La grande rénovation de La Castellane n’en finit plus d’arriver
Parmi les cités qui attendaient leur rénovation de pied ferme, La Castellane n'est pas la dernière. Alors que des premiers travaux de démolition ont eu lieu en mai dernier, le projet final est toujours flou. Entre la lourdeur du processus, les tensions politiques et l'ampleur du défi, la cité n'a pas fini d'attendre son nouveau visage.
En mai, un habitant pose devant le bâtiment G avant sa destruction, sur la place de la Tartane. (LC)
C’était un jour de mai un peu gris et triste. La Castellane se retrouvait en une de l’actualité locale et au-delà, alors qu’on détruisait le fameux “bâtiment Zidane”, ou bâtiment H, une petite barre de 12 logements bientôt réduite en gravats. Un bout de rempart en moins à cette citadelle des quartiers Nord que les porteurs de la rénovation urbaine voudraient voir respirer à nouveau. Mais depuis, ceux parmi les 7000 habitants qui voulaient y voir le lancement de travaux pharaoniques en cascades ont été détrompés. La rénovation de la Castellane ne se fera pas en un coup de pelle.
Il faut d’abord voir qu’il y a, à ce jour, deux rénovations enchevêtrées l’une dans l’autre. La petite et la grande. La grande, c’est le projet de l’ANRU, l’agence nationale pour la rénovation urbaine. Le grand ménage est orchestré par l’État en partenariat avec les collectivités locales et les bailleurs pour remettre à neuf les quartiers et du même coup, la cohésion sociale. La Castellane, oubliée du premier programme qui a concerné nombre de ses voisines plus ou moins lointaines – Plan d’Aou, les Flamants, Picon-Busserine, etc. – prendra le train du programme suivant, le NPNRU, pour nouveau plan national de rénovation urbaine.
Le 12 décembre, l’adjointe au maire à la rénovation urbaine Arlette Fructus défendra les projets marseillais devant l’ANRU pour obtenir le lancement d’un protocole de préfiguration, c’est-à-dire la validation du projet en vue de lancer les études qui mèneront au projet global final. Le grand oral a pris du retard puisqu’il était initialement prévu en 2015. “Cela n’emportera pas d’investissements, mais des études qui vont être lancées, et après, on passera des conventions site par site”, précise Nicolas Binet, directeur de Marseille rénovation urbaine (MRU).
“Le grand projet, c’est pour plus tard, résumait en octobre Arlette Fructus. Pour Air-Bel et Castellane on a assez avancé en amont, dans un an, un an et demi, on pourrait avoir une convention” et donc commencer à préparer des travaux qui n’ont à ce jour pas de date de début. Aujourd’hui, c’est donc l’heure de la petite rénovation, qui consiste à réaliser des aménagements “en attendant”, effectuée avec “6 millions arrachés” au dernier moment du précédent programme ANRU, selon l’adjointe. Des réalisations plus éphémères, mais peut-être aussi plus foisonnantes. Elles consistent en des aménagements provisoires de la place de la Tartane et du parc de la Jougarelle. Des aires de jeux, de pique-nique ou de jardinage, pensés en concertation avec les habitants qui se réunissent au centre social depuis plusieurs mois. Les premiers aménagements devraient prendre forme dans les mois qui viennent [Lire l’encadré au bas de l’article].
Mais cette partie provisoire, aussi sympathique qu’elle paraisse, peine à faire oublier que la grande rénovation reste aujourd’hui encore une inconnue. Un point invariant est brandi depuis 2014 : ouvrir la cité en détruisant le bâtiment G (ce qui a été fait en mai, donc) et la tour K (ce qui, d’après le bailleur Erilia, prendra encore environ 2 ans le temps de finir les relogements des 90 familles y vivant). On y créera ainsi un grand mail qui permettra “d’ouvrir à tous la possible traversée de la cité”. Cela implique aussi, au vu de sa situation dans la cité, de détruire puis reloger le centre social. Autres objectifs affichés : la dédensification, en démolissant entre 200 et 300 logements sur 1250, une meilleure connexion aux transports et une “diversification urbaine” aux abords de la cité.
