À Mazargues, les jardins familiaux n’attendront pas le passage du BUS

Reportage
le 1 Nov 2017
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Le chantier du BUS, le boulevard urbain sud démarre à Florian. Plus au sud, les jardins familiaux Joseph-Aiguier vont voir disparaître une grande partie de leur petit coin de verdure sous le bitume. Ils entament une guérilla juridique pour tenter d'obtenir un passage du BUS en souterrain et refusent pour l'heure toute compensation.

La partie traversée par le futur BUS.
La partie traversée par le futur BUS.

La partie traversée par le futur BUS.

Une fois passé le portail, une odeur de terre sèche ramène à l’enfance. En ce début d’automne, le ciel vibre d’un bleu inquiétant. Cucurbitacée sous le bras, l’un des jardiniers évoque le coup de vent de la veille “qui a chassé les moustiques” et ce temps sec “sans une goutte de pluie qui dure depuis avril”.

Les jardins familiaux de Joseph Aiguier sont un pan de l’histoire de la ville. Symbole de la politique paternaliste du début du XXe siècle, les jardins sont un legs de Joseph Aiguier, grand patron de l’époque qui offrait ainsi aux ouvriers un dérivatif aux loisirs avinés, un revenu d’appoint en légumes sains et une “cure d’air” sous la forme d’un cabanon au vert loin des taudis où ils étaient contraints de vivre (lire notre article).

L’arrivée du BUS

Mais depuis quelques années, ces jardins où alternent grands arbres et petits lopins vivent sous l’ombre grandissante d’une menace soudain concrète. Il y a quelques jours à peine, le maire de secteur se félicitait sur les réseaux sociaux du début des travaux du boulevard urbain sud (BUS).


Cette nouvelle route doit prolonger au sud la rocade L2 en voie d’achèvement au nord pour former un deuxième périphérique entre la vallée de l’Huveaune et la Pointe-Rouge. Imaginée comme une rocade lors de sa conception dans les années 30, l’artère est désormais parée des qualités d’un “boulevard urbain multimodal” : vitesse limitée, terre-plein centraux arborés et modes de transports doux privilégiés tout le long du parcours.

7600 mètres carrés supprimés

Un chantier d’une telle ampleur ne trimbale pas que de la douceur. En rejoignant Mazargues, le BUS va traverser le parc de La Mathilde et les jardins Joseph Aiguier, coupant en deux le petit paradis potager et supprimant 7600 mètres carrés de bonne terre arable. Pas tout de suite, car le chantier a été découpé en trois temps : le premier a démarré à Florian et doit rejoindre le Cabot (9e). Le second partira du sud et traverse le Roy d’Espagne en coupant quelques pins séculaires. Et le troisième concerne Mazargues et le chemin Joseph-Aiguier.

Face à la menace routière approchante, les jardiniers ont délaissé râteaux et brouettes pour des outils plus juridiques. Ils se lancent dans une véritable guérilla judiciaire pour tenter d’obtenir la préservation de leur jardin et le passage en souterrain du BUS à cet endroit. Pour ce faire, ils ont donc créé  l’association Face au BUS. Ils participent également à un “collectif anti-nuisances BUS” sur le modèle du CAN L2 qui bataille plus au nord avec les constructeurs de la rocade. À leur côté, on trouve notamment l’association Sos nature Sud qui lutte contre les atteintes à l’environnement dans ce coin de Marseille. C’est elle qui porte les recours au nom des autres membres du collectif, Sauvons la Mathilde, le CIQ du Roy d’Espagne, l’ensemble Rochebelle et Union Calanques littoral.

“Nous avons commencé par déposer une série de recours gracieux restés sans réponse. Nous sommes désormais dans la phase des recours contentieux, explique Patrice Ciron, jardinier et membre du collectif. Nous avons décidé d’attaquer la déclaration d’utilité publique du BUS prise en septembre 2016, en ciblant les insuffisances des études d’impact qui ont servi de base à l’enquête publique.” C’est la fédération nationale des jardins familiaux, reconnue d’utilité publique et propriétaire de la parcelle qui porte l’affaire devant le tribunal administratif de Marseille. L’association attaque pour “excès de pouvoir” la déclaration d’utilité publique accordée par le préfet au projet, ce qui permet à la métropole de procéder à des expropriations. Pour hâter la manœuvre, les requérants envisagent même de passer par la voie du référé compte tenu des travaux qui viennent de démarrer sur le premier tronçon du tracé.

