Quand Grand Littoral et Carrefour surfent sur la misère étudiante

Le centre commercial défend un engagement "citoyen" tout en incitant les étudiants à consommer chez lui. (Photo GM)

“Faire de la communication sur le dos d’étudiants précarisés envoie un très mauvais signal”. À l’instar de Rémi, porte-parole de Solidaire.s étudiants Aix-Marseille, les syndicats étudiants sont remontés contre Carrefour, ce jeudi 15 avril. Et pour cause : l’enseigne lance ce jour sa campagne “Le mois solidaire étudiant”. Chaque jour pendant un mois, le concours verra un étudiant tiré au sort. Ses achats au centre commercial Grand Littoral seront alors “remboursés” sous forme de carte cadeau réutilisable chez Carrefour et Biocoop. La chaîne bio, présente dans la halle marchande et partenaire de l’événement, s’engage à offrir un panier de fruits et légumes à l’heureux élu quotidien.

Depuis des mois, la misère des étudiants explose du fait de la crise sanitaire. Tous les jeudis, Rémi distribue pour sa part des conserves de légumes et des paquets de pâtes devant la faculté d’Aix-Marseille. Trente à quarante étudiants viennent s’y servir gratuitement. “Le gouvernement ne fait rien de massif contre la précarité grandissante des étudiants. Pas même la fac qui ne nous donne même pas des tables ou un local, fait-il remarquer. Avant de regretter : “Carrefour et d’autres enseignes profitent naturellement de ce vide institutionnel pour imposer leur communication.”

Un étudiant tiré au sort par jour

Les modalités du jeu sont simples : l’étudiant tiré au sort lors de ses courses à Grand Littoral est invité à retourner dans le centre pour y dépenser le montant de ses achats chez Biocoop ou Carrefour. “Grand Littoral est une véritable institution pour Marseille et son agglomération. Et aujourd’hui le centre a décidé de s’engager auprès des étudiants en difficultés“, fait savoir le centre commercial des quartiers Nord dans un communiqué. Les malchanceux sont invités à retenter leur chance – et donc à réitérer leur shopping – le lendemain pour trouver bonne fortune.

Sur place, la communication autour de l’événement est discrète. Pas d’insigne, pas d’oriflamme pour marquer le début du grand jeu concours. Et peu d’étudiants. Yassine Cherkin, inscrit en biologie à l’université d’Aix-Marseille, ne connaissait pas l’opération avant de venir faire ses courses. Il ne s’est pas inscrit à l’événement aujourd’hui mais compte peut-être le faire dans les prochains jours. “Carrefour fait un geste, c’est mieux que rien”, sourit-il. “Mais ça reste bien vu de leur part : le gagnant est obligé de revenir dépenser son gain chez eux. Ils parlent de remboursement des courses, mais en réalité rien n’est remboursé, ça reste une consommation différée”.

“Avec cette opération, et grâce à nos enseignes partenaires, nous contribuons à la chaîne de solidarité qui s’est créée dans les villes universitaires en soutien aux étudiants”, revendique Arnaud Tescari, directeur de Grand Littoral dans le communiqué de presse. “Le centre s’est toujours inscrit dans une démarche citoyenne (…) en mettant son énergie au service d’actions solidaires, devenues essentielles pour traverser cette période de crise inédite”, avance-t-il encore.

“La solidarité n’est pas une affaire de loterie”

“Une blague” pour Lyes Belhadj, président de l’UNEF Aix-Marseille. “J’ai d’abord cru à un article du Gorafi : Carrefour ne s’est jamais porté volontaire pour aucune action syndicale ou associative sur la région PACA, assure-t-il avant de s’emporter. La précarité étudiante n’est pas un jeu, la solidarité n’est pas une affaire de loterie. Nous invitons le groupe Carrefour à faire des dons aux syndicats et associations étudiants, car aujourd’hui nous ne voyons pas la grande distribution prendre sa part.” Sur les réseaux sociaux où l’annonce a été partagée, les commentaires indignés s’accumulent, certains comparant l’opération au film Hunger games, littéralement, “les jeux de la faim”.

Sollicités par Marsactu, ni le groupe RP Klepierre la maison mère de Grand Littoral, ni Carrefour n’ont souhaité faire de commentaire sur le jeu concours. Peu au fait de l’opération marseillaise, le directeur des hypermarchés Carrefour en région PACA, Yves Rouault, préfère mettre en avant les actions des banques alimentaires dans ses magasins “qui permettent de répondre concrètement aux problèmes des étudiants”. Une option peut-être plus sûre pour les étudiants qui n’auraient pas le goût du jeu.