Le péage de la Barque, bastion des gilets jaunes des Bouches-du-Rhône
Le péage de l'A8 à dix kilomètres d'Aix est occupé depuis le 17 novembre.Les gilets jaunes y sont présents jour et nuit, faisant de la Barque l'une des places fortes de la mobilisation locale. Ils racontent leur colère dans le bassin industriel déclinant de Gardanne.
Le péage de la Barque, bastion des gilets jaunes des Bouches-du-Rhône
Un tonnerre continu de klaxons. “C’est trop bon !”, s’écrie Matthias, la trentaine. Venu de Rognes, cet ouvrier forestier, bonnet en grosse mailles vissé sur la tête, passe “dix heures par jour” aux première loges du flux de véhicules. Le reste du temps, il se “repose” près de sa tente. Il l’a montée à 300 mètres du péage de la Barque, à 10 kilomètres d’Aix, près de Meyreuil et Gardanne. Des communes aux usines familières pour beaucoup de gilets jaunes mobilisés à la Barque. C’est donc à ce péage que le filtrage commence, signalé par divers panneaux réfléchissants en vrac et une planche en bois taguée “ZAD”, pour “zone à défendre”, appellation d’habitude utilisée pour les sites écologiques. Occuper la Barque, c’est s’attaquer au business autoroutier de Vinci “et ça c’est très populaire, même les riches klaxonnent avec nous”, ajoute Matthias. Difficile d’imaginer l’inverse, lorsque l’opération fait économiser, par exemple, 3,70 euros lorsque l’on prend un ticket à Saint-Maximin (83)…
Depuis le 17 novembre et malgré plusieurs opérations des forces de l’ordre, ce péage Vinci vierge de toute histoire est l’une des places fortes de la contestation dans les Bouches-du-Rhône. Les véhicules circulent sur deux voies. Les barrières de péages sont toutes déboulonnées. Des routiers de toute l’Europe, des conducteurs de Clio ou de BMW, et même un véhicule de l’armée manifestent des remerciements chaleureux, pouces levés et gilets sur le tableau de bord.
Une buvette offre café, en-cas, barbecue, et invendus de boulangeries et pizzerias du coin solidaires. Tout visiteur passant par là est invité à se faufiler derrière la buvette, là où est accroché un article élogieux de La Provence sur le savoir-vivre des filtreurs de la Barque. Samedi 1er décembre, ils étaient entre 1000 et 2000. Une petite marée jaune, fatalement plus maigre en semaine, très hétéroclite mais réunie par une colère commune.
Le SMIC et 300 euros d’essence par mois
“J’ai honte, mais voir que je n’étais pas la seule à galérer, ça m’a rassurée”, avoue Cécile, fille et femme d’ouvriers. Sa frange blonde platine balaye ses yeux rieurs. Cette habitante de Fuveau au chômage a déjà bossé “dans tout” mais aimerait travailler dans le graphisme. “C’est simple. J’ai droit à un découvert de 600 euros et je l’atteinds chaque mois. Quand mon chômage tombe, je suis dans le vert pendant trois jours, puis je repasse en négatif.” Cécile touche 960 euros par mois. Pour un temps plein au SMIC, elle avait accepté un contrat à Marseille. “Mais à 300 euros d’essence par mois, c’était pas rentable. Se déplacer en transports, c’est trop cher pour moi. En fait, tout le temps, je dois réfléchir où je vais, et quand.”
Au même moment, des camarades dressent des panneaux : “Taxez plutôt le kérosène !”, “Macron, rends l’ISF !” ou encore “Pour lui, nous ne sommes rien”, accompagné d’une photo du président de République, dont le nom est sur toutes les lèvres. Visibles de plus loin, de larges banderoles signalent aux automobilistes qu’une collecte de jouets sera reversée aux enfants “dans le besoin” et “hospitalisés”. Sur le groupe Facebook du péage, on remercie un “donateur anonyme” pour l’impression de ce matériel. Près de 1500 membres sont actifs sur cette page et des dizaines de messages quotidiens viennent préciser les consignes à respecter sur la zone, lister les besoins, filmer l’euphorie et entretenir les débats.