Avis favorable sans réserve

L’enquête publique de 2015 a rendu un avis favorable au projet mais les jardiniers batailleurs estiment que celle-ci n’a pas tenu compte de toute une série d’arguments. Comme souvent dans les recours de ce type, ils tapent large pour donner aux juges administratifs le plus de possibilités d’annulation : absence de solution de substitution, saturation du trafic sur les différents points d’intersection gérés par des feux tricolores, non-respect des documents de planification (SCOT et PADD) en terme de trame verte, absence d’inventaire des espèces menacées tant pour la flore que pour la faune.

“Sur notre terrain, nous avons des pelouses sèches qui forment un biotope assez rare, argumente Patrice Ciron. Nous avons également des rapaces nocturnes, chouettes et hiboux, qui n’ont pas été inventoriés. Et des chauves-souris qui nichent à proximité viennent s’y nourrir. En réduisant l’inventaire à la seule emprise du BUS, on passe à côté de bon nombre d’espèces. Il arrive régulièrement en France que des chauves-souris fassent capoter un projet”. Le dossier d’enquête publique reprend en grande partie ces arguments mis en avant par les associations locales en y faisant répondre la communauté urbaine, alors maître d’ouvrage. Mais aucun d’eux ne suffit à justifier une quelconque réserve des commissaires enquêteurs.

Mannequins décoratifs installés en bordure du jardin.

Chouettes et hibous

Au chapitre “chouettes et hibous”, la communauté urbaine sollicitée par les enquêteurs renvoie la pierre dans le jardin Joseph-Aiguier. “Les écologues mandatés par le maître d’œuvre n’ont pu accéder aux jardins Joseph-Aiguier, faute d’autorisation de la part de l’association locale des jardins familiaux. (…) Cependant, dans le cadre des inventaires de terrains, des observations et des écoutes ont été menées autour et dans les jardins Joseph-Aiguier depuis leur périphérie et ces espèces, notamment les rapaces nocturnes, n’ont pas été contactées.” Les commissaires enquêteurs recommandent toutefois au maître d’ouvrage de réaliser un inventaire complémentaire. À ce sujet, la métropole -qui a pris la suite de la communauté urbaine- n’a pas répondu à nos sollicitations dans nos délais de publication.

Georges Collini devant le cabanon de sa cure d’air.

De fait, en restant des décennies durant une route en pointillés sur les plans d’urbanisme, le BUS a permis le développement d’un corridor vert constitué pour une bonne part des réserves foncières établies par la Ville. Le passage du BUS fait donc basculer dans l’urbain un corridor maintenu à l’état de nature. Là encore la commission d’enquête se fait bonne pâte en prenant note que “les relocalisations d’espaces verts ou de lieux d’activités de nature et de loisirs seront également précisées, lors de la phase projet, en concertation avec les usagers”.

Le parkway de la Mathilde

C’est ainsi que le parc de la Mathilde est censé devenir un “parkway”, recherchant “le maintien en place du maximum d’arbres matures” et des zones de pelouses mais le long de la future voie urbaine. Pour se prémunir de tout reproche de Nimby (not in my backyard), l’association a réduit le délai d’attente pour accéder à une parcelle en proposant des jardins partagés. Les partenariats avec les écoles ont permis de faire mettre les mains dans la terre aux enfants du quartier. Les jardiniers attendent de pied ferme l’enquête parcellaire et entendent bien contester jusqu’au bout leur expropriation.

Quant aux jardins familiaux, pour l’heure, la métropole ne promet rien d’autre qu’une compensation sous la forme “d’une mise à disposition de terrains équivalents en surface et en équipements à ceux qui seront impactés par le projet du BUS, soit à minima une surface de 7600 m2”. Une formulation reprise et élargie par la commission d’enquête dans ses recommandations :

Compenser par un ratio supérieur à 1, la surface des terrains consommés par le BUS au niveau des jardins familiaux Joseph-Aiguier, afin de tenir compte de l’effet de morcellement.

3,7 hectares et pas moins

Une telle compensation est refusée tout net par les représentants de la fédération. “Notre terrain sera coupé en deux avec une parcelle totalement détachée au Sud et inutilisable, argumente Georges Collini. Si compensation il y a, nous demandons à ce qu’elle soit sur les 3,7 hectares (37 000 m2, ndlr) des jardins.” Et pas question d’utiliser la pinède au nord de leur terrain pour reconstituer les jardins perdus au Sud. “Où vous avez vu qu’on peut cultiver sous les pins ?”, grince Patrice Ciron. Dans cette partie laissée en jachère (où les chênes verts sont aussi nombreux que les pins), un écologue teste des plantations, tandis que des ruches permettent d’assurer la pollinisation et d’offrir du miel aux planteurs.

