La folle saga de la Fondation Vasarely, 30 ans de péripéties romanesques
La parution de l'ouvrage "Le Pillage" cosigné par la journaliste Laetitia Sariroglou et Pierre Vasarely offre l'occasion de se plonger dans 30 ans d'une épopée vertigineuse. Où se mêlent intimement art, utopie et escroquerie.
Déclarée d'utilité publique en 1971, la fondation ouvre ses portes au Jas de Bouffan en 1976. Quinze ans avant que la famille commence à se déchirer... (Photo C.By.)
Un accordéon dont les façades voient alterner des ronds noirs sur fond argent, des ronds argent sur fond noir. Visible et reconnaissable entre mille depuis l’autoroute qui contourne Aix-en-Provence, le bâtiment est devenu l’une des signatures de la ville. “Monument-oeuvre”, selon le mot valise choisi par son concepteur Victor Vasarely, la fondation du même nom a vu le jour en 1976, avec pour mission confiée par le pionnier de l’art optique de “réaliser la cité polychrome du bonheur”. Rien moins.
Vasarely. Des ronds, des carrés, des losanges, des couleurs à foison et une géométrie comme prise de folie. Cet art cinétique, dont il est l’un des pères, orchestre à partir de ces matières premières des effets d’optiques jusqu’au vertige et du mouvement à l’infini. Bien sûr, certaines pièces vous rappellent les affiches de la salle d’attente de votre dentiste dans les années 80. Tant mieux !, clamait alors Vasarely qui voulait que son œuvre vienne à tous via cette fondation reconnue d’utilité publique en 1971 puis plantée au Jas de Bouffan.
Généreux et visionnaire, il s’agissait pour lui de faire sortir l’art des galeries et musées pour l’accrocher dans la salle à manger de monsieur et madame tout le monde. Il dégoupille au passage quelques tabous. Avec lui, il n’est pas interdit que des œuvres se fassent logo (le fameux double losange de Renault), viennent orner la façade d’une radio populaire – RTL en l’espèce -, ou s’affichent sur la pochette de Space Oddity de David Bowie.
Rêve chaotique
Mais la défense de la pop culture pour tous peut s’avérer un chemin pavé d’obstacles. Ce centre architectonique, comprendre qui mêle art et architecture dans sa conception même, avec ses 44 “intégrations”, pièces monumentales dédiées, Victor Vasarely en rêve dès les années soixante. “Un rêve chaotique”, convient Anne-Marie Piras, la directrice administrative et financière du site. C’est peu de le dire. Le Pillage (*), livre que cosignent Laetitia Sariroglou, journaliste à La Provence, et Pierre Vasarely, petit-fils de l’artiste, revient par le menu sur les détails de “l’affaire Vasarely”. Une saga hors norme : 30 ans de péripéties artistico-judiciaires qui ont vu les héritiers se déchirer et chercher à spolier la fondation. Et s’approprier pour leur seul profit des centaines de pièces.
“Ce livre est une façon de raconter ce qui s’est passé bien sûr, mais aussi de solder les choses, de clore ce chapitre”, pose Pierre Vasarely, actuel président de la fondation. Désigné en 2015 comme seul légataire universel de son grand-père, il se bat pour récupérer les pièces spoliées et les ramener dans le giron de l’utopie de Victor. “Cette fondation, c’était le projet d’une vie. Mais au fil des années, on a abouti à une situation totalement exceptionnelle. Parce que cette histoire a croisé des personnages incroyables qui n’ont eu aucun respect pour l’idée première de Victor Vasarely et de son épouse Claire.”
Communisme et soap operas
Le plasticien d’origine hongroise assume alors son communisme jusque dans ce projet de fondation. Après le décès de sa femme, puis celui du maître en 1997, le rêve “très politique” est détourné de son objectif premier et son fonds en partie éparpillé. “Ce que soulève aussi ce livre ce sont les problématiques de succession des artistes. Mon grand-père pensait que sa fondation était à l’abri, mais la tutelle administrative de l’État s’est montrée défaillante à la protéger”, pointe le petit-fils. Il faut dire, convient-il néanmoins, que l’affaire comporte une galerie de portraits complètement dingue.
