LA VILLE ET LA RUE

Billet de blog
le 9 Août 2020
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C’était mardi dernier, le 4 août. « Marsactu » et « La Marseillaise » ont fait état de l’arrestation de Papa Omri, un vendeur ambulant de boissons qui fait partie des scènes de la vie du quartier, près du MuCEM. Cela nous incite à réfléchir au sens de ces métiers de la rue dans la vie de la ville.

Les métiers de la rue

Les métiers de la rue ont toujours fait partie de la vie de la ville. Ils font partie de l’espace public, ils sont ce qui le font vivre pleinement, ce qui permet qu’il ne se réduise pas à des voies de circulation, mais qu’il soit aussi un espace de rencontres, de paroles, d’échanges. N’oublions tout de même pas ce que signifie, en plus, cette date, parce qu’il s’agit d’une drôle de coïncidence : c’est le 4 août qu’est annoncée, dans les médias, la confiscation du chariot de Papa Omri, le jour où furent abolis les privilèges, en 1789. Les métiers de la rue font évidemment partie, depuis toujours, des métiers exercés par les classes sociales sans privilèges, loin des riches et loin des puissants, mais, après tout, c’est bien aussi d’eux qu’est née la Révolution, en France, en 1789. Mais les métiers de la rue ont aussi une importance pour la vie urbaine, car ce sont eux qui sont la vie de la rue, ce sont eux qui la peuplent de scènes, de sons, d’images, ce sont eux qui font de la rue un espace vivant. Mais, bien sûr, derrière l’opposition entre les métiers considérées comme légitimes et les métiers de la rue, se manifeste l’opposition entre l’économie aseptisée des profits financiers et l’économie que l’on considère comme informelle, parce qu’elle échappe aux codes et aux normes de l’économie reconnue. Les métiers de la rue font partie de l’économie mise en commun, de l’économie construite par les peuples au lieu d’être régulée par les pouvoirs, de l’économie pleinement sociale.

La rue à Marseille

Cela est peut-être particulièrement vrai à Marseille, comme dans toutes les villes de l’espace de la Méditerranée. À la fois pour des raisons qui tiennent au climat des villes du monde méditerranéen et pour des raisons qui tiennent à son histoire, faite de villes et d’urbanité, de marchés et de rencontres, la rue a toujours été un espace de vie dans les villes de la Méditerranée. N’oublions tout de même pas – et des figures comme celle de Papa Omri viennent nous le rappeler avec insistance – que c’est le sens du mot agora en grec et du mot forum en latin. Ces mots sont issus étymologiquement, l’un et l’autre, d’une racine indo-européenne qui signifie « dehors ». Espaces à la fois de marché et de débat, l’agora et le forum ont fondé ce que nous appelons l’espace public, qui, précisément, se définit comme l’espace qui n’appartient à personne. L’espace public est l’espace du peuple, c’est l’espace dans lequel le peuple est libre de se rencontrer, l’espace dans lequel il n’y a pas de censure pour empêcher les paroles de s’y énoncer et de s’y propager. C’est bien la raison pour laquelle l’espace public a toujours été le lieu dans lequel sont nées les révolutions, et, en même temps, l’espace qui a toujours été celui de la confrontation entre le peuple et la police, entre la vie et l’ordre. C’est la rue qui fait vivre Marseille, certainement pas le MuCEM, justement, avec sa façade propre, nette, et, au fond, sans sa vie.

Deux logiques de la ville qui s’opposent

La vie et l’ordre sont les deux logiques de la ville qui s’opposent l’une à l’autre, depuis toujours. Ou l’on considère comme la ville comme un espace d’habitations fermées, dans lequel chacun se réfugie chez soi, sans souci de la rencontre de l’autre, comme un espace dans lequel les rues sont réduites à leur fonction, celle du déplacement, ou l’on considère la ville comme un espace de dialogues et d’échanges, un espace dans lequel la culture et l’identité naissent justement de la rencontre de l’autre. Ou l’on considère la ville comme un espace que l’on habite sans un regard sur l’autre, ou la ville est un espace dans lequel habiter consiste, avant tout, à rencontrer l’autre et à parler avec lui. Ces deux logiques de la ville, ces deux conceptions de l’espace urbain sont aussi celles qui opposent les cités-dortoirs, dans lesquelles il n’y a, au fond, pas de vie, dans lesquelles la vie se réduit à regarder la télévision, aux villes vivantes, dans lesquelles on est à l’écoute de l’autre. Mais n’oublions pas que c’est l’absence de relation avec l’autre, ce que l’on appelle, ces temps-ci, le confinement, qui conduit à l’émergence de la violence. Si certaines banlieues sont devenues des espaces de violence, de destruction et de mort, c’est justement parce qu’on les a aménagées sans souci de l’espace public, en les réduisant à n’être que des espaces d’habitations séparées et isolées les unes des autres.

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