“Ils manquent de maturité politique”
“Nous avons tous des idées très différentes mais on cultive le consensus”, croit savoir un trentenaire qui se définit comme “éduqué”. Cécile assume ses divergences politiques avec certains camarades : “mais si nous tenons, c’est parce que nous privilégions l’union.” Entre les tentes et le panneau “ZAD”, Laura, 24 ans, yeux bleus et dreadlocks, se partage un poulet avec d’autres militants. Habituée des marches pour le climat, cette future paysagiste fait moins de manières : “les premières réunions au péage, c’était le gros bordel. Mais c’est parce qu’il y a des gens de tous les milieux !”
Privilégier le dialogue a tordu les habitudes de certains militants plus chevronnés : “j’ai milité des décennies à la CGT et au Parti communiste, confie un retraité de l’usine d’alumine de Gardanne qui ne veut pas donner son nom. Au péage, la majorité des gens manifeste pour la première fois et manque de maturité politique. Le bon côté, c’est que l’on discute avec tout le monde. On discute avec des militants FN, moi compris. Le mouvement tient comme ça, mais l’esprit critique manque.” Un jeune homme s’approche : “si vous êtes journaliste, il faudrait demander à voir le coordinateur du péage, donc moi, pour me communiquer le sujet de votre article.” Le retraité tempère la nervosité du jeune Yann, 29, cariste en intérim à Miramas. Il s’adoucit : “je veux juste vérifier que nos gilets jaunes ne prônent pas la violence dans les médias.”
“La Barque c’est plus stratégique que Marseille”
Yann a été désigné coordinateur après la débâcle de deux premiers gilets jaunes dont l’autorité, explique-t-il, était controversée. “Quant on m’a choisi, les deux premiers ont supprimé le groupe Facebook pour s’opposer à moi. On a dû en recréer un. Il y a aussi des gens qui ont eu des comportements violents, d’autres qui venaient alcoolisés, on les a écartés. Moi, j’ai été désigné par consensus. Depuis, on a aussi formé des groupes : buvette, sécurité, communication interne et externe, etc. On élira sûrement un vrai porte-parole lundi.” Pour cette première réunion formelle, la mairie de Fuveau (divers droite) met une salle à disposition des gilets jaunes. “C’est important d’avoir un peu de soutien politique, ça peut empêcher la police de revenir nous déloger. Après, à part Nicolas Dupont-Aignan, personne n’est venu. Mais on les attend pas.”
La députée de la majorité LREM Anne-Laurence Petel, élue sur le Pays d’Aix, a même assuré sur France Bleu Provence qu’il lui a été “déconseillée d’aller sur le péage de la Barque”… Pour l’ancien militant communiste et retraité de l’usine Alteo déjà cité, la présence du maire (PC) de Gardanne ne serait pas malvenue : “je suis étonné du silence de Roger Meï et d’autres. Les élus locaux devraient venir se mouiller.” L’homme explique ne plus voter depuis le référendum de 2005. Yann, lui, a voté pour François Hollande en 2012, puis pour Marine Le Pen en 2017. “J’ai essayé de choisir celui qui défendrait le peuple. Mais maintenant, je veux une assemblée citoyenne et une nouvelle constitution. Je veux comme l’Islande.”
Yann et ses camarades ne se sont pas posé beaucoup de questions pour savoir ce qu’ils allaient faire samedi. “Paris, j’ai peur, mais j’admire ceux qui iront”, sourit Cécile. “Marseille, j’y étais samedi dernier, y avait personne, c’était nul”, regrette Matthias. Alors, ils resteront à la Barque. Au-delà du symbole, le péage recouvre un avantage logistique : “la Barque, c’est plus stratégique que Marseille car il y a du passage constamment. On discute, on nous apporte des choses, glisse un jeune homme. Aussi, tout bêtement, il y a de la place.” De quoi installer tout l’équipement nécessaire à “tenir aussi longtemps qu’il le faudra, promet Yann. On est déjà beaucoup à savoir qu’on passera Noël ici.”
Commentaires
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– ces gilets jaunes, c’est tout et n’importe quoi, ça finira en quenouille avec quelques impôts en moins sur l’essence et le gasoil et un gros recul sur l’écologie
– Si on veut mieux vivre, c’est légitime, on ne s’acoquine pas avec des fachos et on dit koikon veut, 1 mois de blocages plus ou moins violents et on ne sait toujours pas quelles sont leurs revendications ?
– c’est triste, ça ressemble à la révolution facebook des beau-frères bouffeurs de chipolatas Lidl au brasero, buveurs de jaune et de rouge, bac-2 et poètes des jolis dimanches de Plan de Campagne
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Ben vous alors, vous assumez sans vergogne votre mépris pour vos concitoyens qui ne consomment pas avec le même raffinement que sur la rue paradis ! Peut-être que la résistance à ce mépris social et politique est en elle-même la revendication principale des gilets jaunes ?
