Voyages bidons : la présidente de l’association Grand Cœur sera jugée en correctionnelle

Actualité
le 16 Oct 2024
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La dirigeante de l'association Grand Cœur — qui organisait des voyages jamais honorés ni remboursés — a comparu hier selon la procédure du plaider-coupable. La juge n'a pas homologué ce choix procédural. Comme le demandaient les parties civiles, cette affaire fera l'objet d'un véritable procès devant le tribunal correctionnel.

Certaines des parties civiles lors de la procédure de plaider-coupable de la dirigeante de Grand cœur le 15 octobre 2024. (Photo C.By.)
Certaines des parties civiles lors de la procédure de plaider-coupable de la dirigeante de Grand cœur le 15 octobre 2024. (Photo C.By.)

Certaines des parties civiles lors de la procédure de plaider-coupable de la dirigeante de Grand cœur le 15 octobre 2024. (Photo C.By.)

Des applaudissements retentissent. Il est à peine midi, mardi 15 octobre, et dans la salle des pas perdus du palais de justice de Marseille, une grosse vingtaine de personnes se congratulent et s’enlacent. Ces parties civiles n’ont pas gagné leur procès. Mais la juge Azanie Julien-Rama vient d’annoncer que leur affaire fera l’objet d’un procès en correctionnelle. “C’est une première victoire. Là, nous avons vraiment été entendus et reconnus comme victimes”, savoure Moussa.

L’homme, la quarantaine, fait partie des quelque 35 parties civiles de l’affaire de l’association Grand Cœur. Fatima A, la dirigeante de cette structure associative dont le siège se trouve à la Bégude Nord (13e arrondissement), est poursuivie pour abus de confiance — pour avoir organisé des voyages à New York, Bali, Eurodisney ou des séjours au camping… jamais honorés ni remboursés — et pour atteinte à la vie privée, après la diffusion de photographies d’un homme malade qu’elle présentait à tort comme son père. Au total, le préjudice des clients lésés atteindrait 50 000 euros.

18 mois avec sursis

Ce mardi 15 octobre, le parquet de Marseille avait convoqué la présidente de Grand Cœur pour une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), autrement intitulée plaider-coupable. Une procédure rapide durant laquelle le mis en cause reconnaît les faits reprochés et voit le procureur lui proposer une peine, sans audience publique. La discussion avec le représentant du parquet est confidentielle. Seule l’homologation de la peine se fait ensuite sous l’égide d’un juge, en public, et autorise les victimes potentielles à s’exprimer.

Dans cette affaire, le parquet avait initialement proposé à la prévenue, qui reconnaît les faits, une peine de 18 mois de prison avec sursis probatoire de deux ans, la nécessité d’indemniser les victimes et celle d’avoir une activité professionnelle, une inéligibilité de cinq ans, le même temps d’interdiction d’exercer un mandat associatif et une interdiction d’émettre des chèques durant trois ans.

Au moins, on aura droit à un vrai procès où tout le monde pourra parler, pas un procès en catimini.

Éric, une victime

La juge Azanie Julien-Rama a donc décidé de ne pas homologuer cette comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et de renvoyer la prévenue devant la 6e chambre correctionnelle pour un procès dans sa forme traditionnelle. “Je voudrais dire que la CRPC n’est pas une procédure au rabais. Mais certains dossiers nécessitent des débats dans lesquels chacun peut s’exprimer et des décisions prises par une collégialité [trois juges, NDLR], justifie-t-elle en rendant sa décision, déclenchant une salve d’applaudissements et des “mercis  !”, lâchés par les parties civiles. “On ne sait pas quelles seront les peines en janvier prochain, peut-être qu’elles ne seront pas plus importantes. Mais au moins, on aura droit à un vrai procès où tout le monde pourra parler, pas un procès en catimini”, se satisfait Éric, un client lésé.

Ambiance électrique

Depuis plusieurs mois, comme le révélait Marsactu en août dernier, ces victimes présumées de l’association font part de leur incompréhension et de leur frustration face au choix de la procédure du plaider-coupable. Ce mardi, Mélanie, Sonia, Gauthier, Anissa, Rahma ou Stéphanie… ils sont plus d’une vingtaine, en rangs serrés, dans cette petite salle qui accueille rarement autant de parties civiles. L’ambiance est électrique. Car, malgré leur nombre, tous les plaignants ne peuvent s’exprimer. Cinq seulement viennent à la barre.

Moussa raconte comment il a déboursé 4000 euros pour un voyage à New York avec sa femme et ses deux enfants. Ce périple, ils ne l’effectueront jamais, comme plusieurs personnes présentes ce mardi, et il ne sera pas remboursé non plus. “C’était à la fois le cadeau de Noël et d’anniversaire de mes enfants. Pour moi, 4000 euros, c’est une somme énorme, énorme… À mes enfants, j’essaie de leur dire qu’il y a une justice en France, qu’on ne peut pas faire n’importe quoi”, s’agace le père de famille à la barre. Une autre se désole. Fatima A. “a encaissé le 1er décembre 1000 euros de ma fille qui avait travaillé tout l’été dans un centre aéré” pour financer ce voyage à New York. Or, assure cette mère dont la voix s’étrangle face au tribunal, la dirigeante de Grand Cœur “avait annulé le voyage le 22 novembre et savait qu’il n’aurait pas lieu”.