Cette histoire est un roman. Elle en a tous les ressorts : la cupidité, les coups bas, les affaires de familles, les jalousies recuites…
Laetitia Sariroglou
De l’aveu même de Laetitia Sariroglou, “cette histoire est un roman. Elle en a tous les ressorts : la cupidité, les coups bas, les affaires de familles, les jalousies recuites…” Pour façonner son récit, cette spécialiste de la chronique judiciaire a choisi le chemin du roman. Le choix peut dérouter, au début de la lecture. Mais il s’est imposé. “Je n’ai pas eu à beaucoup forcer tant ces personnages sont romanesques !”, s’amuse-t-elle.
Le scénario tient la dragée haute aux meilleurs soap operas. Amour, gloire et beauté, mais aussi vols d’œuvres, escroqueries et appât du gain sont de la partie. Se croisent là, Victor et Claire – alias Gyözö et Bonzi -, et leurs deux fils : Yvaral, le père de Pierre, artiste lui aussi qui peine à percer sous l’ombre paternelle écrasante et André, médecin à la sécurité sociale en banlieue parisienne. Autour d’eux gravitent une singulière galaxie de faux amis et d’hommes de loi mal intentionnés, petites mains de trois grands caractères. Michèle Taburno, la seconde épouse d’Yvaral ; Charles Debbasch ancien doyen de la faculté de droit d’Aix qui assume de 1981 à 1992 la présidence de la fondation et Yann Streiff, avocat un temps très proche de Michèle Taburno.
Trio de personnalités complexes
Ce n’est pas un ouvrage à sens unique. Il ne s’agissait pas de dire que c’était tous des salauds.
Pierre vasarely
Une blonde poupée au teint de porcelaine, un très ambitieux universitaire, un avocat qui ne rechigne pas à être payé avec 87 huiles, gouaches et autres dessins du maître piochés dans le fonds du musée didactique de Gordes… Ces trois personnages aux psychés complexes sont les principaux protagonistes, dans des temporalités diverses, de la spoliation du fonds de la fondation orchestrée sur plusieurs années. Un peu comme les pièces de Vasarely, dans lesquelles il fait parfois bon observer son reflet déformé, les âmes plus subtiles qu’elles en ont l’air.
Avec acuité, le livre décrit les entrelacs de sentiments, les volte-faces et les reliefs propres à chacun. “Ce n’est pas un ouvrage à sens unique. Il ne s’agissait pas de dire que c’était tous des salauds. Laetitia, comme une petite souris de Plantu, s’est plongée au cœur du dossier, au plus près des faits et des personnalités de chacun et en toute autonomie”, reprend Pierre Vasarely.
L’ouvrage offre une immersion dans les méandres de procédures qui se répondent et s’étirent sur des décennies. L’investigation s’appuie sur “un travail scientifique”, poursuit Laetitia Sariroglou. La journaliste a épluché des milliers de documents. “Mais qu’est-ce que ces gens s’écrivaient !“, rit la reporter. Courriers, injonctions, compte-rendus de conseil d’administration… viennent nourrir ces quelque 500 pages. “On est ni dans l’arbitraire, ni dans l’imagination totale”, affirme Pierre Vasarely. Ce milieu qu’on voulait feutré se dévoile dans “sa véracité crue”, dit-il encore.
Chicago, Porto-Rico, Togo, Sisco
Au gré des épisodes ce que l’on retient, c’est la violence des blessures forcément d’autant plus à vif qu’elles sont intimes. Ce qui n’empêche pas le rocambolesque. La belle-mère de Pierre Vasarely, Michèle Taburno, prend la tangente à Chicago avec 600 pièces dans sa musette, avant de filer à Porto-Rico. Charles Debbasch, l’ancien doyen qui a présidé la fondation de 1981 à 1992, est condamné pour abus de confiance : reconnu coupable d’avoir allègrement pioché dans la caisse de la Fondation, il trouve refuge au Togo.
