Braconnage dans les calanques : pas de procès pour les restaurateurs et écaillers mouillés

Actualité
le 9 Nov 2017
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Les huit revendeurs mouillés dans l'affaire de braconnage d'espèces marines dans le parc des Calanques sont convoqués ce jeudi matin par le parquet. Ce dernier a opté pour une procédure simplifiée, qui permet à ces restaurateurs et écaillers d'éviter un procès.

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Image d'illustration. Lisa Castelly.

Image d'illustration. Lisa Castelly.

Salle n°6 du tribunal correctionnel de Marseille. Une brochette d’avocats attend le début de l’audience qui tarde à démarrer. Côte à côte, l’avocat de la défense et celui de la partie civile discutent. L’un défend Stéphane Avedissian, qui pourrait bien être à la tête d’un important réseau de contrebande de poissons et de fruits de mer. L’autre avocat représente le parc national des Calanques et compte bien demander réparation pour les préjudices moraux et écologiques résultant de ce trafic. Mais les deux hommes, évoquant l’affaire, semblent s’accorder. “Nous trouvons totalement incohérent le fait que les restaurateurs et écaillers qui ont acheté les produits ne soient pas jugés devant un tribunal correctionnel aux côtés de ceux qui ont pêché la marchandise illégale”, avance Cyril Lubrano-Lavadera, avocat de la défense.

Finalement, personne ne plaidera ce mercredi dans cette affaire qui compte en tout quatre prévenus, pêcheurs et chasseurs sous-marin ayant encaissé grâce à ce marché noir quelques 166 000 euros : des pièces manquent au dossier, bouclé en septembre, l’audience est donc renvoyée au 4 juillet prochain. De quoi laisser à la défense de longs mois pour mieux se préparer à un procès qui doit durer une journée entière. Les restaurateurs et écaillers cités dans l’enquête préliminaire devraient eux pouvoir tirer un trait sur cette histoire beaucoup plus rapidement. Ce jeudi matin, ces huit revendeurs ont en effet rendez-vous avec le délégué du procureur de la République de Marseille pour une “composition pénale”, sorte de procédure simplifiée qui permet d’éviter un procès et durant laquelle le parquet propose une sanction aux personnes ayant commis des infractions.

Les revendeurs, qui plaident forcément coupables dans ce genre de procédure, ont alors 10 jours pour accepter ou non cette sanction, en général une amende. S’ils la refusent, le procureur peut demander un procès. Mais moins de deux mois avant les fêtes, une évacuation rapide de cette affaire pourrait aussi éviter la diffusion d’une mauvaise publicité.

Des restaurateurs et écaillers des quartiers huppés

“Achat en connaissance de cause de produits de la pêche sous-marine non professionnelle”, voire “achat non autorisé d’espèce animale non domestique – Espèce protégée”, sont les infractions reprochées aux revendeurs dans cette affaire. Certains ont pignon sur rue dans les beaux quartiers quand d’autres servent dans des lieux emblématiques de Marseille. C’est le cas par exemple du restaurateur des Goudes qui tient l’établissement l’Esplaï, ou encore Pierrot coquillage, l’écailler de l’avenue du Prado dans le 8e arrondissement. Dans le même arrondissement, la gérante de Coquillage Montredon et celui de la poissonnerie La cabane du pêcheur à Sainte-Anne sont également sur la liste. On y trouve aussi le patron de Neptune coquillage qui fait de la vente à emporter et en livraison à Château-Gombert et celui de la poissonnerie Chez Yves à La Ciotat. Un vendeur du quai des Belges vient parfaire le tableau.

Des milliers d’oursins pêchés hors saison, des mérous et corbs par dizaines, espèces pourtant protégées, des loups, dentis, daurades “tirés” au harpon dans des zones de non prélèvement, au beau milieu du parc des Calanques ou carrément dans des zones interdites à la pêche car polluées, comme dans la calanque de Cortiou où sortent chaque jour par tonnes les eaux usées de Marseille et des communes alentours… “Ironie du sort, cette pêche atterrit dans des endroits où des écolos vont acheter leurs produits, il y a arnaque au consommateur !”, fait remarquer l’avocat de la défense Cyril Lubrano-Lavadera, très vite rejoint par son confrère Sébastien Mabile, avocat du parc des Calanques et spécialisé en droit de l’environnement : “Le parc va également se constituer partie civile face aux restaurateurs. Il n’y a pas de préjudice écologique comme pour les braconniers mais le préjudice moral est à prendre en compte. On essaye de faire une politique de pêche raisonnée et eux vendent du poisson braconné”, argumente-il.

Les sept restaurateurs cités dans le procès verbal de l’enquête préliminaire de la brigade de recherches de la gendarmerie maritime de Marseille et qui comparaissent ce jeudi ne seraient pas les seuls mouillés dans l’affaire. “Il y a en d’autres qui ont été identifiés par les écoutes téléphoniques, parfois avec des réputations encore plus grandes. Mais faute de preuve et de temps, ils n’ont pas poussé plus loin les recherches”, assure une source qui a eu connaissance du dossier.

