Rue de la République, les habitants ne croient plus à une rénovation interminable
Au-dessus des commerces désertés, derrière les façades rénovées, des logements vides. Ou des habitants restés coûte que coûte, qui témoignent que la galère n'est pas finie rue de la République. Une nouvelle vague de relogement est prévue, chez au moins un des deux grands propriétaires.
Rue de la République, les habitants ne croient plus à une rénovation interminable
Un échec pour les uns, un processus sur le point d’aboutir pour les autres. La rue de la République faisait l’objet le 5 février d’une réunion entre les propriétaires, la ville et Euroméditerranée. Un rendez-vous sur demande de l’établissement public d’aménagement pour faire le point sur les commerces en pied d’immeuble qui restent désespérément vides. Les données divergent : 45% d’occupation pour l’association Un centre-ville pour tous, 65% pour la Ville. “L’opération est en train de sortir dans sa globalité”, assure pourtant le directeur adjoint d’Euroméditerranée. Mais au-dessus des commerces “Potemkine” et derrière les façades fraîchement rénovées se cache un autre enjeu, qui soulève tout autant de questions mais n’a pas été abordé par les pouvoirs publics lors du rendez-vous : la réalité des habitants de longue date, dont les appartements sont passés de société foncière en société foncière.
La rue de la République, jadis rue Impériale, a été détenue dès l’origine par de grands investisseurs depuis sa percée et son inauguration en 1884. De foncière locale à un fonds de pension américain, elle a toujours fait l’objet de spéculation immobilière, au grand détriment des habitants. La dernière grande transaction remonte à l’été 2014 : un des deux grands propriétaires, ANF (filiale d’Eurazéo), cédait à un autre promoteur, Promologis, ses 216 logements pour 34 millions d’euros. Un an auparavant, l’autre grand propriétaire, Atemi, vendait son patrimoine à Foncière Développement, filiale de Foncière des régions. De quoi donner le tournis.
Logements vides, cages d’escaliers dégradées, relogements en série pour cause de rénovation ou de projet pour l’immeuble, baux non renouvelés… Ce jeu de bonneteau a eu un effet direct sur la vie des habitants et l’état d’immeubles déjà dégradés. Dans une enquête fouillée sur l’état de la rue, Un centre-ville pour tous estime qu’au 1er août 2015, un tiers des logements de la rue restent vides. À partir des données qu’elle a récolté, l’association évalue à 56 % la part d’immeubles rénovés et à 30 % ceux “rénovés partiellement”.
Au gré des îlots, alternent immeubles rénovés, occupés par de nouveaux venus, et les autres, où la rénovation n’a été au mieux que partielle. Les précédents propriétaires, Atemi et ANF, sont accusés d’avoir laissé les immeubles à l’abandon et de ne pas avoir fait les rénovations nécessaires. Et encore, “les travaux qui ont été faits ne sont ni faits ni à faire”, estime une habitante. Un constat partagé par Anne-Christel Lextrait, directrice du développement chez Promologis : “Nous considérons que tout est à rénover. L’ensemble des cages d’escaliers est dans un état déplorable. Quelques logements ont été rénovés par ANF mais c’est marginal. Aujourd’hui, nous avons un plan global de rénovation chiffré à 16 millions d’euros”. Durée estimée : deux ans. Les deux grands propriétaires, Foncière Développement et Promologis, ont jusqu’ici été tout aussi silencieux que leurs prédécesseurs.
“La grande majorité des habitants veut rester rue de la République et ne pas changer de numéro. Quand le logement est reconfiguré, nous proposons aux locataires de revenir dans un appartement au plus proche de ce qu’ils avaient”, défend la responsable de Promologis. Nous nous étions engagés à faire les travaux avec les locataires [présents] mais les prescriptions données récemment du fait de la présence de plomb et d’amiante nous imposent de les faire sans eux”, explique-t-elle. À ce jour, 27 de leurs 80 locataires ont accepté le relogement. Impossible pour l’heure d’avoir des chiffres de Foncière des Régions.
