Impression soleil couchant

L’imprimeur leader de la presse sacrifie sa filiale vitrollaise mais pourrait le payer

Enquête
le 5 Oct 2017
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L'imprimerie Méditerranée offset presse (60 employés) risque la liquidation ce jeudi au tribunal de commerce de Salon, faute de plan de redressement validé. Les salariés en grève depuis plus d'une semaine et leur maison-mère Riccobono, se renvoient la responsabilité du blocage. Au-delà du site vitrollais, qui tire notamment La Marseillaise, L'Humanité et le Canard enchaîné, c'est tout le groupe qui pourrait tanguer.

L’imprimeur leader de la presse sacrifie sa filiale vitrollaise mais pourrait le payer
L’imprimeur leader de la presse sacrifie sa filiale vitrollaise mais pourrait le payer

L’imprimeur leader de la presse sacrifie sa filiale vitrollaise mais pourrait le payer

Pour la deuxième semaine, les amateurs du Canard enchaîné sont privés de leur rituel du mercredi dans plus de quarante départements. Depuis le 26 septembre, Méditerranée offset presse (MOP) n’imprime plus l’hebdomadaire comme elle le faisait d’ordinaire pour une large zone au sud de la France et ce depuis 35 ans. D’autres titres de la presse nationale (L’Humanité) et hippique (Paris Turf, Bilto…) également imprimés à Vitrolles ne sortent plus depuis cette date. La soixantaine de salariés de MOP ont déclenché cette grève à l’approche de l’audience au tribunal de commerce de Salon-de-Provence qui statuera ce jeudi sur la liquidation de leur entreprise.

Une manière de tenter d’accentuer la pression sur leur maison-mère, le groupe Riccobono, après neuf mois d’un redressement judiciaire chaotique. “Pendant tout ce temps, il n’y a eu aucun mouvement social, on a toujours assuré la production”, souligne François Pinci, délégué syndical Filpac-CGT. Les grévistes ont même assuré la sortie de La Marseillaise, quotidien ami également en redressement judiciaire, et des numéros d’octobre du Ravi et de CQFD, qui ont manifesté leur solidarité en s’engageant à ne pas aller voir ailleurs.

Un administrateur judiciaire agacé

“Si le patron [Guillaume Riccobono] ne s’était pas amusé à dégrader notre chiffre d’affaires, on ne serait pas dans cette situation”, estime François Pinci. Selon lui, Riccobono, qui possède dix imprimeries en France, aurait reporté vers d’autres filiales une partie des commandes de ses clients d’ordinaire assurées par MOP. Payés en retard, les fournisseurs de papier ou encore l’agence d’intérim qui complète les effectifs auraient progressivement coupé les ponts, au point d’entraîner une production partielle le 20 septembre dernier.

Cette vision semble partagée par l’administrateur judiciaire, Frédéric Avazeri, dans un courrier à Guillaume Riccobono que nous avons pu consulter. “J’ai pu constater tout au long de mon mandat que les erreurs de gestion diverses et manifestes n’avaient fait qu’obérer un peu plus la situation de cette entreprise”, assène-t-il, évoquant l’“absence totale d’autonomie financière et commerciale” de MOP mais aussi une “surfacturation” de la maison-mère à sa filiale. Parmi les reproches du syndicat figure notamment le tarif appliqué pour la location des machines. Sollicité, Frédéric Avazeri n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.

Une des rotatives récentes de MOP, louée par sa maison-mère.

Plan contre plan

“Si cela avait une réalité, le parquet s’en serait saisi”, répond Laurent Cotret, avocat de Riccobono dans cette procédure de redressement pour qui le risque de liquidation tient à “la totale inflexibilité affichée par les représentants du personnel”. Sans gaité de cœur, François Pinci assure que son syndicat est prêt à signer un plan de redressement élaboré par le cabinet Secafi “et validé par toutes les parties sauf Riccobono”, qui prévoit la suppression de 13 postes, en contrepartie de la titularisation de certains intérimaires très anciens. Un plan “pas sérieux, qui repose sur une longue litanie de choses imposées à l’actionnaire, balaye Laurent Cotret. Notre plan est le seul qui a été jugé viable économiquement par le cabinet Eight Advisory, mandaté par le tribunal. Il a été refusé le 16 août par le comité d’entreprise.”

