Sous les ailes de Cupidon

Idées de sortie
le 9 Mar 2018
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Sous les ailes de Cupidon
Sous les ailes de Cupidon

Sous les ailes de Cupidon

Poésie et musique sont les compagnes favorites de la passion amoureuse. Les muses participent aux élans juvéniles des amants ou nous adressent leurs déchirantes suppliques. La nuove musiche(1) du XVIIe siècle célèbre l’allégresse, l’espérance et le chagrin au temporel comme au spirituel. Avec l’ardeur qu’on lui connaît, le festival Mars en Baroque décochera des flèches aux suaves blessures auxquelles les cœurs les plus secs ne pourront résister.

L’apothéose du lamento a versé le madrigal amoureux dans des sentiments exténués « de douleur et de douceur ». Bientôt la dimension théâtrale redoublera l’émotion charnelle incarnée par ces héroïnes antiques que les premiers opéras font soupirer dans un décor pastoral où se médite la leçon du peintre Carrache. À la cour florentine, dans les toutes premières années du seicento, le compositeur Giulio Caccini s’illustre dans ce genre. Il transmettra à sa fille Francesca son enthousiasme pour le chant accompagné et la poésie érudite. Ainsi naîtra en 1625, à Florence, le premier opéra à s’épancher d’un cœur féminin : La Liberazionne di Ruggiero. Commandé pour des festivités princières, ce Balletto rappresentato in musica participe au déploiement somptuaire des fastes du pouvoir dont nobles et courtisans sont aussi souvent acteurs que spectateurs. Il se termine par un ballet équestre spectaculaire où des cavaliers paradent dans les jardins en chantant sur la musique des violes et des trombones. On pardonnera à Jean-Marc Aymes d’avoir renoncé à reproduire la mise en scène originale. Concerto Soave restitue cette œuvre exceptionnelle dans une version concert qui révèle toute l’efficacité expressive de son écriture musicale. Le champ du drame lyrique s’étend à la littérature de la Renaissance en empruntant à l’Arioste le thème romanesque du Sarrazin Ruggiero (Romain Bockler), ensorcelé par la magicienne Alcina (Maria Cristina Kiehr) et délivré par son ex, Melissa (Sarah Breton) qui, travestie en Atlante, augure des troublantes sensualités de l’opéra baroque. Si le parler-chanter domine, de courtes et délicates arias, des duos, trios et chœurs explorent avec une maîtrise innovante l’éventail sensible qui s’offre à la conduite des voix, soutenues par un orchestre aux sonorités raffinées. L’exécution de cette musique de scène du premier âge baroque ouvre à de nombreux questionnements un véritable chantier d’investigation interprétatif, plaçant cet évènement parmi les réalisations les plus ambitieuses de l’édition 2018.

Les autorités ecclésiastiques connaissent les capacités redoutables de l’art des sons, comme celui des images, à mouvoir les sentiments humains. Elles utilisent la musique liturgique et les tableaux d’autels pour rendre intelligible la parole divine et toucher le cœur des hommes, en se défiant cependant d’aussi puissants outils. Concerts de musiques sacrées et conférences au musée éclaireront les évolutions stylistiques accélérées par la Réforme puis la Contre-Réforme. Catholiques ou protestants, les compositeurs ont traduit l’intensité des nouvelles dévotions avec des œuvres d’une piété fervente qui ont su toucher l’âme des fidèles. Café Zimmermann et la soprano Norma Nahoun mettent en regard les cantates de Christoph Graupner et de Jean-Sébastien Bach sur un même texte inspiré de l’humilité nécessaire au véritable amour de Dieu. Tandis que Concerto Soave et l’ensemble vocal Vox Luminis nous invitent sur les chemins qui, de la polyphonie renaissante à la monodie accompagnée, ont conduit Roland de Lassus à chiffrer l’alphabet musical d’une religion à mystère et Palestrina puis Monteverdi à exalter les magnificences d’une église triomphante.

Et la bête à deux dos

Il eut été bien étonnant que le solfège amoureux de Mars en Baroque ne retienne que déplorations et ravissements transcendantaux d’éloquents chevaliers et de chastes madones. Le festival débutera par un Ballo a Venezia donné par Concerto Soave et destiné à faire valoir la fantaisie qui fait le charme de la République vénitienne. Le drame chanté n’y est plus ce spectacle endogène que l’aristocratie se donne à la gloire d’elle-même mais s’ouvre, par l’intermédiaire des théâtres publics ou du masque carnavalesque, à la validation de goûts et d’intérêts au caractère divertissant plus affirmé. La scène amoureuse se peuple de vieilles coquettes, de domestiques rusés et de pédants transis qui se mettent aussi à pousser la canzonette aux côtés des princes altiers et vaillants héros.

Le concert-lecture L’Amour à la française viendra nous rappeler que la note sentimentale fleurdelisée se pare des mouvements élégants d’un menuet de François Couperin ou des suggestions franchement réjouissantes d’une cantate de Nicolas Bernier. Concerto Soave, la soprano Jeanne Bernier et la conférencière Martine Vasselin nous convient ainsi à respirer les parfums de la Régence, convoiter des images rococo et voluptueuses transférant à l’oreille toutes les figurations de la sphère sensorielle. Films et banquets avec entremets musicaux amplifieront encore la gamme des tentations.

Mars en Baroque explore cette année des territoires historiques hors de sa zone de prédilection. L’ensemble de musique médiévale Apotropaïk évoquera les désirs inassouvis de l’amour courtois, sublimés en rondeau et ballade au son de la vièle et de la harpe gothique. Tous empreints de louanges et obéissances à leurs belles maîtresses dont oncques ne vit la pareille de la Halle, Machaut ou Binchois chantent l’hymne, largement fictif, du pouvoir féminin. À moins qu’inversant les codes du fin’amors, une chanson paillarde ne vienne butiner un buisson ardent qui ne doit rien à la Vierge aixoise de Nicolas Froment(2).

Autre temps, autre idéal, l’ensemble L’Armée des Romantiques exprimera, de l’amour, l’inexprimable : le rêve d’une concorde des âmes dont celles emblématiques de Robert et Clara Schumann. Un spleen sur instruments d’époque parmi lesquels le piano (Remy Cardinale) se taille la part du lion dans une esthétique appassionata qui revendique sa liberté d’inspiration. « Des ailes, des ailes, des ailes(3) » réclament les artistes après Beethoven, les ailes de papillon de la belle Psyché que Cupidon réveilla d’un baiser.

Poursuivant sa course vers le futur, le festival invite l’auteure Nancy Huston à une performance fantasmatique et envoûtante mêlant musiques, littérature et peinture improvisées, Erosongs : une de ces perles rares et insolites dont le baroque tire son nom.

Parmi la diversité et l’originalité des propositions de Mars en Baroque 2018, souhaitons-nous le bonheur d’un coup de foudre. Et plus si affinité.

Roland Yvanez

(1) Traité publié par Giulio Caccini en 1602

(2) Retable de la Cathédrale St-Sauveur

(3) Histoire du romantisme, Théophile Gauthier

Mars en Baroque : du 9 au 31/03 à Marseille. Rens. : 0 892 68 36 22 / marsenbaroque.com

Le programme complet du festival ici

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