Une transhumance urbaine pour défricher la question de la nature en ville

Échappée
le 22 Oct 2022
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Ce mercredi l'association Germ' organisait une mini transhumance dans le 11e arrondissement. L'occasion de discuter de la place de la nature en ville et de continuité écologique. Mais aussi de s'évader du tumulte de la ville, le temps d'une balade.

Le troupeau dans ses nouveaux quartiers, au Grain de la Vallée (11e). Photo VA
Le troupeau dans ses nouveaux quartiers, au Grain de la Vallée (11e). Photo VA

Le troupeau dans ses nouveaux quartiers, au Grain de la Vallée (11e). Photo VA

“Le plus gros danger, ce sont les chiens, si vous en voyez un qui sème la panique dans le troupeau… attrapez-le ! Pour le loup, on se débrouillera.” Arthur Aude fait de l’humour, mais le jeune berger de 24 ans n’est pas rassuré. C’est la première fois que son petit cheptel de 11 moutons va se déplacer sur une aussi longue distance. Et il ne s’agit pas ici de rallier une bergerie depuis des pâturages de haute montagne. Ce “coup de poker”, comme il le décrit lui-même, démarre à la friche naturelle de la Denise, dans le 11e arrondissement de Marseille, où paissent d’ordinaire ses bêtes. Il doit s’achever au Grain de la vallée, un tiers lieu dans une autre friche, à plus de trois kilomètres de là.

Arthur, le propriétaire des moutons, Laure et Antoine, de l’association Germ’, expliquent comment la marche va se dérouler. Photo : VA

“Avec les moutons, ça peut être sport. On va devoir bloquer la circulation”, prévient le jeune homme devant une bonne soixantaine de personnes venues assister à cette transhumance d’un nouveau genre. Organisée ce mercredi par l’association Germ’, qui œuvre pour la gestion écologique et la renaturation des milieux, l’événement a pour but de valoriser “les corridors écologiques”, parler de la place de l’animal en ville et de la biodiversité en général. En ce jour de pause scolaire, nombreux sont les enfants, accompagnés de leurs parents ou grands-parents, qui se sont déplacés pour l’occasion. Ni une ni deux, le troupeau à quatre pattes s’élance sur un chemin de traverse, suivi de près par celui, plus nombreux, à deux pattes.

“Une forme d’enchantement”

Le troupeau passe ensuite dans une petite clairière. Le mois d’octobre n’a pas encore laissé la place à l’automne et de petites fleurs jalonnent le trajet, butinées par les derniers papillons jaunes de l’année. Une parenthèse dans le temps et la ville qui ne tarde pas à rappeler son agressivité. Impossible de ne pas traverser une route dans ce secteur. Armés de rubalise et de panneaux explicatifs, des membres de l’association Germ’ doivent couper la circulation d’une départementale. Inévitablement, ceux qui ferment la marche se font klaxonner par les automobilistes, bien loin du rythme pastoral, au volant de leur bolide.

Les rubalises sont nécessaires pour stopper la circulation. Photo : VA

L’association Germ’ dresse l’état des lieux de la biodiversité urbaine . Elle cherche à assurer la continuité écologique : la libre circulation des organismes vivants à travers la ville.

“C’est incroyable !”, réagit Zoé Hagel face à ces manifestations d’impatience quasi immédiates. Jusqu’à cet été, la jeune femme était enseignante-chercheuse en urbanisme et aménagement de l’espace à l’université Aix-Marseille. Sensible aux questions de nature en ville, elle est désormais “à la recherche de nouveaux horizons” et souhaiterait “passer de la théorie à la pratique”. Pour elle, ce genre de petites actions ont leur importance. “Je réfléchis beaucoup sur comment agir au quotidien et redonner du pouvoir aux citoyens. Ces actions peuvent permettre aux habitants de se rendre compte que ce qui semble inéluctable ne l’est pas forcément”, observe celle qui a participé à la fondation de l’association organisatrice. Ce trajet, espère-t-elle, permettra aux participants de s’ouvrir à une nouvelle vision de la ville, “de regarder l’espace différemment, dans une forme d’enchantement”.

