ArcelorMittal dépasse les seuils de pollution 240 jours par an malgré les millions de l’État
À Fos-sur-Mer, le géant de l’acier accumule les condamnations pour cause de pollution. Nos investigations révèlent qu'en 2022, l’industriel n’était toujours pas aux normes. Malgré des travaux de rénovation et des millions d’euros d’aides publiques reçus, ses rejets de particules fines ont dépassé les seuils pendant les deux tiers de l’année. Une enquête en partenariat avec Disclose et IrpiMedia, que nous diffusons en accès libre.
L'usine ArcelorMittal de Fos-sur-Mer a annoncé une réduction de ses effectifs. (Photo : SL)
Ce sont des documents confidentiels accablants pour le leader européen de l’acier, auxquels Marsactu et Disclose ont eu accès. Cinquante-six pages, décorées du logo d’ArcelorMittal et d’un médaillon affichant comme valeurs cardinales “résilience”, “exigence”, “ingéniosité” et “coopération”, détaillent le nombre de jours pendant lesquels l’industriel a constaté ses propres dépassements des seuils de pollution fixés par l’État, entre le 28 décembre 2021 et le 3 janvier 2023. Notre analyse de ce rapport interne, réalisée avec des experts des émissions industrielles, montre qu’au cours de l’année 2022, les rejets de particules fines étaient hors-la-loi pendant 240 jours au sein de l’usine de Fos-sur-Mer. Soit 65 % de l’année écoulée. Ces excès de pollution sont concentrés dans une unité stratégique du site industriel : l’agglomération, un ensemble de fours où le minerai de fer est aggloméré avant d’être transformé en fonte.
L’ampleur des rejets de particules fines est parfois visible à l’œil nu. “Les bâtiments de l’agglomération, qui datent de 1975, ne sont pas étanches. Donc dans les bureaux ou les salles de contrôle, les gens passent la journée à respirer de la poussière. Le 23 janvier dernier, les vestiaires ont été envahis par la poussière, à tel point que les vêtements propres des salariés qui étaient rangés dans les casiers sont devenus gris”, raconte Nordine Laimeche, délégué syndical CFDT. Le laboratoire d’analyse privé Igienair est venu mesurer l’ampleur de ces dépôts de poussières le 21 avril 2022. Son rapport d’évaluation, que nous nous sommes procuré, est sans appel : dans deux salles de contrôle, le niveau d’empoussièrement est 2 à 5 fois supérieur aux objectifs de propreté de l’industriel. “Certains salariés préfèrent garder leur masque pendant 8 heures dans les salles de contrôle, même si ce n’est pas une obligation, parce qu’à chaque fois qu’ils se mouchent, ce qui sort est noir”, témoigne le syndicaliste.
15 000 euros d’amende
Cette partie de l’usine d’ArcelorMittal est aussi bien connue des inspecteurs de l’environnement et de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Ces dix dernières années, elle a fait l’objet de quatre rappels à la loi, des mises en demeure de respecter la réglementation environnementale sous peine de sanctions, en 2014, 2017, 2020 et 2021. Le 14 octobre 2020, le sidérurgiste a été condamné à payer 15 000 euros d’amende pour ses émissions excessives de particules fines.
Infographie : Raphaël Da Silva
L’amende assortie d’une astreinte de 500 euros par jour s’est arrêtée, selon la préfecture des Bouches-du-Rhône, en octobre suite à “un retour à la conformité” d’ArcelorMittal sur ce point précis. L’action tardive de l’industriel devrait tout de même lui coûter plus de 350 000 euros. Avec l’effet d’une tapette sur la joue, l’année où la filiale ArcelorMittal du Sud de la France enregistre un bénéfice de 195 millions d’euros, en plus de nombreuses aides publiques (voir infographie ci-dessus).