La hauteur de l’exigence vise à durcir d’emblée les négociations. Dans ces terres si prisées du sud de la ville, “une telle surface vaut de l’or. Elle est déjà réservée par les promoteurs”, sourit Georges Collini.

La carte 13 Habitat

Sauf que les édiles locaux n’ont pas dit leur dernier mot. Le maire de secteur, Lionel Royer-Perreaut, par ailleurs président de l’office HLM 13 Habitat envisage de rétrocéder une bande de terre, non loin du terrain. “Il s’agit d’un délaissé de terrain, situé à proximité d’une résidence de 13 Habitat, elle était réservée pour faire une voie, abandonnée depuis que le projet de BUS est relancé. Le terrain est suffisamment grand pour pouvoir accueillir une partie des jardins impactés et un jardin public”.

Capture d’écran d’une vue satellite. La bande de terre est située entre l’obélisque et le chemin Joseph-Aiguier.

Le maire de secteur assure avoir écrit à la métropole pour l’informer de cette possibilité. “Mais ce n’est pas la nouvelle la plus importante, il me semble. Le plus important est que le coup est parti : le BUS va se faire.” Côté jardiniers, on préfère prendre à la rigolade la proposition du maire “d’un terrain en partie inondable et pas cultivable” en fourbissant ses fourches juridiques pour défendre courges et tomates jusqu’au bout.

Actualisation jeudi 2 à 9 h 39 : Précision sur l’action de l’association Sos nature Sud.

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Commentaires

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  1. Court-Jus Court-Jus

    “Le plus important est que le coup est parti : le BUS va se faire.” … Encore un qui a croit au passage en force. Vu l’amateurisme de nos collectivités locales, je ne serais vraiment pas surpris que nombre de ces recours fonctionnent.
    Après ça reste un projet des années 70, certes revu au goût du jour mais quand même

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  2. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Mais qu’est-ce que ce combat d’arrière-garde de jardiniers moyenâgeux ici, de défenseurs de vestiges historiques là ? Les “pelouses sèches” rapportent-elles de l’argent ? Il faut mo-der-ni-ser : place au béton et à la bagnole… Ces esthètes n’ont qu’à aller acheter leurs carottes à l’hypermarché le plus proche, en voiture bien sûr : ça, c’est moderne…

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  3. Jean Luc Jean Luc

    Le B.U.S…quel progrès!
    Pouvoir aller faire ses courses à Plan de campagne ou la Valentine depuis la Pointe Rouge ! Qu’en pensent les commerçants locaux?
    Cerise sur le gateau, la route des calanques sera encore plus les week end, (si cela est possible!).
    L2 + B.U.S = saturation automobile encore plus complète du réseau routier…
    Combien de centaine de millions d’€ vont être dépensés par nos élus visionnaires pour finir de nous asphyxier?

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  4. LaPlaine _ LaPlaine _

    Et pendant ce temps la station Gèze…se décompose?…est envahie par les herbes folles?…bientôt squattée? N’avons-nous pas la classe politique la plus incompétente et la plus bête de France?

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Mieux : le prolongement du métro vers Saint-Loup est étudié depuis… 1986 (https://marsactu.fr/par-ou-va-passer-le-metro-saint-loup/). Une décennie avant l’arrivée aux commandes de la ville (puis de la communauté urbaine) de not’ bon maire.

      Mais c’est tout de même vachement plus prioritaire de créer une route à bagnoles qu’un prolongement du métro. Pardon, je précise : on a tenu à faire plaisir à M. Blum en prolongeant la ligne M1 jusqu’à La Fourragère, pour un coût pharaonique et un trafic squelettique – ce qui n’était ni nécessaire, ni prévu, et a asséché les finances.

      Quant à la station Gèze, sa mise en service a été programmée pour 2014, 2015, 2016, 2017 puis 2018 : on l’inaugurera donc probablement à la veille du premier tour des prochaines municipales. Rien ne presse : il s’agit des quartiers nord…

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  5. picto13 picto13

    Ce BUS, qui outre le saccage des jardins familiaux et du parc de la Mathilde, éventrerait la dernière grande pinède de Marseille, celle du Roy d’Espagne, serait une 2 fois 2 voies avec terre-plein central, sans piste réservée aux vélos. Tout cela pour aboutir à la Pointe Rouge, déjà sursaturée. Le but unique de ce projet -vieux de 70 ans selon l’aveu de M. le maire, donc tout empreint de la modernité et de la conscience environnementale de nos élus- est d’autoriser les promoteurs à bétonner, une aubaine en bordure du parc des Calanques.