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Les gilets jaunes, c’est n’importe quoi, il n’y a pas vraiment de revendication derrière et cela laisse la porte ouverte à l’extrême droite, je le reconnais. En revanche, je ne pense pas qu’il faut avoir un doctorat en quoi que ce soit pour s’intéresser à ce qu’il se passe dans son pays ou dans le monde. “bac-2 et poètes des jolis dimanches de Plan de Campagne” Pourquoi pas demander un diplôme pour pouvoir aller voter tant qu’on y est ?
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Ce mouvement c est en effet tout et n importe quoi, mais il y a quand même des choses qui reviennent sur un constat amer, une immense deception et finalement une grande attente… on peut faire le choix de laisser le terrain aux fachos, qui n ont pas les solutions mais les mots oui, ou bien s interesser à ce qui se passe, écouter, discuter… avec des gens qui peuvent être nos braux frères, nos voisins, nos cousins, tout ces gens que Barbapapa fuit et méprise (trop peur de leur ressembler ?) Tout ces gens qui font société avec nous tous… les mepriser, les écarter de l espace public, de la parole publique, du pouvoir, n est pas la solution.
Ce sui est dangereux c est la désinformation et le manque de culture politique ou d esprit critique. Mais pas les gens.
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Ils sont heureux ensemble à faire le barbecue, boire des bières, insulter Macron et entendre les klaxons de remerciements de ceux qu’ils laissent passer sans payer le péage de la Barque…
Grande misère, pas forcément économique mais humaine et culturelle.
La réponse c’est l’expression politique c’est à dire des porte parole élus, désignés et capables de négocier à la façon des syndicats.
“La démocratie est le pire des systèmes à l’exception des autres” disait Churchill, toujours valable.
Peut-être de nouvelles formes d’expression à inventer à l’heure de l’internet.
Sinon ces malheureux iront vers la désillusion après leurs pyjamas parties d’ados attardés (je pense “demeurés” mais j’ai envie de respecter leur désarroi)
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Lire ces commentaires renforce mes doutes sur des sondages affirmant que 80% des français, un peu moins aujourd’hui, soutiennent le mouvement des GJ.
Un sacré paradoxe et une sacrée pub médiatique pour quelques dizaines de milliers d’entre eux qui manifestent en France.
Pèseraient-t’ils plus que les centaines de milliers qui manifestaient ce même jour pour le climat.
Oui, le mouvement des GJ représente un phénomène, mais n’est-ce pas par sa violence inouïe qu’il fait sa marque de fabrique ?… et en font les chouchous de médias?
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Attention tout de même à ne pas juger le mouvement des “gilets jaunes” au travers de ce qu’en montrent les médias “d’information” en continu qui, pour l’audience, mettent l’accent sur les images spectaculaires et les interviews caricaturales.
Au-delà de ce qui en est montré, ce mouvement exprime d’abord une révolte contre une réalité tangible : les inégalités croissantes et les fins de mois difficiles.
Son caractère désordonné et inorganisé est l’une des conséquences du travail de sape de Macron contre les corps intermédiaires. Après avoir dynamité les partis politiques “traditionnels”, il s’est employé à mépriser et à délégitimer les syndicats. Même les plus ouverts aux discussions ont été systématiquement ignorés.
Il ne faut pas s’étonner, ensuite, de n’avoir aucun interlocuteur avec qui parler et d’être en difficulté pour répondre à des revendications exprimées sans filtre, contradictoires entre elles et parfois farfelues. Il ne faut pas non plus s’étonner, dans ces conditions, de voir l’extrême-droite, y compris Trump dans des tweets hallucinés, en profiter pour essayer d’instiller sa propagande dans les esprits.
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On parle bien là de 200 000 personnes en regard d’une cinquantaine de millions (hors enfants), je suis tout de même abasourdi, même si j’admets que certaines revendications sont bien légitimes. Comme il a été dit plus haut la politique du “barbecue” permanent mène généralement (et est en train de mener) au chaos, chaos qui va pénaliser en premier ces mêmes gilets jaunes et bien au-delà. Je repense à nouveau à Coluche : “avant on était mal payé mais on avait du boulot, maintenant on est mieux payé mais on a plus de boulot”… à méditer un peu.
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