Fin 2021, constatant l’absence de réel changement, les inspecteurs des Bouches-du-Rhône rédigent un nouveau rappel à la loi, avec menace de fermeture de l’agglomération sous six mois si ses émissions de particules ne reviennent pas sous les seuils autorisés. Mais il n’a depuis jamais été question ne serait-ce que d’un jour de fermeture, alors que les rapports d’auto-surveillance montrent que ces seuils ne sont toujours pas respectés en 2022.
Émissions diffuses, benzène et dioxyde d’azote
Les particules fines, chargées de métaux lourds toxiques responsables de maladies cardio-vasculaires et de cancers, ne sont pas les seuls polluants hors normes d’ArcelorMittal. Ses relevés confidentiels d’auto-surveillance révèlent également une quantité anormale d'”émissions diffuses”, des fumées qui s’échappent des fours de la cokerie, où le charbon est brûlé et transformé en coke. Pendant 21 semaines, soit 40 % de l’année 2022, jusqu’à 23 % des portes des fours laissent échapper des fumées, alors que le ratio ne devrait pas dépasser les 10 %. La préfecture confirme ces chiffres tout en indiquant que l’industriel a, là aussi, pu opérer un “retour à la conformité” en décembre 2022. Ces émanations orangées sont chargées en benzène et benzo-a-pyrène, deux composants cancérigènes, nocifs pour les fœtus et qui peuvent entraîner des mutations génétiques.
Toujours en 2022, les émissions de dioxyde d’azote (ou NOx) outrepassent également les valeurs limite autorisés pendant un tiers de l’année (100 jours sur 370), dans une des batteries de fours de la cokerie. Ce gaz irritant pour les bronches est connu pour favoriser le développement de l’asthme, augmenter le risque d’infections respiratoires et de maladies pulmonaires chroniques, en particulier chez les enfants.
“ArcelorMittal Méditerranée est engagée dans l’action pragmatique pour réduire significativement les émissions environnementales de ses activités”, assure à Marsactu le service communication de la filiale française du groupe. “Des investissements d’une centaine de millions d’euros ont été engagés sur la période 2010-2020, réduisant fortement les émissions atmosphériques du site sur la même période”, ajoute-t-il sans donner de détails chiffrés sur ces réductions.
Pour que cette usine fonctionne normalement, il faudrait qu’ArcelorMittal mette le double de ce qu’ils mettent actuellement pour l’entretenir.
Christian Cassini, délégué CFDT
Pour les syndicats de salariés, ces investissements restent cependant insuffisants, étant donné l’ancienneté de l’usine, construite dans les années 1970. “Il ne se passe pas un jour sans un incident, une panne… On doit faire avec des installations en partie vétustes”, affirme Christian Cassini, délégué syndical CFDT. Ces cinq dernières années, 30 à 50 millions d’euros par an ont été consacrés à la maintenance de l’outil industriel à Fos, selon ses rapports d’activités. “Pour que cette usine fonctionne normalement, il faudrait qu’ArcelorMittal mette le double de ce qu’ils mettent actuellement pour l’entretenir”, estime-t-il. Le service communication de l’entreprise affirme de son côté avoir déboursé près de 4 milliards d’euros depuis 2000 pour maintenir en bon état le site de Fos-sur-Mer.
Trois condamnations en justice et onze rappels à la loi
La préfecture des Bouches-du-Rhône a mis en demeure ArcelorMittal à onze reprises depuis 2010, dont six fois pour pollution de l’air, et deux fois, en 2017 et 2021, pour des dépassements des seuils autorisés de particules. De son côté, la justice, saisie par l’association France Nature Environnement, a condamné par trois fois l’industriel, en 2009, 2013 et 2021, pour des infractions environnementales, l’obligeant à verser 99 600 euros à l’association écologiste ou à l’administration.
Depuis 2019, ArcelorMittal est également visée par deux procédures judiciaires. Cette année-là, une enquête préliminaire a été ouverte suite à la plainte contre X déposée par 260 plaignants pour mise en danger de la vie d’autrui. Quatorze d’entre eux ont également saisi le tribunal judiciaire d’Aix pour trouble anormal du voisinage. Déboutés en première instance, ces riverains du sidérurgiste attendent une décision en appel, le 4 mai prochain.