Administratrice de 13 Habitat

Cheveux retenus en une couette haute, Sabrina se présente comme “une amie d’enfance” de la mise en cause. Les deux femmes se connaissent depuis le collège. Sabrina explique qu’elle lui “faisait confiance à 100 %”. Elle a dépensé 2100 euros pour [son] premier voyage, après 18 ans de mariage, avec [son] mari”. Sans fard, elle dit sa déception d’avoir été roulée dans la farine, mais surtout le sentiment d’avoir été trahie par celle qu’elle croyait son amie. Elle décrit une forme “d’engrenage” : “Elle prend à Paul pour rendre à Pierre”, résume Sabrina.

Sur les réseaux sociaux, elle notifiait des élus, comment ne pas lui faire confiance ?

Sabrina

Comme d’autres victimes présentes, Sabrina relève que l’association de Fatima A. avait pignon sur rue : hébergée, à la Bégude nord, dans un local de 13 Habitat, bailleur social dont la représentante associative était aussi une des administratrices. “Sur les réseaux sociaux, elle notifiait des élus [notamment Nora Preziosi, NDLR], comment ne pas lui faire confiance ?” Les voyageurs floués sont, en outre, plusieurs à faire état de menaces lorsqu’ils ont demandé que leur soient reversées les sommes acquittées.

“Je veux leur rendre leurs sous”

Durant les témoignages qui se succèdent, Fatima A. fait non de la tête et pleure à plusieurs reprises. Cheveux châtains, tailleur cognac et lunettes à montures épaisses, elle admet d’emblée les faits et s’excuse : “Je veux leur rendre leurs sous”, dit-elle à la présidente du tribunal qui lui fait face. Mais plus les plaignants détaillent leurs préjudices et plus elle s’en irrite. Yasmina vient expliquer comment la dirigeante de Grand Cœur a abusivement photographié son papa, âgé, “à l’hôpital alors qu’il vivait ses derniers jours”, pour ensuite utiliser cette image par SMS. “Elle disait : « J’annule le voyage, car mon père est malade. » Je l’ai appris par d’autres victimes”, explicite Yasmina. À ses côtés, Fatima A. éclate en sanglots : “Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai…” Ces faits font toutefois partie de ceux qu’elle a reconnus face au procureur.

Elle était submergée et n’y arrivait plus

Sheryan Cherigui, avocate de la prévenue

Dans les rangs des parties civiles, on doute de sa bonne foi : “Elle s’excuse, car elle ne veut pas être punie. C’est une comédienne”, pique une femme. Sheryan Cherigui, l’avocate de la responsable associative, assure à l’inverse que sa cliente est “soulagée” que cette affaire ait finalement éclaté, car “elle était submergée et n’y arrivait plus”. Elle affirme encore que la prévenue “travaille jour et nuit pour pouvoir rembourser” cet “argent qu’elle a mal géré”.  À l’issue du rejet de la procédure de plaider-coupable, ni l’avocate ni sa cliente n’ont souhaité s’exprimer. Il leur faudra donc en passer par un procès en correctionnelle, durant lequel toutes les parties civiles actuelles et peut-être de nouvelles auront le loisir de s’exprimer.

Nicolas Berthier, l’avocat de la majorité des plaignants, s’en montre satisfait. Lui qui avait plaidé pour le rejet de cette procédure a été suivi par la juge. Pour lui, l’annonce d’un “vrai procès”, comme disent les parties civiles, permet qu’elles soient “restituées dans leur confiance” : “Nous pourrons y questionner la prévenue et le procureur pourra prendre sa décision en ayant entendu toutes les victimes.” Il faudra à la mise en cause comme aux victimes encore un peu de patience. La nouvelle audience est fixée au 15 janvier 2025. Mais en raison des nouveaux développements possibles de l’affaire et du nombre imposant des parties civiles, cette audience risque d’être renvoyée à une date ultérieure afin de bénéficier d’une journée entière de débats.

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Commentaires

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  1. JK JK

    La présidente de Grand Cœur administratrice de 13 habitat…Mais depuis quand ??? et jusqu’à quand ???
    Quand on sait que les administrateurs participent potentiellement aux commissions d’attribution, on peut légitimement se poser la question suivante : a t’elle participé à la commission durant laquelle les lieux lui ont été attribués??? Aura-t-elle été “juge et partie” à la fois ??? On peut aussi se demander quelles ont été les conditions financières de sa location ??? Gratuites ??? Payantes ??? Et tant qu’on y est, dans l’hypothèse ou c’était payant, pourquoi ne pas se demander si elle s’est bien acquittée auprès du bailleur social de ses obligations?

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  2. Richard Mouren Richard Mouren

    Il faudra bien qu’un jour (proche, j’espère) certains avocats de la défense se souviennent qu’ils sont là en priorité pour que leur client ne subisse pas de déni de droits de la part du tribunal. Je ne sais si c’est le visionnage de séries américaines qui entraîne les avocats à chausser les patins de leur client pour raconter n’importe quoi susceptible d’excuser voir de blanchir des faits évidemment délictueux.

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