Depuis 2014, les sociologues, architectes et urbanistes arpentent la cité pour la diagnostiquer. Certains ateliers démarrés à l’époque ont déjà fini leurs cycles. Et pourtant, rien de précis n’en est jamais sorti. Ces mêmes experts sont tenus au silence par leur employeur, Marseille rénovation urbaine, pas pressé de rendre compte de l’avancée des réflexions. Par peur, dans une cité complexe, de donner l’impression d’imposer leur projet ou à cause de tensions plus politiques ?
“Les habitants ne sont pas dupes”
Au printemps, plusieurs événements ont montré que le dossier avance en terrain miné. En plus d’une attention médiatique très importante, tant quand il s’agit de faits-divers que lorsqu’une pelleteuse fait son entrée dans la cité, les acteurs politiques concernés ont montré qu’ils étaient eux aussi aux aguets sur ce dossier.
En mars, deux réunions publiques se sont succédé dans la salle polyvalente du complexe sportif de la Castellane. La première était un conseil d’arrondissement hors les murs organisé le 7 mars par la maire des 15e et 16e arrondissement Samia Ghali (PS) avec pour ordre du jour « La Castellane demain, quel projet pour la population ? ». Durant celle-ci, la maire de secteur et le député socialiste Henri Jibrayel avaient profité de la tribune pour dénoncer le manque de place laissée aux habitants dans le projet, attaquant directement Arlette Fructus, l’adjointe de Jean-Claude Gaudin chargée du dossier. L’absence de temps de parole libre et les règlements de comptes entre élus avaient déjà causé l’agacement d’une bonne partie du public.
La seconde réunion a eu lieu le 24 du même mois, organisée par le préfet et la Ville, représentée par la même Arlette Fructus, sur le même thème, mais sans avoir invité Samia Ghali, à son grand dam. Dans son sillage, des habitants mécontents ont perturbé le cours de la réunion qui s’est finalement tenue en plus petit comité.
S’ajoute, le mois suivant, le blocage autour du futur du centre social qui a causé le report de la destruction du bâtiment G. La maire des 15e et 16e arrondissements avait alors lancé un ultimatum au préfet, estimant qu’elle s’opposerait à la démolition tant que des réponses sur l’avenir du centre social ne seraient pas données. Les négociations entre la maire d’arrondissements, le préfet et la Ville ont ainsi retardé de près de quatre semaines la démolition, alors que le matériel nécessaire était déjà en place.
“Nous nous sommes mis d’accord sur le fait que nous nous rangerons tous aux conclusions de l’étude, commandée en janvier dernier, au sujet du centre social”, avait alors commenté le préfet délégué pour l’égalité des chances Yves Rousset, non sans une pointe d’exaspération contenue. Cela ressemble fort à une guerre de position entre deux élues municipales de bords différents, en concurrence sur ces terres depuis les municipales 2014. Parmi les acteurs du projets, ces bisbilles agacent : “S’il y a tensions politiques, je ne sais pas bien comment et sur qui ça pèse, mais je pense que ça lasse les habitants, qui ne sont pas dupes”, estime l’un d’eux.
“Absence de synergie et d’envie”
Pour un autre proche du dossier, c’est encore plus profondément que celui-ci s’est enlisé. “En un an et demi de réunions de préparation, on a à peine réussi à trouver un consensus sur l’éclairage public. Alors quand il est question de sujets primordiaux comme celui de l’emploi, c’est carrément tabou, peste-t-il. La sclérose qui touche le quartier, on retrouve la même à l’échelle de l’institution”. Et de décrire une “absence de synergie et d’envie” chronique, avec “des services qui se tirent dans les pattes” à toutes les occasions.
