frais soleil d’hiver, s’offrent les bâtiments un peu décatis de l’hôpital privé Beauregard. Situé à la frontière entre le 4e et le 12e arrondissements, enclavé au bout d’une rue pentue, il compte 600 salariés. L’établissement est en particulier connu pour sa maternité, son service de cardiologie, ses urgences, dont les urgences de la main. Sur la terrasse, des pavés et une poubelle sont descellés, tandis que plusieurs pare-soleil manquent aux fenêtres. Dans le hall, une grande famille attend des nouvelles d’un proche. Sur les murs, des affiches un peu vieillottes promettent la construction d’un futur hôpital rutilant.

En se glissant dans les couloirs jusqu’à l’un des plus vieux édifices on trouve le service de médecine, particulièrement décrépi, qui vient d’être fermé et transféré ailleurs. “C’est en prévision de la visite de la Haute autorité de santé (HAS), qui doit renouveler la certification de l’hôpital”, nous explique une soignante. Cette visite pousse aussi la direction à remettre à neuf le matériel défraîchi : dehors, le long d’une rampe automobile, s’entassent des mobiliers de chambres hospitalières qui viennent d’être réformés. Dans la salle d’attente du pôle imagerie, un vieux siège radio déchiré patiente lui aussi avant d’être débarrassé.

C’est ce pôle imagerie qui a défrayé la chronique, lorsque début octobre, dix manipulateurs radio se sont mis en grève – sur les 17 personnes composant le service. “Nous étions moins payés que les autres manipulateurs de Marseille et demandions un alignement”, raconte Théo*, l’un des grévistes. Le mouvement dure deux mois, jusqu’en décembre. Quand on a compris que rien ne bougerait, on a postulé ailleurs. Et on a tous trouvé, avec des salaires supérieurs. Mon seul regret, c’est de n’être pas parti avant !”, ajoute le jeune homme. Déprogrammations d’interventions, urgences perturbées, le mouvement a bousculé l’hôpital marseillais et mis la lumière sur un établissement essoufflé.

Déliquescence

Que se passe-t-il, sur les hauteurs de Beauregard ? Cela fait presque 10 ans, soit depuis que le groupe Sainte Marguerite a repris l’hôpital, que la situation se délite”, dénonce la CGT de l’établissement. Au début des années 2010, l’hôpital, qui est alors contrôlé par la Générale de santé (devenue depuis Ramsay), est menacé de fermeture. Inquiet, le personnel se mobilise. La mairie, tenue à l’époque par Jean-Claude Gaudin, participe à la recherche d’un repreneur ; et c’est le groupement d’intérêt économique (GIE) Sainte-Marguerite, qui détient déjà le petit hôpital de Vert Coteau et plusieurs établissements dans le Var qui se portera acquéreur. En avril 2013, le protocole d’accord est signé à l’Hôtel de Ville et un an plus tard, en juin 2014, le conseil municipal valide le principe de la cession du terrain de l’ancien collège Louis-Armand, dans le 12e, au GIE. Une cession qui devait permettre au directeur, Bruno Thiré, de fusionner Beauregard et Vert Coteau dans un établissement flambant neuf, sans équivalent de cette taille-là aujourd’hui en Francemais qui connaîtra de nombreux déboires avant de capoter définitivement en 2021.

Le refus d’investir, même s’il est justifié par le probable déménagement, exacerbe [le] manque de considération ressenti collectivement.

Extrait d’un rapport de 2018

Reste qu’à l’époque, sûre de son coup, la direction estime qu’il n’y a plus vraiment besoin d’investir dans Beauregard. Dans un rapport de 2018 commandé par les syndicats pour évaluer les risques psychosociaux à l’hôpital, le cabinet Secafi décrivait par exemple la “vétusté des couloirs, des chambres”, avec des traces d’humidité, des odeurs très gênantes”, du service de médecine. Une vétusté qui aurait un effet sur les personnels soignants et donc in fine sur les soins : Le refus d’investir, même s’il est justifié par le probable déménagement, exacerbe [le] manque de considération ressenti collectivement de manière très forte”, expliquait l’auteur du rapport.