“Chercher la continuité écologique”

La rubalise suit le troupeau. Animaux comme humains ont du mal à se cantonner au minuscule trottoir qui longe l’axe routier très fréquenté. La cadence s’accélère et le troupeau bifurque. L’Huveaune se dévoile entre les feuillages et l’on emprunte, à la queuleuleu, un corridor étroit entre deux murs en pierres anciennes. Le dénivelé se fait ressentir chez les plus âgés. Comme dans un voyage très bien organisé, une petite prairie apparaît au sommet de la côte. L’occasion parfaite pour brouter un peu d’herbe fraîche et reprendre son souffle. Tandis qu’Arthur ne quitte pas les moutons des yeux, Laure veille à ce que tout le monde se sente bien.

Courte pause imposée par les moutons durant la balade. Photo : VA

Elle fait partie des membres actifs de Germ’ et décline les objectifs et actions de l’association : “À terme, nous aimerions influer sur la loi, les schémas régionaux. Pour le moment, nous réalisons des études pour la Ville et la métropole sur les friches naturelles, nous cherchons la continuité écologique, comme ici, sur le bord de la route des Camoins, le long de l’ancien chemin de Saint-Menet où l’on trouve des affluents de l’Huveaune et tout un cluster d’éléments naturels”, explique-t-elle. Pour ce faire, l’association Germ’ mise sur l’action de terrain. “Nous sommes dans une forme de dynamique constante, presque opportuniste. Quand on s’aperçoit que notre action prend quelque part, on fonce.” Une méthode qui, selon les membres de cette association, fait défaut au niveau des pouvoirs publics.

“La trame verte et bleue n’existe pas”

“Il y a un décrochage entre le terrain et les schémas politiques. On parle beaucoup de la trame verte et bleue, mais elle n’existe pas”, conclut Laure avant de relancer le mouvement de la marche. Lancée par l’État en 2016, cette démarche vise, selon le site du gouvernement, à mettre en cohérence un certain nombre d’acteurs et de plans afin de “reconstituer un réseau d’échanges pour que les espèces animales et végétales puissent, comme l’homme, circuler, s’alimenter, se reproduire, se reposer… et assurer ainsi leur cycle de vie.” Un vaste chantier, basé pour le moment sur une déclaration d’intention et censé prendre ses racines dans les SCOT, SRADDET et autres PLU qui constituent les schémas et plans d’aménagement du territoire géré à différents niveaux du territoire par les collectivités.

L’avenir de la friche de la Denise, où les moutons d’Arthur ont élu domicile, dépend de ces acronymes barbares. Sur le plan local d’urbanisme (PLU), elle n’a pas le statut de zone à urbaniser, mais n’est pas pour autant protégée. “On ne sait pas ce qu’ils veulent en faire”, s’inquiète Martine Tusa, habitante de la résidence mitoyenne, venue faire la balade avec ses voisines. Il y a 10 ans, la bande de copines a monté un collectif pour protester contre un projet de zone artisanale sur cette friche qui appartient désormais à la mairie. Aujourd’hui, l’avenir de la friche, qui ressemble presque à un parc, semble suspendu.

“L’ambition et la capacité à la réaliser”

Si l’objectif de la journée est de rallier la friche de la Denise, propriété de la mairie, à celle du Grain de la Vallée, l’association Germ’ se penche également, dans le cadre d’une convention avec la mairie de Marseille, sur deux autres lieux : la friche à Saint-Menet (11e) et la campagne Gabriel (12e)*. La semaine dernière, Jérémie Fremont était justement dans cette dernière pour y organiser des ateliers avec les riverains. Écologue de formation, il est responsable de l’animation dans l’association. Son but ? Partir des usages constatés sur le terrain pour tenter de les intégrer à des projets en faveur de la nature. Des projets, qui, dans l’idéal, seront portés par les pouvoirs publics. Si la mairie de Marseille affiche la volonté de mettre en place une politique écologiste, Germ’ espère pouvoir l’aider à l’appliquer concrètement.