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  6. picto13 picto13

    On peut rêver en relisant cette réflexion de SOS Nature Sud au moment de l’enquête publique :
    … “La prise de conscience unanime que représentent les objectifs de ce plan nous laissait espérer que le projet de rocade ( bien que baptisé du doux nom de boulevard urbain Sud et présenté sur panneau comme « apaisé ») datant de 1936, revu 2003 dans sa présentation , soit revu et corrigé en fonction des données sociétales actuelles .
    Hélas il n’en est rien . Sous prétexte de désengorger les quartiers Sud , on ignore l’effet pervers du débouché de ce boulevard à la Pointe Rouge , lieu de tous les bouchons.
    Plus grave , les nombreux projets immobiliers , prévus tout au long de son tracé,
    provoqueront très rapidement sa saturation.

    Suggestion : Pourquoi ne pas prendre comme modèle la ville de Nantes ? Et faire comme elle : « Torpiller le banal »
    Faire de l’emprise du Boulevard Urbain Sud, en bordure du Parc National des Calanques, une trame semi verte en la faisant parcourir uniquement par un tramway qui porterait le nom de « Tram des plages » et par les modes de déplacements dits « doux » ? Ainsi les espaces naturels et historiques ( La Mathilde, les jardins familiaux, la bastide de la Seigneurie, la Pinède du Roy d’Espagne ) sacrifiés au saccage de l’emprise routière, seraient conservés
    pour le plus grand plaisir des habitants et des touristes faisant de Marseille une ville moderne et attractive.”

    Insensé, non ?

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    • MarsKaa MarsKaa

      Incredible ! (Avé l assent de Miami).

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  7. Trésorier Trésorier

    Le BUS apparaît clairement comme un projet du passé. Il serait plus utile d’y implanter un tramway

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  8. Oasis Oasis

    L’affaire est entendue en ce qui concerne l’ineptie de ce projet du B.U.S :
    L’obsolescence d’un projet qui va à l’encontre du mouvement contemporain et universel des villes et à l’encontre de l‘évolution même de la ville de Marseille depuis MP13 vers davantage de modernité et d’attractivité.
    La contre-productivité en termes de transport des habitants dans la configuration actuelle de la ville, qui n’a plus rien à voir avec celle les années 70 !
    L’étranglement de la circulation du bord de mer, depuis la Pointe Rouge où cette autoroute urbaine d’une autre époque arrivera en cul de sac, jusqu’à Callelongue.
    Le sacrifice des espaces verts des quartiers sud, en contradiction totale avec les orientations actuelles pour une meilleure qualité de l’air dans la 2ème ville la plus polluée de France
    La pollution grave d’un projet du « tout voitures » au ras des habitations, écoles, collèges et lycée qui constitue un danger pour la santé publique pointé du doigt par tous, au fur et à mesure de sa découverte.
    Les associations de parents d’élèves, comme les associations de défense des jardins de Mazargues, comme les 1400 familles du Parc du Roy d’Espagne, doivent faire entendre leur voix au plus haut niveau pour se protéger contre cette malfaisance et faire bloquer cette hérésie des années 70 avant que les travaux ne débutent en 2020 dans leurs quartiers.
    La question est désormais politique. A une époque où la société civile est régulièrement appelée pour participer aux projets qui la concernent directement, il semblerait inadmissible que des élus gardent le silence ou s’engagent dans un projet daté de 50 ans et irrespectueux des droits les plus basiques de leurs électeurs.
    Non seulement cette question politique touche au premier chef les élus locaux, les maires d’arrondissement et celui de la Ville de Marseille, mais également les autres collectivités que sont la Métropole, le Conseil départemental et la Région. Elle touche également les ministres et leurs administrations concernées, des transports, de l’environnement, de l’éducation nationale…
    Les recours et actions déjà lancés par le collectif du Canbus, par SOS Nature Sud, les pétitions en ligne, doivent être appuyés par des citoyens de plus en plus nombreux et une large communication doit être faite pour tout tenter pour bloquer ce projet !!!

    BOUGEONS-NOUS car les élus ne bougeront pas pour nous !!

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