Sur l’ancienne usine polluée de Legré-Mante, le projet de “quartier de mer” est mal embarqué

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le 19 Juin 2024
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Plus de dix ans après l'annulation d'un premier permis de construction de logements sur le site de l'ancienne usine polluée, le tribunal administratif examinait mardi trois nouveaux recours déposés par des riverains et des associations locales de défense de l'environnement. Ils ont de bonnes chances d'aboutir.

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L'ancienne usine Legré Mante à la Madrague de Montredon (8e)

L'ancienne usine Legré Mante à la Madrague de Montredon (8e)

Bravo !” Assise au troisième rang de la salle d’audience du tribunal administratif, la dame n’a pas pu s’empêcher de laisser éclater sa joie, alors que le rapporteur public vient de conclure son très long exposé. “On n’applaudit pas !“, tance son voisin. Ils sont une trentaine d’habitants de la Pointe-Rouge et de la Madrague-de-Montredon, militants de diverses associations de protection de l’environnement, à avoir fait le déplacement jusqu’à la Joliette. Le tribunal administratif examine les trois recours déposés par les associations locales et des riverains contre les deux permis de Gingko et Constructa, pour le projet La Calanque.

Sous cette appellation balnéaire, il prévoit de faire pousser des centaines d’habitations, une résidence sénior, des logements de tourisme, des commerces et des bureaux à la place de l’ancienne usine tartrique, Legré-Mante, tout au bout des quartiers Sud de Marseille, aux portes du parc national des Calanques.

Vers une “Annulation sèche”

Le magistrat chargé d’orienter par son avis les décisions du tribunal vient de se prononcer pour “une annulation sèche” des deux permis de construire. De la même façon, il demande l’annulation de la partie du plan local d’urbanisme intercommunal qui concerne le projet. La décision du tribunal est attendue dans une quinzaine de jours, mais les opposants au projet ont toutes les raisons d’espérer, à l’écoute des arguments méthodiquement exposés par Pascal Peyrot, devant le tribunal.

Sur la loi Littoral, les mêmes éléments avaient amené à l’annulation du précédent permis, déposé par la société Océanis, en 2013“, se souvient Rolland Dadena, le président de l’association Santé littoral sud, à l’origine d’un des recours avec l’Union calanques littoral et la Fare sud.  Depuis sa fermeture en 2009, l’ancienne friche industrielle est restée en l’état, avec sa pollution rémanente et ses bâtiments hors d’âge. Les projets se succèdent sans parvenir à une solution concrète qui satisfasse toutes les parties prenantes : les riverains excédés par une circulation déjà saturée et un risque pour la santé avéré et des pouvoirs publics embarrassés par une friche industrielle à dépolluer, à la porte d’un parc national.

S’il n’y avait pas nécessité à dépolluer, le maire aurait-il autorisé ce permis de construire ? Assurément non.

Le rapporteur public

Dans son propos introductif, le rapporteur public rappelle ce temps passé où installer de l’industrie en bord de mer, loin du centre-ville, comportait de “nombreux attraits” dont celui d’éloigner la pollution des quartiers les plus peuplés. Il rappelle aussi que la même juridiction a annulé le permis déposé pour 286 logements, voici dix ans. Les acteurs sont différents, mais la problématique, toujours la même. Le magistrat la résume en une question : “S’il n’y avait pas nécessité à dépolluer, le maire aurait-il autorisé ce permis de construire ? Assurément non“.

Pour lui, la modification du plan local d’urbanisme comme l’arrêté municipal autorisant les deux permis sont justifiés par la même logique : “La construction doit permettre la dépollution du site. Or, il n’est nullement justifié en quoi la dépollution du site rend nécessaire la densité d’un tel projet“. Il demande donc une annulation du PLUI qui autorise le projet.

Un nouveau quartier ?

Il base son argumentation sur les principes de la loi Littoral qui interdit une extension de l’urbanisation dans la bande des 100 mètres depuis le rivage. Il cite une importante jurisprudence qui limite à 15 000 mètres carrés de surface de plancher les constructions possibles : “Ici, on parle de 324 logements et 453 places de parking. C’est un nouveau quartier qui doit voir le jour.

Pour l’avocate des deux sociétés Gingko et Constructa, Hélène Cloëz, “les 15 000 mètres carrés de surface de plancher dont parle le rapporteur public, c’est du neuf”. “Cela ne comprend pas ce qui doit être réhabilité, insiste-t-elle. Si on retranche du projet, ce qui doit être réhabilité, on arrive à 12 000 mètres carrés. Ce n’est pas un village à la mer, c’est la réhabilitation d’un site industriel. Je comprends qu’on ne doit pas lier la dépollution à la validité du permis. Mais qui va dépolluer ? Si on ne construit pas, on ne dépollue pas, c’est pragmatique“.

Comment peut-on parler de défaut d’information en parlant du seul dossier alors qu’il y a eu plusieurs réunions publiques et plus de 300 contributions ?

Hélène Cloëz, avocate des promoteurs

De la même façon, elle conteste le second motif d’annulation avancé par le rapporteur public, du fait d’un défaut d’information de la population au moment de l’enquête publique. Le magistrat pointe un dossier “très lacunaire, complété au fil des demandes de la commission d’enquête”. “Mais comment peut-on parler de défaut d’information en parlant du seul dossier alors qu’il y a eu plusieurs réunions publiques et plus de 300 contributions ?“, s’interroge encore l’avocate.

