Dimanche 25 juillet 2021

A qui profite l’escrime ?

Billet de blog
le 26 Juil 2021
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L’escrime est un peu à la France ce que le judo est au Japon. Mais la manière d’entretenir le patrimoine n’est pas précisément la même    

Les apparences sont sauves. L’escrime est un des principaux pourvoyeurs de médailles olympiques pour la France. Le premier titre tricolore est venu d’un escrimeur, quoi de plus normal ? Mais ce bonheur fugace a plus de ressorts cachés qu’il n’y paraît.

Sur les six compétitions individuelles, féminines et masculines, les leaders désignés par les instances fédérales ont connu un échec retentissant. Les « tireurs » se sont souvent avoués démunis devant des adversaires venus de pays nouveaux, alors qu’ils étaient généralement expérimentés et qu’ils préparaient pour certains le couronnement de leur carrière à Paris 2024.

Le phénomène n’est pas nouveau, mais il avait rarement été aussi flagrant. Les compétitions par équipes devraient sauver la mise des dirigeants, nourries de la volonté de rachat et de la qualité globale des effectifs engagés.

Romain Cannone, à la pointe de l’épée à Tokyo, est surgi des coulisses et la fédération française aura quelques scrupules à s’attribuer les mérites de son avènement. Ce jeune homme de 24 ans, formé aux Etats-Unis lors d’un étape d’un itinéraire personnel assez baroque, a été lancé sur les pistes olympiques un peu par défaut, et il a surpris un à un chacun des adversaires qui le découvraient, avec beaucoup de talent et beaucoup d’aplomb.

L’escrime est une des disciplines historiques des Jeux modernes, avec l’athlétisme, la natation et la gymnastique. C’est l’élément principal du patrimoine sportif national, le seul sport dont la langue officielle est le français. Ce sport est perpétuellement remis en cause, considéré comme élitiste, coûteux et incapable d’attirer les talents venus de la rue, plutôt rebutés par les conventions et le coût entraîné par sa pratique. C’est un procès assez injuste, et du reste, chaque édition des Jeux olympiques révèle des champions venus d’autres coins du monde. Telle Lee Kiefer, première Américaine championne olympique de fleuret.

La France n’entretient pas son patrimoine. Ce milieu assez fermé a dû accepter les modernisations exigées par le spectacle télévisé, mais à contre-cœur. Les meilleurs de ses pratiquants deviennent souvent entraîneurs ou arbitres, mais il y a peu d’exemple d’actions de découverte dans les « quartiers » ou dans les pays à convertir. Le manque de postes ou de preuves de confiance a conduit plusieurs entraîneurs à dispenser leur savoir à l’étranger, ce qui complique encore la vie des escrimeurs français.

Le judo pouvait souffrir des mêmes handicaps : codes abscons, langue rebutante, maturation lente des champions. Mais il a su les surmonter pour rassembler plus de pratiquants dans le monde et dans l’hexagone en quelques décennies. Les gamins ne rêvent plus d’imiter d’Artagnan et Fanfan la Tulipe, mais a-t-on toujours œuvré pour maintenir l’influence de ces icones ?

Le judo, parlons-en. La prophétie annonçant une médaille par jour pour les Tricolores est validée pour l’instant, et il a été plaisant de voir récompensée Amandine Buchard, admirable combattante sur tous les fronts de la sa vie.

Mais il était crucial que Tokyo tricote son récit national pour réchauffer son public et les résultats de dimanche y ont contribué. Uta Abe (vainqueur d’Amandine Buchard) et son frère aîné Hifumi ont été sacrés le même jour à quelques minutes d’intervalle dans leur catégorie respective, ce qui est une première olympique. Les judokas nippons font mieux pour l’instant qu’un titre par jour : trois médailles d’or et une d’argent pour les quatre catégories déjà disputées !

Les traditions se perdent-elles quand elles se transmettent ? Les basketteurs américains, comme les footballeurs anglais, ont tendance à croire que le titre suprême leur est acquis de droit, au titre de créateurs du jeu. Leur équipe 2020 est tout aussi impressionnante sur le papier que ses précédentes. Sauf que… Les meilleurs joueurs des autres pays évoluent eux aussi dans le championnat professionnel américain. Et quand ils revêtent le maillot de leurs sélections respectives, ils n’ont aucune révérence à exécuter devant leurs partenaires et adversaires habituels.

La France a battu les Etats-Unis, c’est une première dans un tournoi olympique, mais ce n’est plus tellement un événement considérable. Il est trop tôt pour décréter qu’un espoir de titre a surgi, et il est trop tard pour faire partager cet espoir à Tony Parker, qui aurait tant voulu vivre cela. Le chemin qu’il a tracé n’est pas pour rien dans ce succès impressionnant, que les Français ont construit à la fin du match, au moment où ils cédaient lors des batailles passées. Sans renoncer à leur manie coutumière de vendanger les lancers francs. Leurs prochains adversaires ne vont pas les regarder du même œil désormais.

Les disciplines historiques ne sont plus l’apanage des nations installées dans le palmarès. Voir un nageur tunisien de 18 ans, Hamed Hafnaoui, qualifié de justesse pour la finale, s’imposer dans le 400 m est une surprise, mais plus un coup de tonnerre. Le talent et l’absence de complexe vont faire fleurir de belles surprises.

Telles que le sacre de l’Autrichienne Anna Kiesenhofer, qui s’est adjugée en solitaire l’épreuve de cyclisme sur route. L’ultra-favorite néerlandaise Annemik van Vleuten, arrivée une minute plus tard, croyait être la première, ajoutant cette bévue à la malchance vécue à Rio quand une chute impressionnante avait cisaillé son échappée solitaire. C’est drôle ou consternant, comme on voudra, mais ce n’est pas une raison pour oublier de saluer l’exploit d’une inconnue, d’une qualité athlétique hors norme. La troisième place de l’épreuve a été obtenue par une nouvelle Mme Longo (l’Italienne Elisa Longo-Borghini de son identité complète), ce qui a fait remonter de nombreux souvenirs.

Le compteur français de médailles devrait s’affoler à partir de lundi 26. La préparation des Jeux 2024 commence à produire des effets. Les commentateurs vont utiliser leur stock de superlatifs, on espère qu’ils auront fait des trouvailles. Il faudra en garder pour vendredi et l’entrée en lice de Teddy Riner, parti pour être le sportif français le plus connu et admiré dans le monde.

VIGNETTES

¤ L’équipe de France de football, vainqueur in extremis de l’Afrique du Sud (4-3), doit sa survie dans le tournoi olympique à Pierre-André Gignac et Téji Savanier. Ce qui permet d’adresser un salut à la communauté des Gens du voyage, dont ils sont tous deux de valeureux représentants, et qui apporte elle aussi sa part aux succès internationaux de notre pays.

¤ Le double mixte français de tennis de table a livré une bataille magnifique, bien que perdue d’avance, à la paire chinoise dans sa demi-finale. Ce sport abonde en actions spectaculaires, et valorise une concentration et une habileté proprement époustouflante. On espère qu’ils sauront obtenir une ou plusieurs médailles.

¤ Les gymnastes françaises se sont qualifiées pour la finale de la compétition par équipes, à la 4e place des éliminatoires. Performance inédite et relativement inaperçue. Pourvu que quelques images nous permettent d’apprécier la suite de leur parcours. La concurrence des nouvelles disciplines (skate board, surf, basket 3 x3…) est difficile à combattre, et d’autres sports méritants souffrent des mêmes ostracismes, comme le badminton ou le hockey. Ils sont pourtant adorés par un public, notamment asiatique, se chiffrant en milliards de spectateurs.

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