En Camargue, une spectaculaire renaissance de la vie sous-marine
Le golfe de Beauduc connaît un développement fulgurant des herbiers sous-marins où foisonne la faune depuis que le parc naturel de Camargue et les petits pêcheurs locaux agissent conjointement pour le protéger. Un reportage extrait de la série d'été sur la Méditerranée de notre partenaire Mediapart.
Le 22 juin 2023. Beauduc, village du bout du monde. Au bout d'une longue piste en terre toute cabossée, qui serpente entre deux marais, le village se dresse face à la mer. Image : Théo Giacometti
C’est un bout du monde posé sur la Méditerranée, entre les deux embouchures du Rhône. En Camargue, le golfe de Beauduc s’est formé par l’accumulation des sédiments crachés par le fleuve dans la mer. En retrait de la plage qui court au-delà de l’horizon, derrière un petit étang bien gonflé des pluies printanières inhabituelles, le hameau des Sablons se réveille, jeudi 22 juin, cerné par l’orage. Pour s’y rendre, il a fallu rouler 40 minutes sur une piste cabossée d’une dizaine de kilomètres, entre les étangs puis les dunes. Arles, le chef-lieu communal, est à 50 kilomètres.
Au milieu des tamaris, ces arbres adaptés à la salinité du sol, les quelques dizaines de cabanons ont été construits sans permis. La pièce à vivre de celui de Georges Gauzargues est juste assez grande pour accueillir ses visiteurs du matin, tandis que l’averse tambourine sur son toit. À 71 ans, cette figure du hameau au franc-parler raconte avec un plaisir renouvelé une vie de liberté, loin du fracas urbain, et de pêche, dont il a fait son métier.
Avec le parc naturel régional (PNR) de Camargue et d’autres petits pêcheurs, il s’est battu pendant des décennies contre les ravages des chalutages illégaux, qui menaçaient de désertifier les eaux du golfe. Un combat qui a abouti, il y a dix ans, à la protection d’une zone de 450 hectares, soit un dixième du golfe, où tout type de pêche est interdit. Depuis, c’est une résurrection de la vie marine et d’un écosystème indispensable face au changement climatique qui est à l’œuvre.
“Les chalutiers benthiques [qui raclent les fonds, ndlr] vident tout ce qu’il y a, tous les poissons adultes ou juvéniles, et aussi les filets de la pêche « aux petits métiers »”, explique Delphine Marobin-Louche, chargée de mission littoral et milieu marin au PNR de Camargue. “Le soir, on calait les filets dans l’incertitude de les retrouver. J’ai vu des pêcheurs en poser quatre kilomètres pour en récupérer 20 mètres le lendemain”, se souvient Georges Gauzargues. “Sans filet, on pouvait perdre une semaine de travail. Pour peu que ce soit la bonne semaine où il y a le plus de poissons, ça menaçait la pérennité de notre activité”, raconte Fabien Sanchez, neveu de Georges Gauzargues, venu avec Clément, son fils de 13 ans.
L’usage des chaluts est pourtant prohibé dans une bande de 3 milles nautiques (environ 5,5 kilomètres). Mais loin des ports où siègent les autorités maritimes, les chalutiers se permettaient d’y venir faire de lucratifs coups de filet. “Ils longeaient le golfe en venant du Grau-du-Roi ou de Port-de-Bouc et ratissaient tout en permanence”, se souvient Delphine Marobin-Louche, qui a débuté au parc en 2002.
La rapide expansion des herbiers sous-marins
Des années de conflits entre pêcheurs, de procès et d’alertes transmises aux autorités se sont déroulées avant que les destructions systématiques des fonds marins ne prennent fin, laissant place à “un cercle vertueux”, selon les mots de Delphine Marobin-Louche. “En 2005, des pêcheurs m’ont dit qu’ils avaient découvert un herbier de zostères. Il faisait un mètre carré, aujourd’hui, il fait 12 hectares”, s’enthousiasme-t-elle.
Les différentes espèces de zostères et la cymodocée qui le constituent sont des plantes à fleurs sous-marines. Elles remplissent les mêmes fonctions écologiques que leurs cousines les posidonies, plus communes en Méditerranée : nurserie et garde-manger pour les poissons, frein à l’érosion, stockage de carbone (trois à cinq fois plus que les forêts).
En coopération avec les pêcheurs locaux, le cantonnement de pêche, communément appelé “réserve marine”, a été créé sous l’impulsion du parc de Camargue en 2013, pour une période test de dix ans. “Maintenant, c’est à vie”, se satisfait Georges Gauzargues en évoquant son renouvellement définitif, validé en mai dernier. Le rectangle de 3 kilomètres sur 1,5 kilomètre est signalé en mer par des balises jaunes, à quelques encablures du phare de la Gacholle.
“La fonctionnalité que l’on a vraiment voulu y préserver, c’est la nurserie, pour la reproduction et la croissance des juvéniles”, explique Delphine Marobin-Louche, en particulier pour les poissons plats : soles, grondins, raies… Avec les scientifiques du GIS Posidonie et de l’Institut méditerranéen d’océanologie, les agents du parc et les pêcheurs assurent ensemble le suivi de la zone par des pêches scientifiques réalisées tous les quatre ans. Entre les relevés de 2014 et de 2018, “la biomasse des poissons a été multipliée par 3 dans la réserve et par 1,5 à l’échelle du golfe”, se félicite la chargée de mission du PNR.