L’arrivée de la gauche marseillaise à la mairie en 2020 a achevé le projet de fusion. Elle ne souhaite pas renforcer le déséquilibre de l’offre de soins, déjà très en faveur du privé à Marseille. En France, les hôpitaux publics dominent l’offre, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, représentant en 2019 plus de 45 % des établissements – contre 33 % pour le privé à but lucratif et 22 % pour le privé à but non lucratif. “À Marseille, c’est l’inverse : 52 % pour le privé, 33 % pour le public”, explique Michèle Rubirola, première adjointe chargée de la santé. Pourquoi cette différence ? L’intérêt de la population n’a peut-être pas toujours été la priorité”, commente-t-elle. Mais pour elle, pas question de charger l’établissement. “L’hôpital Beauregard répond aux besoins là où il est”, défend Michèle Rubirola.

Pourtant, l’abandon de la fusion, aurait, selon certains salariés, aggravé la situation. J’ai l’impression que cela a empiré depuis”, soupire Nicole*, une infirmière quinquagénaire, qui travaille depuis longtemps à l’hôpital. C’est en tout cas ce que perçoivent les salariés”, explique Christophe Carotenuto, le délégué syndical CFDT.

Salaires au ras des pâquerettes

Dégradation des conditions de prise des congés, fliquage des agentes de service hospitalier qui assurent le nettoyage, manque de personnel, bas salaires… Les griefs s’accumulent. Outre les manipulateurs radio, un autre mouvement a agité l’hôpital ces dernières années : en décembre 2021, les sages-femmes profitent d’une grève nationale pour réclamer un alignement de leur salaire sur les autres maternités marseillaises. “On est les sages-femmes les moins payées de Marseille, secteur privé et public confondu“, se désolait à l’époque l’une d’elles auprès de France 3. Finalement, les salaires seront revalorisés au niveau de la branche.

À Beauregard, la question des bas salaires est, de fait, revenue dans tous les entretiens que nous avons menés. Nous sommes mal payés”, confirme Audrey Bauville, la déléguée syndicale CFTC. Le problème est généralisable à la santé privée, dont, contrairement aux idées reçues, les salariés sont moins bien rémunérés que leurs homologues du public et du privé à but non lucratif. Et notamment “les personnels soignants et médico-techniques” pointe le rapport 2021 sur les établissements de santé de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. Pour Karl*, un aide-soignant, ces faibles rémunérations traduisent à Beauregard un manque de reconnaissance qui étiole la motivation. “Rien n’est fait pour nous fidéliser. Pas de primes, rien. Nous sommes juste des pions”, assène-t-il.

Direction de l’hôpital, es-tu là ?

D’autant que les échanges avec la direction ne sont pas des plus faciles. Dans son rapport sur les risques psychosociaux, Secafi remarquait déjà en 2018 une grande défiance vis-à-vis de cette dernière. “Il est surprenant de constater avec quelle unanimité s’exprime la difficulté à travailler pour une direction jugée inconnue, méconnaissant son personnel, physiquement absente et distante en termes d’engagement”, écrivait le cabinet de conseil spécialisé.

Ce que je reproche à la direction ? Une absence totale de bienveillance ou de chaleur humaine.

Nicole, infirmière

Une unanimité qu’on retrouve toujours, cinq ans plus tard. Au service maternité, “cela faisait un an qu’on tirait la sonnette d’alarme, se souvient Andrea*, une soignante. Mais nous n’avons jamais obtenu un rendez-vous auprès du directeur. Alors que si nous avions été écoutées, la grève aurait peut-être été évitée”. “Ce que je reproche à la direction ? Une absence totale de bienveillance ou de chaleur humaine, lâche Nicole, l’infirmière. Nous ne sommes pas considérés, pas entendus. “Je n’ai jamais vu Bruno Thiré”, confie Karl, pourtant en poste depuis plusieurs années. Les soignants interviewés décrivent tous le directeur comme sec, dénué d’empathie, passant dans les services sans saluer personne. Tous les syndicats regrettent l’absence de dialogue social. Il n’y a aucune écoute, aucun dialogue. C’est le principal problème”, martèle Andrea. Une direction que nous avons nous aussi contactée à plusieurs reprises par mail et téléphone, et ce, sur plusieurs semaines… Sans jamais recevoir aucune réponse.