“Aujourd’hui, du point de vue des habitants, le [grand] projet est vide. On ne parle que du grand mail pour ouvrir. Pour eux, ça sert juste à faire rentrer la police”, conclut-il, en constatant que détruire un bâtiment avant de présenter un projet enthousiasmant n’est pas le meilleur signal qu’on puisse envoyer. “C’est un site où on ne nous donnait pas beaucoup de chances de prendre racine, tempère, toujours en off, un porteur de projet, mais le travail avec les habitants au centre social se déroule dans des conditions positives, constructives. Ce n’était pas une certitude.”
La Castellane, symbole de tous les maux des quartiers Nord, paralyserait-elle ceux qui veulent la guérir ? À moins qu’elle n’attire à elle trop d’aspirants à la gloire d’être celui qui aura gagné le combat. Les projets de rénovation urbaine sont pourtant pensés comme le pivot de “l’approche globale” qui doit réunir tous les acteurs publics – pouvoirs publics, bailleurs, opérateurs des transports, travailleurs sociaux, judiciaires, policiers – dans la lutte contre l’isolement qui frappe les cités, la délinquance et la pauvreté en ligne de mire. “Il y a un besoin d’aller plus loin avec les partenaires sur des questions qui dépassent juste le patrimoine : les commerces, l’insertion, les transports… Il faut se mettre en ordre de marche”, pose Géraldine Bourdin, responsable du renouvellement urbain chez le bailleur Erilia, à quelques jours de l’audition d’Arlette Fructus à l’ANRU. Une façon polie de dire que, jusqu’ici, c’est plutôt l’ordre dispersé qui a prévalu.
Actualisation du 19 décembre 2016 : Le bailleur Erilia tient à faire paraître cette précision concernant la parole qui lui est attribuée dans cet article : “Pour Erilia, la démarche de renouvellement urbain joue un rôle de catalyseur pour le territoire et le quartier de la Castellane. Nous sommes effectivement mis en ordre de marche avec l’ensemble de nos partenaires pour créer une dynamique positive autour de ce projet de renouvellement urbain”.
Les deux projets se sont construits au centre social de la Castellane, point névralgique de la cité. Des réunions d’information et de concertation s’y tiennent régulièrement. Les grandes lignes des aménagements de la Jougarelle ont été tracées lors des rencontres de l’Assemblée des habitants, organisées tous les deux mois sur financement de l’État. “Ce sera, sur deux hectares, un parc public avec une cinquantaine de parcelles ouvrières pour les habitants, des aires de jeux, une aire de pique-nique, un théâtre de verdure. On espère l’inauguration au premier semestre 2017″, détaille Nassim Khelladi, directeur de la structure, qui précise qu’un chantier de plantation d’une palmeraie et d’une oliveraie va démarrer ce lundi.
Pivot incontournable de toute l’action sociale sur le secteur, il se félicite de la mobilisation des habitants, qui pouvaient aussi assister à des “cafés-chantiers” pour inspecter le terrain ou encore à des réunions plus globales sur les thématiques prioritaires de la rénovation. “Les habitants sont ravis d’intégrer enfin l’ANRU, ils attendaient ça depuis 20 ans. C’est une bulle d’oxygène pour eux mais aussi pour nous, travailleurs sociaux. On se concerte, on fait remonter des projets avec du sens.”
Pour la place de la Tartane, les réunions organisées par le bailleur Erilia ont abouti à un projet semblable. “Il y aura trois places en cascade, avec au milieu un espace famille-enfants, en bas, près du centre social un lieu ouvert avec des gradins. Du côté du chemin de Bernex on réfléchit à des tables de pique-nique”, explique Géraldine Bourdin. S’y ajouteront tout de même quelques places de parking, point important pour les habitants qui expliquent régulièrement que le manque de places pour se garer en raison des travaux à donné suite à des pluies de verbalisations. Si les deux projets se ressemblent, Nassim Khelladi relativise : “Pour 7000 habitants, deux aires de jeux, ce n’est pas de trop”. Le cycle de réunions pour la place de la Tartane devrait bientôt toucher à sa fin, mais l’Assemblée des habitants va perdurer, puisqu’un poste de médiateur dédié au projet et financé par l’État est acté pour 2017.
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