Une web-série raconte les artistes derrière les messages féministes des rues de Marseille
La web-série "J'irai crier sur vos murs" présente 8 artistes et collectifs féministes qui investissent les murs de Marseille, en interrogeant les réactions des passants.
L'artiste italienne Ndrame en train de réaliser un collage au mur. (Capture de la web-série)
Dans le sillon de leur précédent documentaire [P]Ose ta bombe, Élodie Sylvain et Charlotte Ricco s’intéressent à l’expression des femmes et des idées féministes dans l’espace public avec J’irai crier sur vos murs. Pendant deux ans, elles ont rencontré des femmes qui utilisent la rue pour crier haut et fort leurs revendications féministes par le biais de collages ou tags, qui se sont multipliés à Marseille ces dernières années. Harcèlement de rue, tabou de la ménopause et des règles, intersectionnalité des luttes, sexualisation des corps féminins dans les publicités ou encore présence des femmes dans l’espace public : toutes ces thématiques sont abordées dans les huit épisodes d’une web-série d’ores et déjà disponibles à cette adresse. Chaque vidéo donne aussi la parole aux passants, afin de comprendre comment les messages passés par les artistes sont compris par ceux qui les voient au quotidien.
À l’origine, les deux réalisatrices, qui se revendiquent féministes, imaginaient ce projet sous la forme d’un documentaire de 52 minutes. Après discussions avec leur producteur 13 Productions*, elles l’ont aussi adapté au format de la web-série, afin de toucher un public plus jeune. La version longue sera, elle, diffusée sur France 3 Provence Alpes le jeudi 3 mars à 22 h 40. On y retrouvera les mêmes artistes que celles présentes dans la web-série : Anne-Laure Maison, le Collectif 2%, Douceur tarpin extrême, Ménopause rebelle, Zola, l’association Résistance à l’agression publicitaire (RAP) et Ndrame.
Cette dernière, artiste plasticienne d’origine italienne, milite pour l’éducation menstruelle. En 2013, marquée par la beauté d’une tache de sang sur du papier hygiénique, elle décide à partir de ce jour, de conserver et de laisser sécher ces papiers tachés afin de les découper, les assembler pour réaliser des collages. Sa pratique d’abord personnelle, deviendra collective, grâce aux dons de proches menstruées. Elle s’est jointe aux deux réalisatrices pour évoquer avec Marsactu le projet J’irai crier sur vos murs.
Pourquoi s’intéresser à l’art de rue féministe ?
Élodie Sylvain : La rue permet d’interpeller les passants. Souvent les artistes militantes arrivent à communiquer facilement sur les réseaux sociaux, parce qu’elles sont dans une sorte d’entre-soi militant. La rue, quant à elle, permet de toucher un plus grand public. C’est le but de cette web-série : comprendre comment les passants reçoivent les messages des collages.
Charlotte Ricco : Coller dans les rues permet une visibilité différente que celle proposée par les actions traditionnelles comme les manifestations ou les pétitions. Mais on s’est aussi rendu compte que ce n’est pas parce que les messages sont inscrits dans la rue que tout le monde y prête attention, et surtout que tout le monde les comprend. Il faut un accompagnement pour certains, une sorte d’éducation aux messages sur les murs de la rue.
Comment avez-vous choisi les artistes et les collectifs pour la web-série ?
Charlotte R. : Aux Réformés, il y a eu un tag “ici il y a eu un viol”, qui a été très rapidement effacé. Et ça nous a profondément questionnées. Nous étions déjà sensibilisées aux écrits dans l’espace public, qui fleurissaient de plus en plus dans les rues de Marseille. Nous avons donc choisi entre les artistes et les collectifs dont nous avions déjà repéré le travail. Et puis il y a aussi les rencontres, comme ce fut le cas avec Zola, qu’on a croisée lors d’un salon féministe. Nous avons vraiment cherché à avoir des artistes qui s’exprimaient sur différentes thématiques : le tabou des règles, la ménopause, le harcèlement de rue, etc.
Et vous, quel lien faîtes vous entre collage et féminisme
Ndrame : Je réalise des collages, car j’utilise des matériaux qui sont destinés à la poubelle. Il m’arrive donc souvent de devoir découper certains morceaux à cause d’endroits abimés. J’aime bien cette idée de recoller les morceaux. Je pense que c’est quelque chose qui correspond bien au féminisme, car les questions féministes sont séparées. Et nous ce qu’on essaye de faire, c’est de recomposer tout ça. C’est dans ce sens-là que je préfère utiliser le collage.
Est-ce que ça a été difficile de convaincre les artistes de vous laisser les suivre le temps du documentaire ?
Charlotte R. : Ça dépend. Si les personnes sont seules, c’est plus facile d’avoir une réponse, que si c’est un collectif. Et dans notre documentaire, il y a la présence de l’activiste Marguerite Stern dont les positions créent des dissensions dans les milieux féministes. Nous avons donc dû expliquer notre positionnement par rapport à ça et souligner que notre démarche ne portait que sur les messages féministes dans l’espace public : qui les fait ? Pourquoi on les fait ? Comment sont-ils reçus ?