Ce plan, qui repose notamment sur “une quinzaine de licenciements, une annualisation du temps de travail et une réorganisation des équipes”, comprend “un effort conséquent de l’actionnaire”, avance-t-il. Tout en reconnaissant que l’administrateur judiciaire “a exprimé des réserves” sur ce plan. “Le plan social envisagé par votre client [Guillaume Riccobono] n’avait pour seul objectif que d’éliminer la plupart des élus, ce qui aurait dans les faits empêché sa mise en œuvre”, écrit-il dans le courrier déjà cité. Quelques jours plus tard, devant l’absence de perspectives de validation d’un plan partagé, Frédéric Avazeri demandait la conversion du redressement en liquidation.

Une grève pas extensible

Dès lors, les représentants locaux de la Filpac-CGT ont tenté de mobiliser plus largement et, une fois la grève lancée, ont fait en sorte que leur production ne soit pas assurée ailleurs. La semaine dernière, le Canard enchaîné a bien été imprimé, mais c’est au niveau de la distribution que des syndicats solidaires ont bloqué. Jeudi 28, Riccobono a de nouveau tenté de reporter l’impression sur sa filiale Roto Garonne. Mais les “MOP” ont fait le trajet jusqu’à Agen pour arrêter le processus. Ces derniers jours, le mot d’ordre semble tenir : on n’imprime pas à la place de MOP.

En revanche, les grévistes ont peiné à étendre le conflit quand ils y voyaient un moyen de faire plier Riccobono. Vendredi soir, deux imprimeries du groupe concurrent Amaury (propriétaire de l’Équipe) ont reçu la visite des MOP pour tenter de les convaincre d’arrêter les rotatives. “Une forme de solidarité décrétée”, a dénoncé la section maison dans un communiqué, tandis que les MOP assurent que les salariés présents sur place ont été convaincus. En tout cas, les kiosques étaient exceptionnellement peu garnis le lendemain.

En interne, ils ne recontrent pas beaucoup plus de soutien. La même nuit, ils se sont invités dans le même but au centre Midi-Print de Gallargues-le-Montueux (Gard), cette fois-ci filiale de Riccobono. “Désinformés et ne dialoguant plus avec nous, tous les salariés de Midi-Print ont été mobilisés afin de « protéger » l’outil de travail, certains étaient armés de barres de fer, tasers et matraques. En plus de cela, une vingtaine de vigiles étaient présents dans l’enceinte de l’imprimerie avec des chiens d’attaque !”, raconte un long communiqué amer de la section syndicale de MOP. La rencontre en est même venue légèrement aux mains, même si les versions divergent sur l’origine de l’accrochage. Ambiance…

Tout le groupe est menacé

Ce jeudi, c’est pourtant l’avenir de l’ensemble du groupe Riccobono qui sera en débat à l’initiative du mandataire judiciaire Éric Verrechia. Ce dernier représente les créanciers de MOP – notamment ceux chargés d’éponger le coût social de la possible liquidation. Le 18 août, il a expressément demandé l’extension de la procédure de redressement à la maison-mère. Ce type de requête est en général justifié par la confusion qui peut exister entre l’activité et le patrimoine d’une entreprise et ceux d’une de ses filiales.

Quelques mois après avoir repris officiellement les rênes des mains de son père Bernard, qui a toutefois dû aménager son départ à la retraite devant la tournure prise par les événements, Guillaume Riccobono va devoir convaincre le tribunal de laisser à l’écart du conflit un groupe qui imprime la quasi totalité de la presse nationale française.

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Julien Vinzent
Journaliste.

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Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    Pompage à mort des filiales, et peut-être aussi de la maison mère… Mais où va l’argent ?

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