Une filiale d’EDF condamnée à réintégrer un travailleur handicapé licencié pour inaptitude

Info Marsactu
le 7 Juin 2023
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Martin Serre, embauché en 2017 par RTE à Marseille avec le statut de travailleur handicapé, a obtenu de regagner son poste après cinq ans de procédure devant les prud'hommes. Les juges ont estimé que la mesure était discriminatoire. Une décision rare, voire inédite.

Un des bâtiments de RTE à Marseille, dans le 8e arrondissement. (Photo : Google street view)
Un des bâtiments de RTE à Marseille, dans le 8e arrondissement. (Photo : Google street view)

Un des bâtiments de RTE à Marseille, dans le 8e arrondissement. (Photo : Google street view)

Il n’a pas caché sa joie le 26 mai dernier. Martin Serre, recruté chez RTE en 2017, et licencié pour inaptitude l’année suivante, fait de nouveau partie des effectifs. En effet, les juges de la chambre sociale de la cour d’appel d’Aix-en-Provence ont condamné la filiale d’EDF chargée du transport d’électricité à réintégrer ce salarié au statut de travailleur handicapé après cinq ans de procédure. À leurs yeux, sa rupture de contrat représentait bien un caractère discriminatoire. L’entreprise doit lui verser 146 000 euros de rappels de salaire et 5000 euros de dommages et intérêts au titre de préjudice moral. Une décision inédite selon son avocate Léa Talrich : “C’est la première fois qu’une cour d’appel ordonne la réintégration d’un salarié handicapé après qu’il a été licencié pour inaptitude”. Une jurisprudence isolée pour le moment mais qui pourrait marquer les esprits, si l’entreprise ne prolonge pas la procédure en cassation.

Embauché comme technicien de maintenance le 1er décembre 2017 à Marseille au sein du pôle “Dispatching configuration des données” de RTE Sud-Est, situé boulevard Haifa (8e arrondissement), avec le statut de travailleur handicapé, il était chargé de faire le lien entre les dispatcheurs qui répartissent le courant électrique sur la zone de couverture et les agents de terrain. Son handicap ? Il est malentendant depuis toujours mais le médecin du travail l’a déclaré apte à ce poste avant son embauche “avec aménagement du poste de travail”.

Martin Serre a cru à la politique d’inclusion des salariés handicapés de RTE. En effet, l’entreprise n’hésite pas à faire la promotion de ses engagements en termes d’inclusion des salariés handicapés. Lorsqu’elle signe le manifeste pour l’inclusion des handicapés dans la vie économique, l’entreprise, via sa fondation, remet 20 000 euros à une ferme qui aide les autistes. RTE signe aussi un accord d’entreprise où elle s’engage d’ici à la fin d’année 2023 à avoir dans ses effectifs 4,5 % de travailleurs handicapés. Mais pour Martin Serre, le rêve n’aura pas duré longtemps. Âgé de 29 ans aujourd’hui, à l’époque de son recrutement, il s’agit de son premier emploi.

“J’étais devenu le mouton noir”

J’avais des difficultés au travail. J’avais du mal à faire remonter les informations. C’était devenu très difficile et j’étais devenu le mouton noir qui empêchait les autres de travailler en raison de mon handicap“, explique-t-il aujourd’hui, après plusieurs années de chômage.
Il remonte le fil des événements qui ont mené à son licenciement : “Lorsque RTE m’a envoyé chez le médecin du travail [en août 2018], il a découvert que j’étais dyslexique puis dysorthographique. Ajoutez cela à mes problèmes d’auditions, c’en était trop pour eux. Me déclarer inapte sous prétexte qu’ils ont découvert mes deux dys, c’est hypocrite car énormément de travailleurs en France ont des dys“.

Dans leur jugement, les conseillers de la chambre sociale soulignent que RTE n’a pas respecté les prescriptions du médecin du travail sur le point des appareils d’assistance sonore pour aider le jeune homme à entendre les informations. Et si ce n’est pas assez clair : “Il ressort […] que le matériel adapté avait été commandé. RTE ne justifie pas avoir pris les dispositions nécessaires pour assurer l’effectivité de la mise en place de ce matériel indispensable à Monsieur Martin Serre dans l’exécution de ses tâches”.

Licencié malgré un avis médical contesté

Lorsque le salarié passe chez le médecin du travail le 21 août 2018, ce dernier rend donc un avis d’inaptitude et précise que “l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi”. Comme la loi le permet, le technicien décide de saisir les prud’hommes de Marseille dans le délai de 15 jours afin de contester l’avis du médecin du travail.