Élodie S. : Et au-delà de ça, il y a aussi beaucoup de collectifs qui craignent les médias, auxquels nous avons été associées, alors même que nous ne sommes pas journalistes. Ce qui compte le plus pour nous, c’est que chaque artiste et collectif soit satisfait de son épisode.
Ndrame : C’est ce dont je suis le plus contente, en tant qu’artiste et activiste. La web-série me reflète bien, et je sais que ma parole, mon travail, ne seront pas associés au féminisme et aux valeurs de Marguerite Stern, dans lesquels je ne me retrouve pas.
Vous n’abordez pas du tout le caractère illégal du tag ou du collage…
Charlotte R. : À Marseille, écrire et coller sur les murs, c’est quelque chose qui se fait beaucoup et partout. Et puis il y a la forme et le fond. Sur la forme, les collages sont très faciles à enlever ; on l’a d’ailleurs vu dans les épisodes puisque beaucoup de collages ont disparu. Sur le fond, le message est souvent juste, surtout quand on écrit sur les murs le nombre de féminicides. De ce fait, je pense qu’il y a une tolérance du côté des institutions sur ces collages.
Élodie S.: Le collage est largement toléré. Et dans le cas de Ndrame, elle colle avec de la colle bio. Il n’y a donc pas de dégradation des bâtiments. Mais ça dépend beaucoup du quartier.
Et justement, les unes et les autres, à quel public vous adressez-vous ?
Élodie S. : Au plus grand nombre possible. On cherche à toucher le grand public, à le faire se questionner sur ces sujets. La diffusion de notre documentaire sur France 3 le 3 mars prochain, va nous permettre de toucher un public plus éloigné de ces questions féministes et certainement plus âgé que celui ciblé par la web-série. Et puis il y aura des diffusions organisées, notamment une, le 14 janvier à la médiathèque d’Istres, qui permettront de discuter avec encore d’autres publics. Le format de la web-série est intéressant, car il est court et impactant et ouvre à la discussion.
Ndrame : Pour ma part, lorsque j’ai commencé en 2013 à travailler sur les menstruations, mon sujet paraissait étrange, même chez les militantes, car les règles ne faisaient pas encore partie des questionnements féministes. Aujourd’hui ce sujet commence à se démocratiser, même si certaines personnes sont encore à des années lumières de ces préoccupations. Ce qui a été très intéressant et qui m’a d’ailleurs demandé un grand effort, c’est la nécessité d’être compréhensible par un public qui ne sait rien des questions de genre, des questions de féminisme, des questions menstruelles.
Comprenez-vous les réactions de certains passants au sujet de vos collages ? Je pense notamment à la passante qui jugeait la serviette hygiénique pleine de sang “dégueulasse”
Ndrame : Ça m’a fait rire, je trouvais cette réaction assez drôle, car ce n’était pas du sang, juste de la peinture rouge. Je n’ose pas imaginer si j’avais utilisé du vrai sang. C’était juste l’image d’une serviette ensanglantée qui créait cet agacement. En y repensant, j’ai trouvé la réflexion de la passante très triste, car ça veut dire qu’elle a intériorisé tellement de dégout envers elle-même, envers son propre corps.
Élodie S.: Le collage qui a été le moins bien reçu a été la “Femme maison”, d’Anne-Laure Maison, car il a été collé à proximité d’une église. On ne s’y attendait pas du tout. Le fait que ce soit une femme nue, a rendu le collage irrecevable pour certains passants. Ce qui est étonnant dans la mesure où Anne-Laure Maison utilise des images qui sont déjà des images publicitaires, qu’elle recompose autrement.
Et le fait d’arracher certains collages, est-ce une réaction recevable pour vous ?
Élodie S. : On se demande à quel moment un collage embête tellement les gens qu’ils puissent en venir à l’arracher. Nous sommes retournées avec Charlotte sur les lieux de certains collages, notamment ceux du Collectif 2%. Très souvent, il n’y avait plus les plaques aux noms féminins collées par les activistes. C’est dommage, surtout qu’elles le faisaient hyper proprement, en dessous de la plaque d’origine.
Ndrame : Moi, je l’accepte. Je sais qu’à partir du moment où on donne quelque chose à la rue, cela ne nous appartient de toute façon plus. Ce n’est pas un cadre posé dans un musée ou une galerie. Je sais que je n’ai aucun pouvoir dessus. J’accepte tout type de réaction, même si je me demande parfois pourquoi on va arracher mon collage et pas la pub sexiste d’à côté.
Commentaires
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héroïnes de la rue
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Héroïnes tout court, les femmes sont des héroïnes
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Superbe web-série, elles sont belles et fortes!
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