L’avenir toujours encombrant de la centrale de Gardanne
L'unité au charbon de la centrale de Gardanne doit s'arrêter en 2022. Les salariés n'ont toujours pas de réponse aux inquiétudes sur leur avenir, que ce soit de l’État comme du nouveau propriétaire, le groupe EPH. La CGT pousse un projet de tri et de transformation de déchets, rejeté par bon nombre d'élus et d'associations qui le qualifient d'incinérateur.
L’avenir toujours encombrant de la centrale de Gardanne
Le jeudi 5 décembre, les syndicalistes de la centrale thermique de Gardanne ouvraient l’impressionnant cortège CGT mobilisé contre la réforme des retraites dans les rues de Marseille. “Quand on est placé en tête, c’est que ça va mal”, expose amèrement Nicolas Casoni, délégué CGT. Ce mardi, les employés de la centrale seront encore du cortège, “mais on ne sait pas encore à quelle place”.
Parce qu’elle est émettrice de CO2 responsable du réchauffement climatique, Emmanuel Macron annonçait il y a deux ans la fin de la production d’électricité à partir de charbon en France, à l’horizon 2022. Une décision qui condamne le groupe 5 de la centrale de Provence et ses 600 méga-watts (MW). L’avenir de l’autre unité, Provence 4 – convertie à la biomasse issue de bois forestier et de bois déchet (150 MW) – reste indécis, au regard de grandes difficultés techniques à la faire fonctionner (relire notre article sur le fonctionnement de la centrale).
Pour poursuivre l’activité industrielle sur le site et préserver les emplois (180 sur site et 1000 en tout avec les emplois indirects estimés), depuis septembre, le syndicat avance son propre projet. La préfecture lui a promis de financer une étude de faisabilité. Dans un territoire toujours très industrieux, la relance de la centrale inquiète beaucoup d’élus, d’associations environnementales et de riverains, notamment en raison des conséquences environnementales et sanitaires.
Capter le carbone et faire de l’hydrogène à partir de déchets
Pour envisager l’après charbon, en octobre 2018, le gouvernement a œuvré à la mise en place d’un Contrat de transition écologique (CTE) censé mettre autour de la table tous les acteurs : industriel, élus, syndicat et associations autour du préfet. Force est de constater que l’engagement initial de “trois mois de négociations, trois ans d’engagements, 30 ans de dynamique”, n’a pas été tenu. Requalifié en “projet de territoire”, le plan n’est toujours pas finalisé.
Pour la CGT, le site de Gardanne pourrait être “une tête de filière”, concernant la recherche sur la captation du CO2 et sa transformation a des fins industrielles. Le syndicat propose de baisser la capacité de Provence 5 de 600 à 280 MW pour “rendre plus facile la captation du CO2 après la combustion du charbon, par des équipements ajoutés à l’unité”, expose Nicolas Casoni. Valoriser une production par un charbon rendu “propre” serait selon lui plus bénéfique à l’écologie mondiale. Le charbon représente l’essentiel de la production électrique de la planète, à hauteur de 38% du mix énergétique mondial en 2018 (1,1% en France). “On pourrait mettre au point de nouvelles technologies qui bénéficieraient aux centrales des pays pauvres et ainsi faire baisser globalement les rejets de CO2”, affirme le syndicaliste. Les associations de riverains et associations environnementales, regroupées dans un tout nouveau collectif intitulé Basta pollutions ne croient pas aux technologies d’emprisonnement du carbone, jugées trop onéreuses et pas au point.
Un incinérateur dans le viseur ?
Dans le projet de la CGT, trois nouvelles unités permettraient un procédé dit de pyrogazéification, par lequel des combustibles solides à base de biomasse et un combustible gazeux deviennent de l’hydrogène. “C’est un peu comme dans un four, on les fait chauffer à très haute température pour aboutir à cette transformation chimique”, explique le syndicaliste. Ajouté en cours de processus, une partie du CO2 serait ainsi valorisé. L’hydrogène pourrait servir de carburant, être injecté dans les réseaux de gaz ou utilisé dans une pile combustible pour faire de l’électricité.