Mais le 3 septembre 2018, il est convoqué à un entretien préalable en vue d’un licenciement. Le 19 septembre 2018, RTE met fin à son stage statutaire pour “inaptitude médicalement constatée et impossibilité de reclassement”, alors même qu’il a saisi les prud’hommes concernant l’évaluation.

Dans le cadre de cette procédure, les juges du conseil des prud’hommes de Marseille vont ordonner une expertise le 15 novembre 2018. Le médecin inspecteur du travail va contrôler la décision du médecin du travail déclarant Martin Serre inapte.

Le verdict est sans appel au point que par ordonnance du 27 mai 2019, les juges prud’hommaux annulent l’avis d’inaptitude du médecin du travail et jugent que ce salarié est apte à retourner travailler chez RTE à condition d’avoir un “soutien constant” ainsi que “des tâches à faible autonomie et d’une complexité modérée”.

Or, cela n’annule pas le licenciement car le fait de contester un avis d’inaptitude du médecin du travail n’empêche nullement l’employeur de licencier quand même le salarié.
Il faut donc retourner aux prud’hommes pour contester le licenciement. Ce que va faire Martin Serre le 17 juillet 2019, aidé de la CGT RTE et de son avocate.

Une première victoire suspendue par l’appel

Le 18 janvier 2021, c’est l’ascenseur émotionnel. Les prud’hommes marseillais vont ordonner sa réintégration avec un rappel de salaire de 46 369,12 euros. En revanche ils rejettent le caractère discriminatoire de son licenciement et le jugement n’est pas à exécution provisoire. En clair, en cas d’appel, la réintégration ne s’applique pas car il y a un effet suspensif. Et c’est le cas, puisque RTE va interjeter appel.

“En attendant je me suis retrouvé trois ans au RSA. J’ai dû retourner habiter chez mes parents car je n’avais plus d’argent pour me loger. J’ai cherché du travail pendant toute la durée de la procédure et je n’ai eu que des refus”, se désole le jeune homme. Avant d’enchaîner : “À l’audience, l’avocat de l’entreprise n’a cessé de dire que j’étais de mauvaise foi. La direction ne s’est jamais déplacée, moi, j’étais toujours présent”.

De quoi présager d’un retour difficile. Dans son arrêt du 26 mai dernier, la cour d’appel d’Aix-en-Provence estime que la rupture du stage statutaire de Martin est nulle et discriminatoire en raison de son handicap. Elle intime donc à RTE de reprendre le processus de reclassement de Martin. Un pourvoi en cassation de l’entreprise ne serait pas suspensif.

Retour difficile

“En clair, ils doivent me proposer trois postes. J’espère seulement qu’ils ne me proposeront pas des postes que je serai contraint de refuser pour qu’ils aient un prétexte pour me virer quand même”, s’inquiète le jeune homme.

David Dusconi, secrétaire général de la CGT RTE Sud-Est juge “inadmissible ce qui est arrivé à Martin”. Il s’est enquis du dossier auprès de la direction : “elle n’est pas décidée à le réintégrer et nous a confié avoir lancé des études pour se pourvoir éventuellement en cassation. De notre côté, on envisage de faire venir un huissier pour forcer la direction à le réintégrer. Martin n’est pas à l’abri que RTE lui propose des postes inadaptés afin de redémarrer une procédure de licenciement, on reste vigilant là-dessus”.

Contacté, le service presse de RTE confirme que “Martin Serre est réintégré dans l’entreprise. En lien avec la médecine du travail, RTE évalue les affectations possibles”. L’entreprise indique néanmoins réfléchir encore à la possibilité d’un pourvoi en cassation : “RTE est encore en train d’analyser la décision de justice. Aucune décision n’a été prise à ce stade”.

Dans sa réponse écrite, l’entreprise ne manque pas de mettre l’accent sur sa “politique Diversité ambitieuse avec un engagement fort pour l’inclusion des salariés en situation de handicap”, avec “sur la région Méditerranée (…) 34 salariés en situation de handicap pour lesquels un suivi personnalisé est réalisé, et cela, tout au long de leur carrière”. De son côté, Martin Serre se rassure comme il peut : “Si l’entreprise va en cassation et que je perds, j’ai fait ce que j’avais à faire et j’ai tout tenté”.

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