“Ils ne pouvaient pas ne pas savoir”

Lors de leur garde à vue, certains revendeurs ont reconnu les infractions qui leur sont reprochées. “On peut mettre de la glace dans les trous causés par le harpon, maquiller un peu le poisson, mais là ils ne pouvaient pas ne pas savoir”, défend l’avocat de l’un des braconniers. Il en va ainsi pour le vendeur du Vieux Port qui a confié “avoir vendu pour le compte de Stéphane [Avedissian, un des braconniers présumés, ndlr] des mérous piqués” et “en avoir reçu en cadeau”. Des aveux aussi pour l’écailler de l’avenue du Prado qui “finira par admettre avoir acheté 100 douzaines d’oursins à 4 euros la douzaine rémunérées en espèces”, issus de cette pêche non-professionnelle, peut-on lire dans le compte-rendu de garde à vue. Idem pour la Cabane du pêcheur, où l’on reconnait avoir acheté aux braconniers “300 et 400 douzaines d’oursins à 5 euros la douzaine ainsi que des loups fléchés”, c’est à dire pêchés au harpon. 

La poissonnerie Coquillages Montredon, a expliqué en revanche “s’être fait avoir” en mettant en avant le fait qu’il s’agit là “d’une première affaire.” Pas d’aveu non plus pour le gérant du Grand bar des Goudes ni pour celui de Neptune coquillage qui déclare “ne pas s’être aperçu s’il a acheté des loups fléchés”.

Des déclarations qui ne surprennent plus Christian Molinero, le président du comité régional des pêches maritimes et élevages marins qui se constitue également partie civile face aux braconniers comme aux restaurateurs. “Malheureusement, il y en a plein qui font ça. C’est l’appât du gain. Ils sont prêts à tout pour payer 4 euros la douzaine au lieu de 10, explique-t-il. Ils font appel à des plaisanciers ou ils utilisent une facture pour plusieurs caisses de marchandise. Le problème, c’est qu’il y a un manque de moyen pour les contrôles”, détaille le pêcheur qui a l’habitude de ce genre de procédure. Christian Molinero regrette lui aussi de ne pas voir comparaître les restaurateurs mais là encore, sans surprise. “C’est toujours comme ça !” raconte-il.

Sollicité, le parquet n’a pas pu répondre à nos questions dans le temps imparti à la publication de cet article. “Le parquet n’a pas l’habitude de faire comparaître les consommateurs, c’est comme pour la drogue”, amorce l’avocat du parc des Calanques. “Pourtant, c’est eux qui vont tirer les plus gros bénéfices de cette pêche illégale, qui vont revendre six fois plus cher que ce qu’ils ont acheté“, poursuit Cyril Lubrano-Lavadera. Pour voir les restaurateurs et écaillers aux côtés de ses clients, la défense peut toujours demander au juge de requérir leur présence au procès… en tant que témoins.

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Commentaires

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  1. Court-Jus Court-Jus

    A la différence des consommateurs de drogue, les restaurateurs font de gros bénéfices sur cette marchandise et peuvent intoxiquer leurs clients. Si c’est la mauvaise publicité qu’ils craignent, et qu’ils plaident coupable, pas de soucis, je note la liste …

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  2. Tarama Tarama

    Bon, la question que tout le monde pose, je me dévoue : est-ce que Passédat est impliqué ?

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    • neomars neomars

      Mon petit doigt m’a dit que oui. Mais comme vous, je pense qu’il peut se tromper et ce serait alors de la calomnie. Ne l’écoutons donc pas et revenons-en à l’article et aux faits révélés:
      Dans ce trafic, on pêchait sur commande. Passons sur l’habituelle ignorance totale de ce que fait un sous-traitant… Mais, comme c’est ballot, il y a le “temps qui manque pour détailler les écoutes”. Ca ressemble fort à un demi-aveu. Qui d’autres qu’un membre du Club des Masters (https://marsactu.fr/le-fortin-de-corbieres-bijou-de-la-mairie-pour-reunions-vip-dun-ancien-joueur-de-lom/) , pourrait obtenir une telle clémence des enquêteurs ?
      Et sait-on combien de temps cela a duré ? S’il y avait des complicités institutionnelles ?
      La raison d’Etat , l’image de la Ville, et que sais-je … méritent peut-être cette entorse … mais ça s’ajoute à un tel laissez-faire général, assorti d’une telle morgue de certains revendeurs “huppés” que j’ai du mal à digérer ce plat là.

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    • Tarama Tarama

      La curiosité est aiguisée par “parfois avec des réputations encore plus grandes”. Je pense que là tout le monde pense au même…

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  3. CAN. CAN.

    Selon que vous serez puissant ou misérable , les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
    Un bénédicité et deux Notre Père vous serez condamnés
    A qui fera t-on croire que le temps manquait pour détailler les écoutes.
    Cela sent fort la consigne préfectorale lorsque sont apparus des noms de notables
    indépendance de la justice avez vous dit.
    Gare au lanceur d’alerte qui donnerait les noms, il risque bien de devoir se réfugier dans une ambassade pour éviter la prison.

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    • Tarama Tarama

      Ou servir de récif artificiel du côté de Cortiou ?

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  4. Dark Vador Dark Vador

    Evidemment que de grands noms de la restauration Marseillaises sont impliqués, évidemment que de très belles et très coûteuses pièces leurs étaient destinées, évidemment que les “chasseurs” ne se seraient pas “décarcassé” pour le ti’ resto du coin… Mise sous l’étouffoir, cette affaire meurt de sa belle mort : en silence…

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  5. Juliette Juliette

    Merci pour cet article!

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  6. corsaire vert corsaire vert

    J’ai aussi noté mais il doit en manquer de ces crapules sans foi ni loi !
    Passédat je n’y vais pas … trop cher …
    La seule bonne nouvelle c’est que les bobos des quartiers dits riches se sont fait couillonner et intoxiquer …
    Que voulez vous, c’est ma fibre côté cœur, à gauche …

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