Problème de circulation

Avant elle, l’avocat des associations requérantes, Raphaël Marquès préfère faire porter ses observations dans les rares creux laissés par l’argumentaire du rapporteur public. “Vous devez entrer en voie d’annulation également pour la voie de desserte qui n’est pas adaptée au projet“, argue-t-il notamment.

Présente à l’audience, la Ville de Marseille n’intervient pas sur le fond, mais défend tout de même la possibilité d’un projet revu à la baisse “sans forcément le dénaturer“, en reprenant l’argument des promoteurs sur la nécessité de “réhabiliter un ancien site industriel” plutôt que de construire “un village à la mer”.

Dernière à intervenir, l’avocate de la métropole plaide pour un projet conforme à la loi Littoral et qui ne densifie pas le tissu bâti actuel. “Nous sommes déjà sur un site urbanisé. Sur la majeure partie du projet, le plan local d’urbanisme prévoit des hauteurs de bâti conformes à celle du village et des coefficients d’espaces naturels d’au moins 50% des lots. Il ne s’agit pas de densifier, mais de réhabiliter“. Le tribunal administratif statuera sur ces trois recours d’ici 15 jours.

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Commentaires

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  1. polipola polipola

    J’adore, avec 324 logements et 450 places de parking « il ne s’agit pas de densifier »
    Ils nous prennent vraiment pour des debiles.
    J’avais beau admirer Mathilde Chaboche je n’ai jamais réussi à comprendre comment un tel projet a pu être validé.

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  2. jacques jacques

    C’est écrit noir sur blanc: il faut dépolluer. Si on ne construit pas, un de ces jours les mêmes opposants attaqueront la ville sous le premier prétexte venu et là c’est nous qui paye! Autant faire faire le boulot par les promoteurs. Ecco.

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  3. jacques jacques

    PS ce n’est pas Caboche qui a signé le 1er permis mais l’adjoint de feu Gaudin

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  4. PierreLP PierreLP

    L’annulation du permis aura pouenr effet de garder au pied du massif des Calanques une friche industrielle avec des ruines aux toits amiantés, un site pollue, des bâtiments remarquables aussi squattés, dégradés par certains occupants, et qui ne seront pas restaurés.
    Et critique priver le quartier d’équipements publics prévus dans le dossier.
    C’est garder la station de relevant des eaux usées qui fonctionne au prix de l’injection de tonnes de produits chimiques pour empêcher l’émission de sulfure d’hydrogène…
    Bravo !

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  5. Richard Mouren Richard Mouren

    Deux questions distinctes: 1°) Le constructeur fera-t’il une dépollution du site dans les règles, cheminée rampante incluse (risques pour les riverains, élimination des déchets), sachant que ça coûte un pognon de dingue? L’administration aura-t’elle les moyens de contrôle suffisants? 2°) L’arrivée de cette population supplémentaire (supérieure à celle de l’ensemble immobilier “La Grotte Roland” à l’entrée des Goudes) va augmenter le problème d’une voirie insuffisamment dimensionnée, déjà fort saturée. La délivrance d’un permis de construire à des fins de dépollution semble être une fausse bonne idée, eu égard aux très nombreux points de pollution beaucoup plus dangereux du bord de mer entre la Pointe Rouge et Callelongue qu’il faudra bien penser à dépolluer un jour……

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    • PierreLP PierreLP

      Il y a un programme de depollution sous MOA de l’ADEME qui doit commencer à court terme enteeSamena et Callelongue

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      Merci pour l’info mais j’attends de voir.

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  6. LN LN

    Depuis tjrs je rêve d’y voir un parking obligatoire pour se rendre aux Goudes, à Callelongue, dans les calanques avec de nombreuses navettes ce qui résoudrait pas mal de problèmes

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    • Andonis Andonis

      Ça bouchonne dès le rond-point de la pointe rouge (Lidl), c’est le premier entonnoir où il n’y a plus qu’une voie de circulation. Si un parking est fait, il devrait être fait avant ce rond-point

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Je ne comprends pas : que font nos zélus de la métropole ? Toujours pas de projet de 2×2 voies de type BUS entre la Vieille-Chapelle et Les Goudes ? C’est pourtant ainsi qu’ils entendent “fluidifier la circulation” : créer des aspirateurs à bagnoles.

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  7. kukulkan kukulkan

    pour le coup je suis plutôt pour ce projet, il faut construire là où c’est logique à Marseille et ici le projet permet en plus de répondre à cette urgence de dépollution ! gagnant gagnant,

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    • polipola polipola

      Vraiment ? Parce que vous pensez que c’est gagnant gagnant de rajouter plus de 500 habitants sur cette petite route sans faciliter ni augmenter aucunement la capacité des transports publics ?

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  8. Malleus Maleficarum Malleus Maleficarum

    Le terrain a été vendu à Gingko / Constructa pour qu’ils le dépolluent en échange d’un permis de construire, car la collectivité n’a pas les moyens de dépolluer.

    Dommage, ils l’ont dans l’os : mal barré pour le permis, et c’est tant mieux.

    Deuxième effet kisscool : éplucher les études de sol et détection de pollution (dues au moment de la vente du terrain en théorie, et obligatoires de toutes manières) pour prouver la volatilité (probable, vue leurs natures) d’au moins une partie des polluants. Et là, paf, c’est le propriétaire du terrain qui doit dépolluer au titre du risque de santé publique.

    Oups.

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