Chez tous les habitants, la méfiance se fait sentir. Le leitmotiv : “On ne m’aura plus”. Promologis évoque “un capital confiance à reconstruire”. “Nous avons envisagé un temps d’avoir recours à un prestataire pour la médiation mais nous avons finalement choisi de le faire en interne”, détaille Anne-Christel Lextrait, évoquant une personne à plein temps sur le sujet.
Ces rénovations futures vont à nouveau entraîner le relogement de certains habitants, déjà échaudés par le comportement des propriétaires précédents, les promesses non tenues et l’absence d’information. Marsactu a rencontré quelques uns des habitants historiques de la rue.
Au numéro 7, Marie-Rose Massa
Marie-Rose Massa donne volontiers son âge, mais à l’envers : 38 ans. L’accent aiguisé, cette femme aux grands yeux noirs vit rue de la République depuis 50 ans. Malgré des éclats de rire ponctuants ses phrases, son regard se durcit à l’évocation du nom de sa rue. Poissonnière du Panier puis aide-soignante à l’hôtel-Dieu pendant plus de 40 ans, elle a toujours vécu dans l’arrondissement. C’est en chanson qu’elle raconte sa vie, l’amour pour ses trois enfants, sa fierté d’être mère d’une danseuse étoile de l’opéra de Marseille, son enfance dans le quartier du Panier. Mais la belle n’a pas composé de chanson sur la rue haussmannienne : « C’est du passé, n’en parlons plus ».
Elle explique avoir été en procès contre son ancien propriétaire, ANF, pendant cinq ans contre une augmentation de loyer qu’elle jugeait excessive. Elle obtiendra gain de cause sans vouloir rappeler dans les détails cette histoire. Aujourd’hui, son appartement appartient à Promologis et le changement de propriétaire ne semble pas l’avoir rassurée. La peur que l’on puisse de nouveau essayer de la faire partir est toujours là dans un coin de sa tête.
Marie-Rose habite dans la partie “réussie” de la rue, entre la place Sadi-Carnot et le Vieux-Port, celle où quelques grandes enseignes se sont installées et où les immeubles ont été entièrement rénovés mais c’est avec nostalgie qu’elle se souvient de la fréquentation tout autre des petits commerces aujourd’hui disparus : “Les magasins étaient pleins à bloc, on ne pouvait pas marcher tellement y avait du monde et maintenant ça fait un peu quelque chose”.
Antoine Cuadra, 14 rue du Chevalier Roze
Employé d’Eurocopter à la retraite et membre de Centre-Ville pour tous, Antoine Cuadra a été président de l’association des “lois de 48”, nombreux dans le quartier. Les baux de soumis à la loi 1948 permettaient de faire face à la pénurie de logements en assurant aux locataires un loyer réduit et un contrat de location à durée indéterminée. Ce dispositif protège les locataires mais n’incite pas les propriétaires à faire les travaux nécessaires. Cela devient un vrai casse-tête quand il s’agit de mettre en œuvre une rénovation de grande ampleur.
S’il ne vit pas directement dans la rue de la République mais dans une parallèle, la rue du chevalier Roze, il suit le dossier avec attention. Son logement fait partie des biens rachetés par Foncière des régions à Atemi. Auparavant, il a eu à faire à ceux qu’il nomme “les Américains”, Lonestar, un fonds de pension qui en 2004 a racheté 1350 logements. Il explique avoir gagné en appel contre une procédure d’expulsion entreprise par ces derniers. En 2007, Lone Star revend une partie de ses biens à la banque d’affaire américaine Lehman Brothers dont la faillite bloquera durablement l’avancée des opérations de rénovation. Son immeuble a servi de logement-tiroir pour les locataires de la rue de la République que les investisseurs avaient fait déménager.
Il a aidé d’autres habitants à faire valoir leurs droits face à ce qu’il appelle “une opération commerciale et immobilière sauvage. Ils ont demandé à 519 familles de partir”. Aujourd’hui, ce sont les travaux interminables et leurs effets délétères sur la vie de la rue qui l’inquiètent : “C’est catastrophique, y avait tous les commerces que vous vouliez. Maintenant, zéro y a plus rien”.
