Académie CMA-CGM, La Plateforme, Kedge : quand le privé concurrence l’université

Décryptage
le 20 Avr 2022
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De Kedge à Tangram en passant par The Camp ou La Plateforme, les projets d'écoles portés par les entreprises font beaucoup parler d'elles depuis quelques années. Certains sont perçus par l'enseignement public comme une concurrence directe à ce qu'elle propose.

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Vue d'architecte du futur campus de La Plateforme aux Crottes. (Image Encore heureux architectes)

Vue d'architecte du futur campus de La Plateforme aux Crottes. (Image Encore heureux architectes)

Dans la garrigue aixoise, The Camp ressemble toujours à un ovni qui se serait posé au milieu de nulle part, il y a quatre et demi. Le projet revendique dès le départ d’imaginer le monde de demain et de “disrupter” la formation. “Et si pour changer, on s’inspirait de ce qui n’a jamais été fait avant ?“, vante-on sur place. Moins d’un quinquennat plus tard, le campus du futur appartient au passé et se cherche une nouvelle voie. “Ce cas est l’exemple parfait pour montrer qu’il n’est pas possible de faire que du déclaratif”, juge Eric Berton. Le président d’Aix-Marseille Université (AMU) ne cache pas sa réticence à voir des formations concurrentes privées se développer.

Car à l’époque, The Camp capte toute l’attention de ce qui est pourtant une tendance de fond : celle des écoles d’enseignement supérieur privées qui fleurissent un peu partout et dans tous les secteurs. “Depuis 1998, à l’exception des rentrées 2014 et 2015, les inscriptions dans l’enseignement privé progressent proportionnellement plus rapidement que dans l’enseignement public”, indique le ministère de l’Éducation nationale. Au sein de l’académie Aix-Marseille, le nombre d’étudiants dans le supérieur privé se situe, comme dans la moyenne nationale, entre 20 et 25%, soit au moins 20 000 étudiants. Mais il n’existe pas de chiffre exact par académie.

Je reçois deux ou trois fois par an des demandes de consortiums, sans que l’on sache vraiment de qui il s’agit, qui disent que l’université ne forme pas bien mais veulent notre caution pour se crédibiliser et obtenir des subventions”

Eric Berton, président d’AMU

Les nouveaux porte-étendards de cette évolution se nomment aujourd’hui Tangram, l’établissement fondé par la CMA-CGM, La Plateforme, le campus informatique des plus importantes entreprises du territoire qui ambitionne de former quelque 3000 étudiants par an, ou encore l’école de commerce Kedge. L’ancien doyen de la faculté des Sciences du sport ne met pas tous les acteurs privés au même niveau. Il distingue trois types d’écoles. D’abord l’institut Catholique de Marseille “qui n’est pas en concurrence avec AMU et avec qui il existe une coopération“, puis les établissements professionnels “légitimes” comme Tangram dont le but est de “former à des métiers dont l’industriel a besoin”. Une troisième catégorie dérange plus Eric Berton même si celui-ci refuse de donner d’exemple précis. “Je reçois deux ou trois fois par an des demandes de consortiums, sans que l’on sache vraiment de qui il s’agit, qui disent que l’université ne forme pas bien mais veulent notre caution pour se crédibiliser et obtenir des subventions”, explique-t-il.

La démarche ne passe pas. “Nous refusons systématiquement, je réponds que c’est contre notre éthique”, prévient Eric Berton. Une position propre à l’académie d’Aix-Marseille qui varie selon les universités. “C’est très variable selon les régions et les forces en présence au sein des structures. Aix-Marseille ne veut pas travailler avec le privé, ils n’ouvrent pas les portes”, constate Alexandra Couston*, chercheuse qui a consacré une thèse soutenue à AMU sur le sujet. Elle estime pourtant que le travail en commun est bénéfique. “Une coopération permet de financer des projets plus importants, plus ambitieux et offre une meilleure visibilité internationale”, soutient-elle.

Discours offensif du privé

La limite entre coopération et concurrence apparaît très fine. “Si l’enseignement privé trouve sa place avec une formation de qualité en complémentarité avec le public cela ne pose pas de problème, mais il ne doit pas concurrencer ou mettre à mal ce qui existe déjà”, estime Aurélie Biancarelli-Lopes, adjointe au maire de Marseille, chargée de la recherche, de la vie étudiante et de l’enseignement supérieur.