Hippocampes et coquillages rares
Tandis que l’agente du parc poursuit son exposé, l’éclaircie s’invite en milieu de matinée. Insuffisante pour encourager les adeptes de kitesurf à faire voler leurs voiles multicolores, qui ponctuent souvent le ciel. Le mistral, fréquent, a fait de Beauduc un spot mondial pour cette pratique sportive. La régulation récente des loisirs contribue également à faire baisser la pression sur la nature. Depuis 2018, la circulation des véhicules motorisés sur la plage est interdite. La réglementation des endroits de mise à l’eau des adeptes d’activités nautiques date des années 2010. “Des personnes restent très proches du bord. Pendant des mois dans l’herbier, forcément, ça piétine”, rapporte Delphine Marobin-Louche.
La majeure partie des zostères observées s’épanouissent à l’opposé du phare de la Gacholle, à l’abri de la pointe de Beauduc. La seule avec celle de l’Espiguette (à l’ouest du Petit-Rhône) qui progresse sur la mer avec les sédiments du fleuve, alors que le reste du littoral camarguais est inexorablement grignoté par l’érosion marine.
La pointe de Beauduc est placée depuis 2015 en zone de protection de biotope, à cheval sur la terre et la mer, au sein de laquelle les activités humaines sont fortement restreintes. Des espèces particulièrement fragiles y ont élu domicile, comme des hippocampes ou des grandes nacres. Ces coquillages, qui peuvent mesurer plus d’un mètre, sont décimés par un parasite partout en Méditerranée. Delphine Marobin-Louche constate aussi des mortalités à Beauduc, mais les larves seraient moins vulnérables, du fait d’une salinité changeante grâce aux apports d’eau douce du Rhône et des étangs. “L’hypothèse, c’est que le parasite est moins résistant à la dessalure, selon des observations faites dans l’étang de Thau [à côté de Sète (Hérault), ndlr]”, précise-t-elle.
Georges Gauzargues est fier de pouvoir transmettre le patrimoine des lieux. “Au moins, que les jeunes aient quelque chose”, se réjouit-il. Le jeune Clément Sanchez, pour l’instant collégien à Arles, opine du chef. “J’ai une grosse passion pour la pêche”, dit timidement celui qui accompagne parfois son père sur son bateau. “Je ne fais pas ça pour qu’il pêche plus tard. Je sais aussi que c’est dur. Qu’il le fasse si ça le passionne, mais qu’il fasse des études d’abord”, cadre le père. À 55 ans, Fabien Sanchez s’apprête à accéder à la retraite d’ici la fin de l’été, après une carrière commencée à l’âge de 14 ans.
Le Camarguais a d’abord pêché la telline à pied. Surpêché, le petit coquillage emblématique de la gastronomie locale se fait rare depuis longtemps. L’avenir de la pêche dans le golfe lui paraît difficilement cernable. “Les eaux se réchauffent. On ne sait pas trop où ça peut aller, en bien ou en mal, selon les espèces de poissons”, s’interroge-t-il. En Camargue, les équilibres sont précaires et le changement climatique vient les bouleverser avec incertitude.
Commentaires
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Congratulations à ces combattants ! Une belle et rare nouvelle encourageante, à l’ouverture de ma presse matinale … en comparaison à bcp d’autres reportages (sur un plan général) ! Comme quoi tout est possible … cdlt., Laure
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Un coin magnifique et sauvage qu’il fallait vite protéger car même les pêcheurs locaux (à part Georges) s’en donnaient à coeur joie sans penser au renouvellement de la ressource. La telline a ainsi presque disparue …
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Disparu
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Que voilà une bonne nouvelle en effet ! A rapprocher de l’expansion de la faune et de la flore marine au large du parc National des Calanques : il paraît que ça a “explosé”. On revoit même des mérous et autres poissons plus ou moins disparus.
Comme quoi le milieu marin a de la ressource. Si on le préserve, il repart. (enfin, dans ces cas là en tous cas).
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Il faut multiplier ces “oasis” protégées. La mini réserve de Carry foisonne de vie et essaime aux alentours.
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Si on ne respecte pas la nature, on partira avec.
Cyrulnick Boris
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Joli reportage, vivant et humain ! Je souhaite un bel avenir au jeune Clément, que ce soit dans la pêche ou dans un autre métier en Camargue.
Pour avoir beaucoup plongé dans et autour de réserves marines, je confirme l’étonnante capacité de reconstitution du milieu sous-marin si on le laisse tranquille. Il est heureux que des pêcheurs en aient conscience : ils bénéficient directement de cet “effet réserve”.
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on voit sur la carte que les zones de protection strictes sont très très restreintes.. Et malgré tout ont des résultats incroyables ! il faut multiplier ces zones et les élargir largement ! c’est beaucoup trop peu !
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