Plongée dans le chaos ordinaire de la copropriété du Parc Corot
Depuis des mois, les habitants du parc Corot, dans le 13e arrondissement, vivent le chaos d'une copropriété dégradée, en proie aux squats et à la violence ordinaire. Une situation inextricable pour les copropriétaires comme pour les habitants.
La tour C et le bâtiment A qui concentrent l'essentiel des problèmes de la copropriété. Photo : B.G.
En ce début d’après-midi pré-estival, le calme règne au Parc Corot. Une torpeur trompeuse qui tranche avec les tensions régulières que connaît cette grande copropriété dégradée du Nord de Marseille. Il y a quelques semaines encore, un jeune homme de 21 ans est tombé sous les balles d’un règlement de comptes, sur fond de narcotrafic. Symbole du mal-logement dans sa dimension la plus massive, la petite cité est entrée dans un processus de sauvegarde depuis près de cinq ans. Un lent redressement dont les signes tangibles ne sautent pas encore aux yeux.
Comme d’autres grands ensembles de la ville, la cité nichée au creux d’un vallon crénelé de tours est marquée par un squat endémique. Une situationt notamment alimenté par les carences de l’État dans l’hébergement des demandeurs d’asile, qui n’ont guère d’autre solution pour se loger. Depuis des décennies, le parc Corot vit au rythme du chaos ordinaire des copropriétés dégradées.
Un jeune homme se présente au pied du bâtiment C, la grande tour de 16 étages qui domine le quartier. Il fait partie de ces occupants sans droit ni titre, d’origine nigériane, souvent montrés du doigt. Il rentre du travail, un emploi au noir dans le bâtiment dont témoignent ses chaussures de chantier couvertes de poussière. Il est accueilli par sa compagne, bébé dans le dos, et prend le temps de quelques gouzis à l’attention du nouveau né.
Racket et influence d’une mafia nigériane
Je vais travailler et et je rentre ici me reposer. Si j’avais le choix, je vivrais ailleurs.
Un habitant du bâtiment C
En anglais, il explique à Marsactu occuper un logement qu’il partage avec d’autres Nigérians. “Je suis quelqu’un de tranquille, j’ai une femme et un enfant. Je vais travailler et et je rentre ici me reposer. Si j’avais le choix, je vivrais ailleurs”. Pour lui, les tensions sécuritaires et l’emprise des gangs est loin d’être aussi sensible qu’il y a quelques mois. “Ils étaient en bas de la tour, explique le jeune homme qui refuse de donner son nom. Ils nous attendaient alors qu’on rentrait du travail pour nous prendre notre argent. C’était très difficile. Maintenant cela va mieux. C’est comme pour tous les humains, il y a des bons et des mauvais. Certains cherchent à travailler, à vivre tranquillement, d’autres, ne font rien et cherchent d’autres moyens de se faire de l’argent”.
Sans s’appesantir, le jeune homme confirme la présence du groupe des red berets, en référence au code couleur de leur vêture. Il s’agit d’un cult, groupe criminel issu des fraternités étudiantes nigériannes, très actif dans la traite d’êtres humains en direction de l’Europe. Il y a quelques mois, la copropriété a été le théâtre d’une importante opération de police, visant à démanteler les réseaux en activité, notamment dans la prostitution.
Une quinzaine d’appartements squatté sur 66
Au pied du bâtiment C, quelques propriétaires patientent. Ils ont été réunis par Johan Mahé, président d’une association baptisé CDD56 et propriétaire de plusieurs lots dans la tour dont il est l’un des derniers présidents du conseil syndical. Il est très actif dans la défense des propriétaires et contre la perspective d’une démolition de la tour où il possède quatre appartements. Récemment, il s’est fendu d’un nouveau courrier alarmant à l’adresse du préfet comme du Premier ministre dans lequel il dénonce la mainmise de ces groupes.
“Près de 100 nigérians en situation irrégulière, gérés par leur mafia nous défient chaque jour. Ils squattent une quinzaine d’appartements très bien identifiés sur 66 au total en se regroupant et en faisant régner leur loi. Quinze appartements dans notre immeuble (C5-6) mais autant dans les sept immeubles voisins du seul Parc Corot.”