Le tout serait alimenté en partie grâce à une plateforme de tri et de traitement des déchets, intégrée au site. Elle permettrait le compostage et la production de méthane. “D’ici à 2025, la loi oblige à réduire de moitié l’enfouissement et en 2028 ce ne sera plus possible. Il faudra bien que l’on propose des solutions sur les territoires pour traiter les déchets”, plaide Nicolas Casoni. Avec l’ensemble de sa proposition, il espère sauver les emplois existants et en créer 300 supplémentaires.
Les écologistes voient dans la proposition de la CGT l’installation cachée d’un incinérateur ou des nuisances d’une installation de ce type : particules, dioxines et furanes très nocives. Le précédent de l’incinérateur de Fos est cité en exemple à ne pas suivre. “Est-ce qu’on a vocation à devenir la poubelle de la métropole ? Je suis très dubitative sur ce projet. Est-ce reconnaître que la chaudière de Provence 4 ne fonctionnera jamais ?”, interroge la conseillère municipale EELV de Gardanne Brigitte Apothèloz, tout en reconnaissant que “c’est bien que la CGT se fasse force de proposition et pas seulement d’opposition”. Avec d’autres membres de son parti, dans le cadre du projet de territoire, elle défend un projet de valorisation du bois pour la production d’éoliennes et l’isolation, comprenant la méthanisation des résidus.
“Le projet de la CGT s’inscrit dans un schéma des années 60-70, qui disqualifierait encore plus le territoire”, tacle pour sa part Pierre Applincourt, de France Nature Environnement (FNE). Lui veut tourner la page de la centrale thermique, en se souciant du devenir des salariés : “on ne peut pas leur faire porter le poids des mauvaises orientations politiques. Il faut respecter leur statut et les accompagner dans des formations. Il faut un plan social avec un engagement fort de l’État”.
En changeant la vocation du site, le militant associatif pense que “4000 à 5000 emplois” pourraient être créés. “Sur ces 80 hectares il y a un potentiel énorme pour développer d’autres activités en lien avec le Puits Morandat [futur pôle économique et culturel pour les nouvelles technologies, ndlr] et l’école des Mines”, affirme-t-il. C’est en ce sens que la plateforme associative a aussi déposé un projet auprès de la préfecture.
Un projet qui clive pour les municipales
Une majorité des élus du territoire dénoncent aussi la probable implantation d’un incinérateur. Ils “rejettent unanimement un tel équipement, [et] agiront en conséquence contre ce projet inepte en mobilisant populations et associations”, est-il écrit dans une lettre adressée au préfet le 2 octobre et signée par la sénatrice Sophie Joissains (UDI), le député François-Michel Lambert (UDE), les maires de Meyreuil, Cadolive (DVD), Châteauneuf-le-Rouge, Simiane-Collongue, Trets, Peynier, Pertuis (LR), Mimet et Gréasque (DVG). Même Roger Meï, le maire communiste de Gardanne, historique soutien des salariés de la centrale, a signé la missive.
“L’incinérateur, c’est ce qui va diviser Gardanne pour les municipales“, pose Brigitte Apothèloz, dont le parti soutien la candidature de Jean-Marc La Piana, le dauphin du maire sortant. “Je suis sur la même ligne que Roger Meï. En plus je suis médecin. On ne peut pas envisager un incinérateur en zone urbaine”, déclare Jean-Marc La Piana. “L’idéal serait d’avoir un moratoire [sur la fin du charbon] qui nous permettrait d’avoir du temps pour savoir comment développer l’emploi tout en respectant l’environnement”, ajoute-t-il.