La Plateforme, le dernier projet phare en date, parvient à jouer les équilibristes assure son fondateur Cyril Zimmermann. Le chef d’entreprise assure vouloir toucher un public différent de l’université, comme les non-titulaires du bac, et revendique même une année de formation avec l’école centrale de Marseille sous tutelle du ministère. Cette fois, la cohabitation avec AMU est plutôt apaisée. “Nous ne sommes pas là pour dire aux enseignants de l’université qu’ils travaillent mal où comment ils doivent enseigner”, avance-t-il.

Un discours bien moins offensif que ce qui se fait habituellement. La communication est un élément clef des acteurs privés sur le terrain de l’éducation. Pour la plupart, ils promettent une très forte probabilité d’embauche à la fin du cursus et des méthodes plus adaptées que celles d’une université présentée comme archaïque. “Il suffit de regarder l’état de nos campus et notre taux d’insertion pour voir que c’est faux, défend Eric Berton. Ils oublient de dire que nous couvrons toutes les disciplines et que nous sommes évalués”, poursuit-il.

Un enjeu au niveau de l’Etat

Pour Aurélien Casta, chercheur sur le thème de l’enseignement supérieur privé, tous ces éléments rendent “la frontière entre le privé et le public très floue”. Les frais de scolarité eux ne laissent pas de doute sur le caractère de l’école. Sauf que la loi “avenir professionnel de 2018” a libéralisé l’offre de formation et favorise le recours à l’apprentissage. De quoi attirer un public plus large. La Plateforme, par exemple, base son modèle sur ces contrats pour afficher des formations sans frais de scolarité.

L’État joue bien un rôle dans ce flou, notamment avec le répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). “Il s’agit d’un répertoire qui recense les formations à finalité professionnelle, cela donne l’impression que les établissements sont reconnus par l’État mais c’est un abus de langage”, détaille le chercheur. Les visites de membres du gouvernement ou représentant des collectivités locales dans ces écoles montrent leur soutien.

Enfin, dans le monde de l’enseignement supérieur privé il existe une autre subtilité, celle des écoles à but lucratif ou non. “C’est très difficile de faire la distinction, y compris lorsque vous êtes chercheur et payé pour le faire”, souffle Aurélien Casta. Souvent l’établissement appartient en réalité à un groupe financier, comme Epitech avec le groupe Ionis. “Ce n’est pas la règle, mais cela signifie que les frais de scolarité, ou une partie, peuvent être affectés à des entreprises du groupe”, expose le chercheur pour qui une remise à plat est nécessaire pour permettre au grand public d’y voir plus clair. “C’est un sujet dont il faudra s’occuper pendant le prochain mandat présidentiel”, espère Aurélie Biancarelli-Lopes. Le campus du futur n’existe pas encore, mais les questions qui l’accompagnent sont déjà là.

*Alexandra Couston est également professeure à Kedge. Elle ne s’exprime pas au nom de l’école mais en tant que chercheuse.

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Commentaires

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  1. Pascal L Pascal L

    “Vue d’architecte du futur campus de La Plateforme aux Crottes” … juste en dessous du mot “Crottes” on discerne une partie d’automobile.

    Un peu publicitaire, cette vue d’architecte évite de montrer que les belles terrasses auront toutes vue sur la passerelle autoroutière qui ne sera pas mise sous sarcophage (on ne remercie pas la SNCF).

    Le matin : gaz d’échappement à gogo du fait du bouchon du tunnel, et le reste de la journée, quand ça roule : bruit interrompu. Bref pas vraiment un lieu apaisé ou il fait bon se prélasser.

    Mais ce sera toujours mieux que les décharges sauvages qui occupent cet espace depuis quelques années.

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  2. PierreLP PierreLP

    Je ne vois pas le rapport entre la passerelle autoroutière et la SNCF…

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    • Pascal L Pascal L

      Il y a 10 ans, lors du début de la promotion de la zone euroméd2, on a vendu ce secteur avec la promesse d’une mise en sarcophage de l’A55 (promesse d’un plan guide Leclercq et associés, sur lequel on s’assoit une fois que les “investisseurs”-dont je ne fais pas partie, je ne fais que passer sur la passerelle- ont acheté les logements).

      Sauf que le terrain pour la mise en sarcophage, il appartient à la SNCF et que cette dernière n’a pas du tout l’intention de libérer l’espace nécessaire (Cf les propositions faites lors de l’enquête d’utilité publique par la SNCF concernant ce secteur). Au contraire elle compte développer de la logistique.

      Donc la passerelle restera et les milliers de véhicules passeront sous le nez et les oreilles des écoles et des habitations prévues à cet endroit. Et en prime ils auront le klaxon des trains qui commencent en général à se faire entendre vers 6 h du matin.

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