Dans les prochains mois, l’avocate qui les défend, Julie Andreu, va également attaquer en justice l’Etat français pour carence fautive, c’est-à-dire inaction. “L’État est censé être le garant de la santé publique. Il a le pouvoir de prendre des sanctions à l’encontre des industriels, mais les quelques arrêtés de mise en demeure pris par le préfet sont insuffisants et ne sont souvent pas respectés. Et malgré des irrégularités constantes depuis des dizaines d’années, ArcelorMittal n’a fait l’objet que de deux sanctions administratives”, estime l’avocate spécialiste des affaires liées à l’environnement. “Ce laxisme du préfet envers les industriels se fait au détriment de la santé des habitants”.
44 millions d’euros d’aides publiques
Malgré l’impact de la pollution excessive d’ArcelorMittal sur la santé des riverains et des salariés, les collectivités locales, le gouvernement français et l’Union européenne se sont montrées très généreux pour soutenir l’outil industriel de Fos-sur-Mer, qui produit chaque année environ 3 millions de tonnes d’acier. Depuis 2015, le site de Fos a capté 31 millions d’euros d’aides publiques, sous forme de subventions directes et crédits d’impôts. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a également promis de soutenir à hauteur de 15 millions d’euros les futurs efforts de réduction des émissions de CO2 d’ArcelorMittal Méditerranée. Lors d’une conférence de presse le 22 février dernier, le directeur du site, Bruno Ribo, a confirmé avoir reçu une première tranche d’1,5 million d’euros pour la construction d’un four électrique.
Comble de l’ironie, la partie de l’usine de Fos-sur-Mer qui a été la plus subventionnée par les pouvoirs publics est aussi celle qui respecte le moins les normes de rejets polluants. Depuis 2015, ArcelorMittal a reçu 13 millions pour réparer et moderniser son unité d’agglomération. Huit ans plus tard, le leader de l’acier ne maîtrise toujours pas son procédé industriel.
Les promesses de changement remontent à 2015. Cette année-là, ArcelorMittal annonce le lancement du système Mistral de filtrage des fumées, “procédé innovant de recirculation de fumées“, qui promet de réduire de 25 % les rejets de particules de l’agglomération. Le projet a coûté 14 millions à l’entreprise et 8 millions d’euros à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), sous tutelle du ministère de la Transition écologique. Prévu initialement en 2016, le système Mistral n’est opérationnel que depuis 2019, selon les représentants syndicaux CFDT et CGT de l’usine.
La même année, en 2019, ArcelorMittal commence à installer un autre système de filtration, baptisé cette fois “ODAS”. L’objectif est de réduire les émissions de particules de 40 % à l’unité d’agglomération de l’usine. Le fonds européen pour le développement économique régional (FEDER) finance 25 % des travaux, à hauteur de 5 millions d’euros sur des 20 millions budgétés. Mais là encore l’installation prend du retard, en raison du Covid et “de difficultés d’approvisionnement”. La mise en service de la première phase du filtre Odas n’a débuté qu’à l’été 2022, deux ans après la date de livraison initiale. Le système ne sera complet qu’à la fin de l’année 2023. ArcelorMittal assure néanmoins à Marsactu que “des premiers résultats de réduction des émissions de poussières très positifs” ont été observés.
En dix ans, ArcelorMittal a perçu 376 millions d’euros d’argent public pour sa branche française.
Cette stratégie de captage des deniers publics n’est pas spécifique à l’usine de Fos. Ces dix dernières années, l’État, les collectivités locales et l’Union européenne ont alloué pas moins de 376 millions d’euros à la branche française d’ArcelorMittal dont 364 millions déjà versés (voir l’enquête de notre partenaire Disclose). Un soutien sous forme de crédit d’impôts et aides directes.