Au numéro 62, Rachida Jullien
À son étage, la seule porte qui n’est pas anti-squat est celle de Rachida Jullien. Jeune retraitée, elle vit depuis 20 ans dans cet immeuble, dans un T6 où elle est seule avec ses chiens. Avant cela, elle vivait dans un entresol dans lequel il y a eu un dégât des eaux. Elle a donc été relogée dans les étages supérieurs tout en bénéficiant du même loyer que dans son précédent logement.
Derrière la façade toute neuve, rien n’a été refait à l’intérieur. L’impression est celle d’un immeuble abandonné. D’ailleurs, son propriétaire, Promologis, a décidé de suspendre l’entretien de la cage d’escalier, une “dépense [qui nous] parait injustifiée compte tenu de l’état très dégradé des cages et des paliers”. Une information transmise par simple affichage. “Nous envoyons une entreprise au coup par coup”, confirme Anne Christel Lextrait, expliquant que les charges des locataires ont été diminuées. L’immeuble est à moitié vide, les anciens locataires dont le bail avait été résilié par ANF n’ont jamais été remplacés. Rachida se souvient qu’en 2005, après l’installation de squatteurs, un agent de sécurité avait été embauché pour un mois.
Le nº62 a deux escaliers. Madame Jullien vit au A. Elle est maintenant incapable de mettre les pieds dans l’escalier B où il y a eu le plus de dégâts. Plus rien ne fonctionne de ce côté, l’ascenseur, l’éclairage à certains étages. Rachida Jullien refuse de partir même si elle dit y avoir vécu l’enfer. Ayant le projet d’installer 120 logements étudiants dans cet immeuble, Promologis lui a demandé de partir. Contre le T6 où elle vit actuellement et où elle a fait des travaux, le promoteur lui a proposé selon elle un T3 avec un loyer supérieur de 300 euros à ce qu’elle paye actuellement. Une proposition qu’elle a refusé, du fait de l’écart de prix. Elle donne volontiers rendez-vous dans un an pour faire état de sa situation.
Jean-Jacques Gaspari au numéro 72
La rue de la République, Jean-Jacques Gaspari n’arrête pas d’en parler avec son frère depuis 10 ans. “La façade est haussmannienne mais derrière elle est plutôt zolienne”. C’est ainsi qu’il résume les onze dernières années. Arrivé de Corse avec sa famille en 1964, il a toujours vécu dans la rue. Il l’a quittée quelques années pour les quartiers Nord avant de revenir en 1973 au 5 quai de la Joliette, au coin de la rue de la République. En 2010, on leur demande de partir mais ils bénéficient d’un bail de 1948 les protégeant. La famille finit par accepter le relogement. “Il y avait du vent dans l’immeuble, tout était cassé”, se souvient-il. Ils seront les derniers à partir selon lui. Il garde en mémoire les squatteurs, l’ascenseur coupé alors qu’ils habitaient au 5ème étage, la peur de laisser sa mère seule dans l’immeuble.
Jean-Jacques Gaspari et sa famille s’installent alors dans un appartement qui appartient aujourd’hui à Promologis. Là encore, seule la façade a été rénovée. De ce déménagement vécu comme « un préjudice » il est resté une rancœur, ses mots sont âpres pour évoquer tous ces événements. C’est en se levant de sa chaise et en mimant des riches qui boivent des mojitos qu’il témoigne des rebondissements à venir.
L’immeuble devant être rénové, on leur demande de partir pendant quelques mois, le temps des travaux. Mais il n’y croit pas : “On ne me la fait pas”, prévient-il. Pour lui, les promoteurs immobiliers sont des “délinquants”. Même si la rue est devenue “un décor de cinéma dont il n’y a plus le son”, il ne la quittera pas.
Julia Rostagni (photographies et vidéos) et Clémentine Vaysse (texte)
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