Le coin du bouquiniste : “il était une fois Marseille”

Billet de blog
par Lagachon
le 5 Nov 2012
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J’aime bien faire d’un billet deux coups ! Celui-ci me permet de vous parler d’un bouquiniste  que j’aime beaucoup, et qui a largement contribué à ce que ma bibliothèque “marseillaise” explose ces dernières années. Mais aussi d’un livre qui m’a beaucoup plu et qui m’a plongé dans une grande réflexion : “Les 950 000 jours de Marseille” par Gabriel Domenech que je ne connaissais pas et dont la trajectoire politique m’a plus que surpris.

D’abord quelques mots sur le bouquiniste, sans qui je n’aurais jamais mis la main sur l’ouvrage. Placé sur le Cours Julien (bien sûr), pas le super grand, l’autre à côté du Ba-Bar, il est toujours accueillant et on sent tout de suite qu’il aime les livres, il les a toujours lu ou au moins parcouru, son cerveau fait continuellement plein de connections “attendez, j’ai celui-là aussi, il est génial sur l’histoire de Marseille, ah sinon, j’ai mieux, ya le XXX, oh mais où il est ? Attendez, il doit être par là… Et sinon ya celui-là aussi, il  est pas mal ! Mais l’autre il est où déjà”… Pas toujours facile à suivre ! Mais ça vaut le coup d’y aller avec un peu d’argent et de temps, discuter avec lui et repartir avec 3 ou 4 trésors qui vous plairont toujours. Et en négociant les prix on s’en tire bien.

Bref, ce livre, quel est-il ? Il raconte en 24 chapitres et autant d’histoires très romancées plusieurs épisodes de la vie de notre ville depuis la fondation par les phocéens et les tribus des collines, jusqu’à la fin de l’indépendance et Louis XIV. Ce n’est pas un livre d’histoire, il n’a pas la rigueur d’un ouvrage universitaire et je ne le conseille pas à quelqu’un qui veut apprendre l’histoire de Marseille.

Il n’a pas pour but de chercher la vérité de ce qu’il s’est passé, mais de faire vivre ce que l’on imagine qu’il s’est passé. Alors il nous promène d’un moment important à l’autre, du siège de César aux temps des Croisades, des guerres de religion au ralliement à la France etc… Toujours avec le même procédé : l’auteur-narrateur en plein voyage temporel se retrouve dans le Marseille de l’époque, et interviewe des passants (plus ou moins célèbres mais toujours très bavards). Avec un parti-pris évident, un régionalisme qui m’a forcément plu, une subjectivité de mise dans ce genre de récits.

Il en résulte un matériel très théâtral qui pourrait donner une belle série sur l’histoire de Marseille, avec de l’action, du sexe, des trahisons, de la guerre, des morts, du suspense, des héros et de l’amour. De  quoi faire quelques bons blockbusters, ou plus modestement un dessin animé (il paraît que l’on a quelques studios d’animation à Marseille) sous la forme d’il était une fois (J’ai décidé d’appeler le billet “Il était une fois Marseille” en hommage à ces dessins animés que j’adorais quand j’étais petit “il était une fois la vie” et “il était une fois l’homme”..) De quoi remplir la case dimanche matin de LCM 🙂

Oui mais…

Peut-être parce que j’ai une petite formation en histoire, j’ai le vilain défaut de toujours faire quelques recherches sur l’auteur, Gabriel Domenech. Et autant dire tout de suite que ce que je viens de lire sur lui m’a surpris ! Journaliste et homme politique de droite (très décomplexée, dirait-on aujourd’hui), il a fait toute sa carrière au Méridional (qui fusionnera avec Le Provençal pour donner La Provence), pour l’Algérie Française, a été condamné pour incitation à la haine raciale et a terminé sa vie politique au FN, ce qui n’est pas vraiment neutre !

Imaginez le choc… je me prépare à faire un super billet sur un livre que j’ai adoré et je découvre qu’il a été écrit par quelqu’un dont je ne partage pas (du tout) les idées, alors que faire ? Qu’en penser ?

J’ai d’abord pensé ne pas faire ce billet, ou modérer ce que je pensais du livre, ce qui n’était pas juste puisqu’il m’a effectivement beaucoup plu. Et puis je me suis dit, non, ce ne serait pas honnête, explique plutôt tout ça et ce sera d’autant plus intéressant !

Je suis d’abord content d’avoir lu le livre sans avoir ces infos pour ne pas avoir eu de lecture biaisée. Mais maintenant que je connais son positionnement politique, je ne peux pas m’empêcher de me demander pourquoi il l’a écrit, et contextualiser l’ouvrage.

Il parait en 1980, alors qu’il écrit toujours au Méridional (il prendra sa retraite et ralliera le FN en 85) et qu’il fait encore partie du Centre des Démocrates Sociaux (futur UDF, centre droit), donc avant sa “dérive” extrémiste officielle, mais bien après l’éditorial qui lui valu la condamnation : “Assez assez assez” (voir détails dans cette analyse de la “ratonnade oubliée Marseille 73”). C’est aussi la fin du Defferrisme et en pleine crise du système industrialo-portuaire marseillais.

Que peut-on lier à son engagement politique dans le livre ? J’ai du mal à trouver. La récurrence de la résistance marseillaise à toutes les invasions ? Ce serait un peu tiré par les cheveux puisqu’il explique que si les marseillais résistent, ils sont aussi toujours très respectueux de ceux qui les ont conquis (pas très FN-compatible comme message). Il y a une connexion claire avec les milieux provençalistes d’inspiration maurrassienne, puisque Domenech est un méridional fier de l’être, auteur de “Paris, ça suffit” en 1976 (interview à ce propos sur le site de l’INA), et qui ne manque pas de rappeler les racines provençales et l’indépendance de Marseille comme des choses positives.

J’aurais presque envie de le relire pour l’analyser, car rien n’est le fruit du hasard. Mais je ne pense vraiment pas être face à un théoricien raciste distillant sa pensée dans des histoires apparemment anodines. Gabriel Domenech m’a plus l’air d’un amoureux de sa ville (d’adoption) et de soun païs, un sanguin effrayé par un monde qui changeait trop vite pour lui, incapable de trouver une réponse correcte et se réfugiant dans un racisme misérable, dénué de toute logique. Attention, je ne cherche pas à le dédouaner de quoique ce soit, les faits sont les faits et valent plus que les intentions que je veux bien lui prêter, je n’éprouve pas plus de sympathie pour lui, juste de la peine de voir qu’autant de gens confondent provençalisme et xénophobie. Et face à tous les autres Gabriel Domenech qui continuent de sombrer dans le mirage du Front (et bonne mère qu’ils sont nombreux à Marseille !).

Cependant, je maintiens que ces histoires sont agréables à lire et qu’il est dommage que la matière épique de l’histoire marseillaise ne soit pas plus utilisée dans les productions culturelles contemporaines. Ne serait-ce que pour ne pas laisser le monopole de sa transmission aux descendants politiques de Domenech !

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