En Italie, on peut carrément parler de jackpot. L’enquête de notre partenaire IrpiMedia révèle que les autorités italiennes ont dépensé 721 millions d’euros depuis 2018, pour les cinq aciéries qu’il dirige dont les hauts-fourneaux de Tarente, dans les Pouilles. Or cette dernière usine, reprise par ArcelorMittal il y a quatre ans, est une des plus polluantes du pays, dénoncée par les habitants et les associations écologistes locales.
Promesses d’acier vert
Ainsi choyée, la multinationale basée au Luxembourg ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. La quête d’argent public est même devenue un objectif stratégique du groupe ArcelorMittal. Son plan d’action pour réduire son impact sur le climat, présenté en 2021, assure que “les aides publiques doivent financer 50% de [ses] coûts de décarbonation afin que [ses] filiales ne perdent pas en compétitivité pendant la phase de transition”.
À grand renfort de communiqués de presse et de labels auto-décernés d’”acier vert”, ArcelorMittal s’est en effet engagé à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, l’horizon fixé par l’accord de Paris de 2016. Pour les sidérurgistes, parmi les industries les plus émettrices au monde, le défi est colossal. Chez ArcelorMittal, la production d’une tonne d’acier nécessite de rejeter environ deux tonnes de CO2 dans l’atmosphère. La filiale française du groupe estime son plan de décarbonation à 1,7 milliard d’euros, répartis sur ses deux principaux sites : Dunkerque et Fos-sur-Mer. Lors d’une réunion publique en novembre dernier à Dunkerque, un responsable local d’ArcelorMittal a glissé que le gouvernement français s’était déjà engagé, en privé, à payer 40 à 50 % de la facture.
À Fos-sur-Mer, l’industriel envisage de remplacer un de ses deux hauts fourneaux par un four électrique et a commencé à construire un premier mini-four électrique pour recycler de l’acier. Ces travaux, dans lesquels ArcelorMittal a prévu d’investir 45 millions d’euros, devraient réduire de 20 % ses émissions de CO2 d’ici 2030.
Mais le réveil de l’industriel est tardif. Jusqu’en 2021, il n’avait consacré aucun investissement à la décarbonation de ses usines françaises. Pire, il s’est enrichi grâce à ses émissions carbone et le généreux système d’échange des quotas de CO2 mis en place par l’Union européenne, il y a près de vingt ans. Ce marché carbone a permis à ArcelorMittal d’amasser au moins 5,2 milliards d’euros, en vendant et valorisant ses bons d’émissions de CO2 (voir l’enquête de Disclose). À l’origine, il s’agissait déjà de pousser les industriels les plus polluants à utiliser cette manne pour financer leur décarbonation, et réduire à terme leurs émissions. Mais cet objectif n’a jamais été réellement atteint, et l’Union Européenne a fini par réformer le système fin 2022, en diminuant les quotas d’émissions attribués aux industriels.
À Fos-sur-Mer, avec ces travaux entamés en 2021, on jure que cette fois c’est la bonne comme le montre un reportage de nos consoeurs de France 3, diffusé dans le journal télévisé du 22 février. Ce jour-là, pour la première fois, télés, radios et journaux locaux, avaient tous été conviés à découvrir son chantier vitrine. Tous, sauf Marsactu recalé “faute de place”. Trop encombrant pour le service de presse de l’industriel ?
Merci pour cette enquête fournie. Cette situation anormale depuis des decennies est une honte. Le “manque de place” à la visite de Presse, souligne votre intégrité, votre serieux dans votre travail d’investigation depuis des annees Nina Hubinet et Marsactu. Merci.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Merci MarsActu.
C’est complètement déprimant mais je préfère quand même savoir !
Se connecter pour écrire un commentaire.
Il faut classer la zone en ZFE
Se connecter pour écrire un commentaire.
Avec un rapport comme celui-là, très difficile de faire confiance au projet pourtant attractif d’usine de cellules photovoltaiques de Carbon sur la même zone.
C’est désolant et irresponsable de la part des industriels. Et bravo aux syndicalistes lanceurs d’alerte pour qui ce job est aussi leur gagne-pain.
Se connecter pour écrire un commentaire.