Quant à Yann Strieff, avocat qui a négocié un très avantageux arbitrage – annulé depuis par la justice – pillant la fondation au profit des fils Vasarely et de Michèle Taburno, il est radié du barreau de Paris, condamné à restituer les œuvres perçues. Il a vainement cherché à faire d’autres bonnes affaires en revendant un couvent à Sisco, en Corse, mais est également mis en examen dans ce dossier-là.
Des centaines d’œuvres dans la nature
À balader au gré des salles de la Fondation, ce mercredi après-midi de vacances, comme les coups bas et les incessantes bagarres pas jolies-jolies du livre, semblent loin. Des gamins gambadent entre les “alvéoles” hexagonales qui accueillent les pièces, s’amusent de cet art ludique qui demande d’être en mouvement pour en révéler les trompe-l’œil. Certaines peintures souffrent encore des ravages du temps. Les tapisseries sont parties à la restauration. Et des centaines d’œuvres du génie hongrois sont encore dans la nature et le resteront pour certaines.
Il n’empêche la fondation sort de sa torpeur, comme un malade passé pas loin du pire. “Depuis 2009, nous avons redynamisé la situation. Aujourd’hui le futur est consolidé. La fondation tient la route financièrement et accueille toujours plus de public”, souligne Anne-Marie Piras la directrice administrative des lieux. En 2019, avant la parenthèse Covid, l’accordéon aux ronds argent et noirs qui bénéficie désormais de l’appellation Musée de France a reçu plus de 100 000 visiteurs. Comme un début de concrétisation de l’utopie vasarélienne.
* Le Pillage, 541p., 22,90 euros, Fage Editions
“L’art sera trésor commun ou ne sera pas”, exposition du 10 novembre au 8 mai 2022.
Commentaires
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Ça pique les yeux, ça pique des sous. Une histoire ancienne: de nos jours de telles dérives ne seraient plus possibles.
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Cela continue, hélas !
Ce doyen Debbash me poursuit, ce doyen contre lequel, nous, étudiants à la fac de sciences de saint Jérôme, sommes mis en grève car nous allions devoir accueillir les 1ères années de Droit et les étudiants en psycho ( cette science molle au milieu des sciences dures ). Nous avons perdu.
En 1975, je passe tous les concours possibles pour pouvoir aider mes parents à payer les études de mes frères et sœurs , reçue à l’écrit du concours d’inspecteur des PTT, j’accepte sans attendre les autres résultats : j’accepte et à l’oral: « que pouvez-vous nous dire du doyen Debbash ? « , « oh cela pourrait être long car c’était mon doyen d’université ! « et ils ont dit « bien « et ils sont passés à autre chose.
Des reproductions de Vasarelly, il y en avait dans la fac et cela nous parlait et ce roman autour de la succession vaudrait la peine que l’AN et le Sénat s’y penchent
J’en profite au détour du chemin pour dire à cet homme dont les médias nous abreuvent que lorsque j’ai passé mon concours et été reçue 2ème sur 151 postes à pourvoir au niveau national, les 3 membres du jury étaient des hommes et moi, une femme avec un nom et prénom maghrébin et jamais ils ne m’ont posé de questions sur mes origines ou sur mes attaches religieuses, je suis athée et profondément laïque ( mon père est celui qui m’ à enseigner que à l’origine les religions ne sont pas vraiment mauvaises mais que ce sont les hommes qui la pervertissent )
Il est fort probable que vous m’ayez rencontrer un jour à la Poste ou pour La Poste mais, mon nom de famille est italien et comme certains Kabyles, « je ne souffre pas du délit de faciès
Bien à vous et merci pour vos commentaires qui m’instruisissent.
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J’ai fait des fautes de frappes insupportables, excusez moi quoique cela soit impardonnable.
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