À ses côtés, une autre propriétaire, Djara Sali accompagnée de son “garde du corps” déjà décrit dans un récent article de France 3 Provence Alpes sur l’emprise des réseaux nigérians. Trois de ses appartements sont squattés depuis un an et demi. “J’ai fait des travaux, j’ai meublé et j’ai fait un bail à un certain Nana. Très vite, il a fait l’objet d’un rejet de sa demande d’asile et d’une obligation à quitter le territoire. À partir de là, il a cessé de payer son loyer et s’est montré menaçant à mon égard”. Elle a porté plainte contre lui et obtenu un jugement d’expulsion mais son locataire a fait du lieu un business juteux. “Mon ancien locataire ne vit plus là mais il touche des loyers des gens qui partagent l’appartement”.
Au sixième étage, ils seraient même deux par chambre, insiste-t-elle. Elle met également en cause un certain Moses, qui relèverait de la “mafia nigériane” et qu’elle accuse d’organiser la sous-location de ses compatriotes. “Ils sont entre dix et vingt et font des allers et retours avec la frontière italienne et logent tous au même endroit”, affirme la retraitée. Comme Johan Mahé, elle a déposé plusieurs plaintes à l’encontre de ces personnes pour des faits de violence et de menace.
Quand les copropriétaires officialisaient les squats
Au pied d’immeuble, un certain Larry rejoint les propriétaires. Il est un des rares Nigérians du bâtiment à parler français couramment. “J’ai longtemps vécu en Côte d’Ivoire”, sourit-il. Contrairement à nombre de ses compatriotes, il a obtenu une carte de séjour après son mariage avec une jeune marseillaise. Mais pour l’heure, il vit toujours à Corot. “Je loue une chambre 300 euros par mois”, explique-t-il. Une somme qu’il verse au fameux Nana comme d’autres occupants du même appartement. “Je n’ai pas le choix pour l’instant. Mais il faut que je sorte de là. Je ne peux pas me retrouver mêlé à des histoires comme ça”.
Des histoires, Johan Mahé en a à revendre. Ces “squatteurs” qu’il fustige dans de longs courriers, il les connaît par leur prénom et pour certains, c’est lui qui les a installés dans ces appartements. “En 2018, les pouvoirs publics ont décidé d’évacuer le bâtiment A qui était très largement squatté par des demandeurs d’asile, le plus souvent nigérians, après un arrêté de péril, explique cet enseignant des quartiers Nord. Beaucoup d’entre eux sont allés au plus proche et ont commencé à investir notre immeuble“.
En 2018, les copropriétaires ont fait signer des bails à des squatteurs pour des appartements vacants.
À l’époque, Johan Mahé et les autres copropriétaires décident donc d’officialiser cette présence en accueillant certains d’entre eux dans trois appartements “sous adjudication”. Il s’agit des appartements qui appartiennent à la copropriété du fait du surendettement des propriétaires vis-à-vis de celle-ci. Généralement, ces appartements sont vendus aux enchères pour permettre d’éponger les charges dues. Sauf que la réputation de Corot la précède et les appartements ne trouvent pas preneurs.
“Nous nous sommes dits que plutôt que de subir le squat on pouvait les accueillir dignement et permettre de régulariser leur situation tout en permettant de percevoir des loyers et combler les dettes de la copropriété“, explique-t-il. Ces appartements accueillaient plusieurs locataires, répartis dans les différentes chambres. Johan Mahé parle même de “familles” avant de se raviser quand on lui demande de préciser les conditions de logement de plusieurs familles dans un même appartement.
Du conte de fées aux impayés
Cette initiative de Johan Mahé lui a valu de faire l’objet d’une plainte de la part de l’administrateur provisoire notamment pour “occupation illicite de lieux privés et escroquerie”. Durant plusieurs mois, il a été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de se rendre sur le site. Au final, en février 2020, une décision de relaxe a été prononcée en sa faveur, le juge considérant que l’enquête ne répondait “aux exigences de qualité” : les investigations manquant de “rigueur”, n’ayant pas été menées “à charge et décharge”. Un jugement que Johan Mahé s’est empressé de diffuser pour justifier de sa bonne foi.
