Mes châteaux d’If: A bas la presse bourgeoise.

Billet de blog
le 3 Nov 2022
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Dominique Pinsolle, A bas la presse bourgeoise! Deux siècles de critique anticapitaliste des médias de 1836 à nos jours, Agone, Contre feux, 2022.

Mes châteaux d’If: A bas la presse bourgeoise.
Mes châteaux d’If: A bas la presse bourgeoise.

Mes châteaux d’If: A bas la presse bourgeoise.

Henriette Caillaux abattant le directeur du Figaro. 16 mars 1914.

 

«Si vous examinez, en effet, la presse en elle-même, la presse actuelle, que voyez-vous? Vous voyez de grandes organisations financières installées pour accaparer la pensée humaine, la pensée politique tout au moins…» Est-ce le constat d’une commission sénatoriale présidée par l’indomptable François Ruffin ou l’avis outrecuidant d’un opposant à Patrick Drahi ? Raté, flûte flûte, il s’agit du député Charles Floquet, déjà averti en 1881 de la concentration dans les médias de l’époque qui ne sont alors que presse écrite, la reine maléfique et historique des médias.

La presse naît en France avec la Révolution Française. Avant, dâme, ce ne sont que gazettes financières qui agitent boudoirs et cabinets. Dominique Pinsolle, historien à l’université de Bordeaux, reprend le fil de l’histoire à partir du duel entre Girardin et Carrel. Le premier représente la presse bon marché, l’autre le journalisme politique. Le second va périr. Mais le combat entre deux grandes façons de voir l’information va se poursuivre avec ardeur jusqu’au duels Demorand-PLPL ou Val-Plan B.

A partir de la révolution de 1848, 450 journaux sont lancés dans un pays où les lecteurs sont encore très peu nombreux et où la population, 30 millions, sort juste des disettes. En 1851, Louis Napoléon Bonaparte, déjà élu, prend le pouvoir par un coup d’État et restreint la liberté de la presse, alors que l’alphabétisation et le réseau ferroviaire eux, s’étendent.

Les titres de la presse économique et financière aiguisent les appétits car ils ont la capacité d’orienter l’argent des épargnants. Les conséquences surgiront avec le scandale du Panama ou les emprunts russes. «Dés que le journalisme est devenu une affaire, il a cessé d’être un esprit» estime le journaliste Hippolyte Castille.

Une nouvelle forme de journalisme essaime alors avec le Petit Journal, qui deviendra grand en attirant le peuple vers des romans, feuilletons et fais divers. Lors de la parenthèse de la Commune de Paris, comment tolérer les journaux libéraux qui canardent les communards? Pour ces derniers, la presse libre doit être affranchie autant des contraintes de l’État que de la mainmise de la bourgeoisie.

En 1881, la commission chargée de proposer une loi sur la libéralisation de la presse fait entendre la voix de Martin Sourigues, député des Landes, par un amendement, où il demande à ce que l’on fasse cesser les publicités mensongères. La limite entre l’annonce clairement présentée comme telle et l’article promotionnel déguisé est toujours aussi floue. Ouvrez vos revues aujourd’hui et vous verrez que cela n’a pas changé.

Entre 1863 et 1892, quatre journaux représentent 4 millions d’exemplaires vendus par jour à la veille de la première guerre mondiale. Pubs tapageuses, romans feuilletons, jeux et concours rivalisent entre scoops et faits divers sanglants. Dominique Pinsolle ne s’appesantit pas sur le rôle des journaux d’opposition de cette époque et dont certains comme la Guerre Sociale alors antimilitariste, entrent en guerre. Comme le feront bien des journaux à d’autres époques, tels Libé pour la première guerre du Golfe. Le journal de la CGT, la Voix du peuple est aussi tombé comme le syndicat révolutionnaire dans la piège du «militarisme allemand». En 1916, il appelle aux soupes communistes, barbote dans la fiente humanitaire, en attendant la fin de cette dernière guerre comme il l’espère.

Mais ce n’est pas le sujet du livre. Pour se faire une idée à peu de frais, il faut voir le film de Margaret Von Trotta ressorti en octobre, Rosa Luxemburg. Il montre la trahison de la gauche politique et syndicale face à la guerre. Les sociaux démocrates allemands à l’exception de l’aile « spartakiste» voteront les crédits de guerre, comme du côté français. Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht finiront leurs jours dans le Landwehrkanal.

Les syndiqués de la limonade qui sont évidemment les plus clairvoyants publient en 1907 un article nommé «A bas la presse.» où ils invitent leurs lecteurs à ne plus engraisser des journalistes «ramassis d’ignorants et de fumistes qui tournent en dérision nos revendications». Quel que soit la qualité du Canard Enchaîné qui naîtra dans les tranchées de la guerre de 1914, on connaît les attaques du palmipède contre les travailleurs. Mais, objecterons-nous tel un chroniqueur impartial de TF1, le Canard reste un des rares journaux qui ne soit pas possédé par un milliardaire, ce qui prouve que la critique de la presse aura besoin d’une nouvelle pensée.

Dominique Pinsolle rappelle l’histoire exemplaire d’ Henriette Caillaux qui ne supportant plus les attaques dans la presse contre son époux, alors Ministre des Finances, assassine le directeur du Figaro, Gaston Calmette. L’héroïne fut acquittée.

Il raconte l’affaire plus méconnue de Raffalovitch, chargé de faire la promotion de l’emprunt russe lancé par l’empire tsariste. L’Humanité s’en empare et s’insurge contre la presse vénale et pourrie par la voix de Souvarine.

Cet ouvrage balaie la période de la collaboration où la presse n’a pas été en reste, tandis que des journaux libres naissaient dans la clandestinité. Il s’intéresse aux années 70, aux sociétés de rédacteurs, et au renouveau d’une presse satirique et politique se heurtant au monopole du papivore Hersant. Quelques pages sur Georges Marchais vont droit au cœur quand ce dernier étrille en direct les Duhamel et Elkabbach. Puis l’auteur rappelle avec force détails le combat d’ Acrimed comme du journal PLPL dans les années 2000. Reconnaissons que c’est grâce à des livres comme Les Nouveaux Chiens de Garde, à l’émission Là-bas si j’y suis et au travail du Monde Diplomatique qu’une nouvelle forme de résistance aux médias est née en France. L’empire médiatique et capitaliste, lui a pris des proportions inégalées qui font douter de l’information. La fabrique du consentement a donné place aux boucles de rétroaction d’internet. Pourtant les mots de Maurice Bunau-Varilla ,en 1903, nouvel acquéreur du Matin résonnent encore : « Mon fauteuil vaut trois trônes »

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