Risques psychosociaux à la clé

Ce manque de communication, couplé au manque de personnel et à des salaires rabotés est loin de favoriser le bien-être général. “Dans les hôpitaux, on met toujours le parcours patient au premier plan, et on oublie complétement les soignants. Et les soignants sont tellement formatés qu’ils s’oublient aussi eux-mêmes, relève une ancienne responsable hygiène sécurité et environnement ayant travaillé à Beauregard. C’est un milieu dans lequel on voit énormément de souffrance au travail. La dégradation des conditions de travail nourrit aussi le sentiment de travailler au détriment des patients et alimente encore les risques psychosociaux. Quand on est maltraité, on risque de devenir soi-même maltraitant”, soupire Nicole.

En 2018 déjà, le cabinet Secafi remarquait qu’environ un tiers des salariés présentaient un discours “très critique, revendicatif, plaintif, une expression désordonnée qui fait écho à l’observation d’une forme de « débordement émotionnel » qui exprime nettement une excessive exposition aux risques psycho-sociaux”. Quatre ans plus tard, en février 2022, le médecin du travail continuait d’alerter. “Spécialiste en santé au travail, je vous confirme être très préoccupé par la prévention des risques psychosociaux au sein de l’hôpital privé Beauregard”, écrivait-il dans un courrier que Marsactu a pu consulter. Dans d’autres documents, nous avons constaté que l’absentéisme atteignait presque 13 % au sein de l’hôpital en 2021 – soit cinq points au-dessus de la moyenne nationale du secteur de la santé. À Beauregard, il semble urgent de prendre soin de celles et ceux qui soignent.

Droit de grève : l’hôpital condamné en justice
Contrairement à la fonction publique hospitalière et aux établissements de santé à but non lucratif, il n’existe pas de service minimum dans les établissements hospitaliers privés à but lucratif – à part si celui-ci a été défini auparavant dans un accord entre l’établissement et le personnel. En l’absence d’accord, le droit du travail s’applique et remplacer les salariés grévistes est illégal. Or c’est justement la solution choisie par la direction de Beauregard face à la grève des manipulateurs radio. Après trois courriers de l’inspectrice du travail, la CGT a porté l’affaire en référé devant le tribunal judiciaire à la fin du mois d’octobre. Les juges ont donné raison au syndicat, demandant de cesser les remplacements de grévistes par des CDD et condamnant l’hôpital à 1 000 € de dommages-intérêts à la CGT “pour atteinte à l’intérêt collectif de la profession et entrave au droit de grève“.

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Commentaires

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  1. Kitty Kitty

    Quand on voit la grande compétence de la direction, on peut se demander pourquoi la majorité municipale précédente avait décidé de leur vendre (à un prix d’amis sans doute…) la possibilité de construire la plus grosse clinique d’Europe, en concurrence directe avec l’hôpital de la Timone et de la Conception.
    Un bon point pour le Printemps Marseillais qui a permis d’éviter trois projets immobiliers (Friche Louis Armand, Beauregard et Vert Coteaux).

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  2. julijo julijo

    le groupe ste marguerite a une dizaine d’établissements, de marseille à st tropez.
    il n’a pas l’air en difficulté ! peut être parce qu’il accable son personnel.

    sur le site : https://dirigeant.societe.com/dirigeant/Bruno.THIRE.02289661.html
    on s’aperçoit que son directeur n’a pas trop de temps pour s’occuper de beauregard.

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    • Freddo69 Freddo69

      Pour y avoir effectué des stages pendant mes études… C’était déjà dégradé au niveau humain en 2000… Ils ont raté le coche avec l’hôpital européen à l’époque quand Ambroise Paré et Paul Desbief voulaient faire un rachat des lits
      Ça ne pouvait que couler.

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  3. Moaàa Moaàa

    Quand ça pue, il y a toujours gaudin et ses sbires derrière. Un mépris à l’égard du personnel de Beauregard, de la part du directeur, le même mépris pour une frange de marseillais de la part de l’ancienne équipe municipale, CQFD

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  4. Marc13016 Marc13016

    ça fait plaisir d’entendre parler de Michèle Rubirola au détour d’un article dans la presse locale ! Au moins on apprend qu’elle travaille sur ses missions de base, la santé. Oufff … on la croyait plus là !
    Ma foi, si c’est rester discrète pour rester efficace, tant mieux.

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