Claude Jorda, candidat PCF et conseiller départemental, soutient quant à lui la proposition de la CGT. “Je suis toujours avec les salariés par rapport à leur bataille. Bien sûr, si on installe le même incinérateur qu’à Fos, il n’en est pas question. Mais ce n’est pas ce qu’ils proposent. Si on fait de la recherche, on peut se permettre de produire tout en protégeant l’environnement”, expose-t-il. Jean-Brice Garella (ex PS), conseiller municipal et tête d’une liste “du centre-droit au centre-gauche”, appuie aussi la CGT. “Le terme incinérateur est caricatural. Il ne s’agit pas de ça. Ce que les autres rejettent est une partie infime d’un projet qui est viable économiquement et environnementalement”, affirme-t-il.
Pour le projet de territoire, Jean-Brice Garella propose de remplacer le charbon par du gaz, comme la centrale EDF de Martigues qui a abandonné le fioul pour cette énergie fossile réputée plus propre : “ce qui permettrait de conserver le statut particulier des salariés. On pourrait en plus installer une conduite de gaz le long de la voie ferrée”. En passant, il fustige les idées du député Lambert (relire notre entretien avec ce dernier) et des associations, qui viseraient à changer les activités sur le site. “Quid de la dépollution qui va coûter plusieurs centaines de millions d’euros ? Qui va payer avant d’installer des villas et des entreprises ?”, interroge-t-il.
L’horizon de la centrale de Provence peine toujours à se dégager. Si l’attentisme persiste, la date de la fin du charbon (le 1er janvier 2022) tombera comme un couperet pour les salariés. Un prochain comité de pilotage pour le projet de territoire se tiendra ce 17 décembre. La préfecture a signifié à Marsactu qu’elle ne s’exprimerait pas avant cette réunion. “Nous avons le sentiment que le gouvernement et Gazel Energie sont en connivence pour que l’entreprise gère le plan social”, redoute le délégué CGT Nicolas Casoni.
Presque un an de grèveLe 7 décembre 2018, la CGT s’est engagée dans une grève pour demander un moratoire sur la fin du charbon. Qu’ils soutiennent ou non la revendication, tous les élus locaux, quelle que soit leur couleur, s’accordent à dire que la date du 1er janvier 2022 ne permettrait pas une transition respectueuse des salariés et du territoire. La grève a été une première fois suspendue cet été. Elle est arrêtée depuis le 21 novembre et la production devrait reprendre prochainement. La direction a mis la pression sur la CGT au motif que “les investissements ne seront effectifs que lorsque les conditions normales d’exploitation seront à nouveau réunies”, nous précise Gazel Energie, nouvelle filiale propriétaire du site depuis 6 mois. En juillet, Uniper cédait ses actifs en France au groupe EPH, du magnat tchèque Daniel Křetínský.
L’opacité sur les intentions de la nouvelle direction pour l’après charbon inquiète aussi les salariés. “Depuis juillet [elle] avait annoncé aux salariés son intention d’investir pour permettre une exploitation des sites jusqu’à leur fermeture et surtout préparer l’avenir pour les salariés et le territoire concernés par cette fermeture”, écrit-elle a Marsactu, sans plus de détails. En septembre dernier, dans les colonnes de La Provence, Olivia Levasseur, présidente de Gazel Energie, clamait toutefois avoir l’ambition de “développer la biomasse, gérer des synergies entre les tranches biomasse de nos sites. […] Il s’agira par exemple de renforcer la filière d’approvisionnement en bois, d’implanter une scierie ; mais aussi de développer la production de vapeur et de nourrir un réseau de chaleur”. Des aménagements déjà imaginés par Uniper en son temps. L’annonce de la présidente de Gazel Energie ne satisfait pas les écologistes, opposants historiques à la conversion de Provence 4 à cause des 850 000 tonnes de bois par an amenées à être consumées dans la chaudière. Un volume qui créerait un déséquilibre sur les fonctions écologiques des forêts.
Commentaires
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“la captation du CO2 et sa transformation a des fins industrielles” ??? Sa transformation en quoi ??? A part la transformation inverse qui nécessite un peu plus d’énergie que ce qu’on a récupéré en brulant le charbon, je ne vois rien.
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