Marseille, Le Petit Séminaire, une cité symbole d’une politique municipale de ségrégation
C’est avec stupeur que j’apprends que la cité du “Petit Séminaire” à Marseille dans le 13° arrondissement va être détruite. Si un tel projet est mis en œuvre, ce sera l’achèvement d’une stratégie de longue haleine qui, depuis près de cinquante ans, a conduit les responsables politiques de Marseille à chasser les pauvres au lieu de lutter contre la pauvreté.
Ce projet de démolition resurgit alors que le drame de la rue d’Aubagne a endeuillé la population marseillaise, mettant en lumière une politique municipale en matière d’habitat guidée par une idéologie de ségrégation sociale et ethnique. En terme plus “soft” on parlera d’une politique de “gentrification” et d’une absence assumée, sinon revendiquée, de mixité urbaine. Cette “ségrégation” fort ancienne a été largement développée par Jean-Claude Gaudin et son équipe, laissant les mains libres aux trop nombreux promoteurs qui, toujours à la recherche du plus grand profit, s’adaptent à la demande des “bons clients” qui à l’évidence préfèrent se retrouver entre eux.
Mais revenons à la cité du “Petit Séminaire” qu’Habitat Marseille Provence s’apprête à démolir sans aucun scrupule et avec des arguments bien rodés : inconfort, insalubrité, coût d’entretien, comportement des locataires, etc… En 1980, cette petite cité, laissée à l’abandon et déjà vouée à la démolition, va faire l’objet d’une opération de sauvetage exceptionnelle et quasi “miraculeuse” grâce à la ténacité de Michel ANSELME, sociologue (hélas trop tôt disparu) et chercheur au CERFISE, de Michel PERALDI et d’un architecte André JOLLIVET. Dans un premier temps, ils réussissent à convaincre le Ministre du logement, le président d’alors de l’Office HLM et son directeur, de les laisser tenter une autre hypothèse que celle de la démolition. Ils sont en effet convaincus que les habitants de la cité ont leur mot à dire et ils s’engagent à recevoir leurs doléances et, dans la mesure du possible, à en tenir compte. En mai 1981, François MITTERAND vient d’être élu Président de la République. Il a chargé Hubert DUBEDOUT d’une mission sur les banlieues. Le rapport intitulé : “Ensemble refaire la ville”, diffusé fin 1982, met en avant l’importance du rôle des habitants dans la requalification des quartiers d’habitat populaire : <<la crédibilité d’un projet global passe très souvent pour les habitants par la prise en compte immédiate de certaines demandes liées à leurs conditions de vie …>>
Cette équipe marseillaise de “copains”, quelque peu visionnaires, s’est alors installée sur place (pour certains, jours et nuits) et, durant cinq ans, ils ont écouté et enregistré la parole des habitants en tentant de la retranscrire dans leurs plans et leurs travaux. Ce ne fut pas pour eux un long fleuve tranquille, mais la plupart des anciens locataires ont retrouvé, à la suite des travaux, des conditions de vie plus acceptables. Cette “expérimentation” originale a plus d’un titre a fait l’objet de nombreux rapports et enquêtes qui vantaient la démarche et ses résultats (Cf. Les Annales de la recherche urbaine année 1985/26/p 49/50). Le Ministère du logement, en tirant les conclusions de ces travaux, a alors décidé d’engager et financer une nouvelle procédure nationale appelée Maitrise d’œuvre Urbaine et sociale largement connue et utilisée aujourd’hui sous le sigle MOUS. Cette modalité d’intervention a eu des retombées jusqu’en Chine où les “copains marseillais ” ont été invités à faire part de leur expérience.
Cette démarche qui aurait dû montrer le chemin et devenir la règle dans tout projet sérieux de réhabilitation est rapidement tombée dans l’oubli sous la pression conjuguée de certains maires et des promoteurs publics ou privés qui voyaient leur pouvoir et leurs choix menacés par des habitants dont ils doutaient ou contestaient la qualité de citoyens et surtout d’électeurs.
Les habitants de la cité du Petit Séminaire, dans l’ensemble satisfaits des résultats, se sont sentis abandonnés lors du départ de l’équipe. Il avait pourtant été prévu une période de suivi durant laquelle l’OPHLM mettrait en place une “gestion sociale de proximité” ou GEX financée par l’Etat. Le changement de présidence et de la direction de l’Office HLM, repris d’une main ferme par les élus, a mis à mal ces bonnes intentions et très vite le Petit Séminaire a de nouveau été classée comme cité à problèmes contribuant ainsi ou départ des familles les moins pauvres et à un regroupement de familles d’origine gitane rejetées par ailleurs.
Si nous avons rappelé cette triste mais surtout sinistre comédie c’est qu’elle est le reflet d’une politique de l’habitat volontariste qui contribue, malgré toutes les déclarations et procédures officielles, à aggraver une ségrégation urbaine et sociale. “La politique de la ville” sensée s’appliquer à plus d’un tiers du territoire marseillais n’est qu’un leurre permettant à “quelques bonnes âmes” de se satisfaire de généreux discours.
Dans un tel contexte, il faut d’urgence alerter tous ceux, et ils sont nombreux, qui se battent et souhaitent que Marseille reste fidèle à sa vocation historique : une ville de rassemblement et d’accueil ouverte sur le monde.
Toute politique qui ne prendrait pas en compte l’expertise et la capacité des habitants à être acteurs de leur avenir est vouée à l’échec. Il convient par tous moyens de faire entendre cette réalité à ceux qui auront, dans 18 mois, l’audace de solliciter nos voix.
Marseille, le 26/01/2019
Alain FOUREST
Ancien responsable de la Commission Nationale de Développement Social des Quartiers.
Président d’honneur de Rencontres Tsiganes
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