Entretemps, certains des locataires de ces appartements sous adjudications ont alors été logés “avec des baux en bonne et due forme” dans les appartements de Johan Mahé et d’autres propriétaires volontaires. Or, après plusieurs mois sans souci, les problèmes d’impayés sont arrivés. Les différentes périodes de confinement sont venus s’ajouter à la perte de statuts de demandeurs d’asile pour certains et pour d’autres au changement de mode de versement du pécule de l’OFII – l’Office chargé de prendre en charge les demandeurs d’asile et notamment de leur verser une allocation mensuelle. Le conte de fées d’un accueil solidaire, matiné de l’assurance d’entrées d’argent régulières a vite tourné au vinaigre.
“Liar and criminal”
La visite dans les étages avec Johan Mahé vire rapidement à l’engueulade à grande échelle. Un puis deux, puis trois occupants de l’immeuble s’en prennent avec véhémence au propriétaire qu’ils accusent en anglais d’être un “menteur” et “un criminel”. Pris à partie par Johan Mahé qui tape à sa porte, Yusuf invite Marsactu à le rejoindre dans son logement. Il sort les quittances de loyers qui prouvent qu’il a bien payé -au moins un temps- pour cet appartement sommaire.
Il montre l’état du chauffe-eau, abimé par un incendie, le plafond endommagé par un dégât des eaux dans la salle de bains. Il affirme également avoir reçu la visite de l’administrateur judiciaire accompagné d’un policier qui lui aurait indiqué que le propriétaire n’avait pas le droit de louer cet appartement. Du côté de l’administrateur judiciaire, on confirme la visite à l’occasion d’une opération de police et accompagné d’un huissier. “Il s’agit effectivement d’une méprise. Nous avons frappé à la mauvaise porte, du même palier, et le monsieur qui nous a ouvert était celui que nous cherchions. Nous lui avons envoyé un message en anglais ensuite pour expliquer la méprise”, explique-t-on à AJA Associés. Mais le mot est vite passé entre locataires, contribuant à dégrader les relations avec les propriétaires.
On a vue sur la mer mais c’est la merde qu’on vit au quotidien.
Une locataire du Parc Corot
Au 16e étage, dans un appartement qu’il a “libéré” de squatteurs comme de son ancien locataire, Johan Mahé a installé une famille venue du Nord. “Ma fille travaille au Mucem dans la sécurité, raconte la mère qui ne veut pas voir son nom cité. Elle a peur tous les soirs de croiser les squatteurs dans l’ascenseur. On ne connaissait rien de cette cité avant de débarquer ici. On a vue sur la mer mais c’est la merde qu’on vit au quotidien”. Son propriétaire hausse les épaules, pour mieux souligner qu’il n’y est pour rien dans cet état de fait. Il aurait pourtant pu renoncer à relouer cet appartement dans ces conditions.
Entre les immeubles, les squatteurs du bâtiment C sont de plus en plus nombreux à rentrer du travail, l’air las, souvent couverts de poussières. Johan Mahé en interpelle certains, anciens locataires désormais squatteurs. Arrivent ensuite deux jeunes femmes, court vêtues, flanqué d’un jeune homme coiffé d’un bob rouge, au regard hostile. “Là, c’est autre chose”, glisse Mahé. Le sordide ordinaire qui prospère à l’ombre de la République.
Commentaires
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Merci pour ce reportage qui montre que le problème des cités, des squats, des trafics, est complexe, avec divers acteurs impliqués.
La solution n’est donc pas simple.
Reste la question : pourquoi les pouvoirs publics ont-ils laissé ces cités et ces quartiers, leurs habitants, abandonnés, la situation dégénérer ? Ici et ailleurs ?
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En 1970, j’allais donner des cours bénévolement dans cette cité et ce n’était déjà pas bien brillant pourtant la grande majorité des habitants étaient « blanches ! « .
Les propriétaires sont responsables de la dégradation de leurs biens, un appartement et un immeuble s’entretiennent comme une voiture ou autre.
Maintenant, cette mafia nigériane qui a pris possession des lieux n’a pas vocation à demeurer en France.
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