Les membres de l’association sont obligés de faire de la pédagogie pour calmer les automobilistes. Photo : VA

“Il y a l’ambition, et la capacité à la réaliser. Nous, où on se situe là-dedans ? Nous sommes pour le moment dans une phase de recherche de partenaires et d’actions de terrain”, explique le botaniste, en passant devant un immense chêne, probablement centenaire. “Pour le moment, on prépare le terrain. L’idée n’est pas de phaser comme les projets institutionnels qui peuvent être hors sol, mais d’apprendre en marchant”, poursuit-il. Comment l’homme, mais aussi les espèces animales et végétales, s’approprient les espaces naturels en ville ? Julien Baret, un autre membre de l’association interpelle Jérémie. L’ingénieur écologue, également botaniste, a observé une espèce végétale invasive dans cette forêt de chênes. Les études réalisées par Germ’ pour la mairie prennent aussi la forme d’un inventaire animal et végétal. Et la liste est longue.

“À Marseille, il ne manque pas grand-chose”

Nous avons à Marseille un couloir naturel exceptionnel avec les Calanques, la vallée de l’Huveaune, la zone Natura 2000 d’un côté et, de l’autre côté, le massif de l’Étoile et la rivière des Aygalades. On a tout ce qu’il faut pour être cohérent.

Jean-Marie Dugast, administrateur du tiers lieu du Grain de la Vallée

“Nous sommes dans une forme de transmission, d’apport de connaissance technique sur les friches naturelles, qui ne sont pas urbanisées ou pas urbanisables, explique Julien, tandis que nous crapahutons dans les cailloux d’un chemin pagnolesque. Nous proposons de gérer de manière plus écologique ces espaces.” Les initiatives motivées par la protection de la nature ne manquent pas, mais parfois, explique l’écologue, elles n’ont pas de fondements scientifiques. “Les conseils de Germ’ ont été précieux pour éviter ça”, raconte à son tour Jean-Marie Dugast, administrateur du tiers lieu du Grain de la Vallée, où nous arrivons bientôt. Le pré que découvrent ici les moutons, où un enclos les attend, sent bon le fenouil. Ils y prennent leur quartier sous les applaudissements du troupeau d’humains.

“Nous avons à Marseille un couloir naturel exceptionnel avec les Calanques, la vallée de l’Huveaune, la zone Natura 2000 d’un côté et, de l’autre côté, le massif de l’Étoile et la rivière des Aygalades. On a tout ce qu’il faut pour être cohérent”, analyse le maître des lieux, qui est aussi composteur et apiculteur amateur. “Il ne faut pas grand-chose pour les espèces sauvages reprennent leur droit, on en voit parfois dans des jardinières”, abonde Julien en regardant une haie dans laquelle un frelon asiatique attaque un frelon européen. À quelques mètres de là seulement, c’est un autre bourdonnement qui se fait entendre. Depuis la passerelle qui permet de rejoindre la gare de la Penne-sur-Huveaune, l’autoroute A50 rugit. Annonçant la fin d’une parenthèse enchantée.

*Modification du nom de la friche sur laquelle Germ’ travaille dans le cadre d’une convention avec la mairie faite le 25/10/22

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Commentaires

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  1. Sylvain Sylvain

    Belle initiative! C’était super d’y participer, et c’est bien de voir les choses bouger concrètement dans le sens de la défense de la nature!

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  2. Patafanari Patafanari

    Voir le documentaire « Des moutons et des hommes » du réalisateur suisse d’origine algérienne Karim Sayad. Des moutons et des hommes dépeint les relations tumulteuses de Samir et Habib avec leur troupeau, qu’ils traitent à la fois tendrement (ils les caressent, les nourrissent, les lavent…) et avec la violence qui accompagne les rituels (les combats et, dans des cas plus extrêmes, les sacrifices). Pas pareil que la ballade des sympathiques sexagénaires marseillais avec le conférencier et le jeune berger et ses quelques bêtes.

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  3. Eric Broneer Eric Broneer

    Campagne Gabriel dans le 6e arrondissement ? C’est plutôt la mairie du 6e secteur, soit le 11e et 12e arrondissement non ?

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