[Document] Comment la métropole veut doper l’économie en misant sur l’attractivité
Après l'agenda des transports métropolitains, Marsactu a mis la main sur le grand dessein d'Aix-Marseille Provence en matière d'économie. Pour attirer les entreprises et les cadres qui vont avec, la métropole espère développer son attractivité mais reste vague sur les moyens de réduire les inégalités dans la métropole.
Le président de la métropole et sa vice-présidente en décembre 2016.
Tout juste nouveau-née, la métropole Aix-Marseille Provence n’est encore qu’une boîte noire d’où sort quelques quelques fumerolles communicationnelles (des publicités, un logo, un slogan). Au sein de la boîte, services et élus turbinent et produisent à intervalle régulier des “agendas”, feuilles de route de la nouvelle institution. En avant-première, Marsactu vous avait dévoilé les grandes lignes de l’agenda des transports métropolitains et son grand dessein de “Métro express” en cars.
Cette fois-ci, Marsactu a mis la main sur une présentation du schéma de développement économique de la métropole. Ce document de travail en date du 9 décembre est encore barrée d’une mention “à ne pas diffuser” dont nous avons choisi de ne pas tenir compte.
Dans la métropolisation en cours à l’échelle internationale, Aix-Marseille Provence se situe dans le ventre mou du classement. Elle dispose de quelques atouts : le premier port français, un tissu industriel encore performant, de belles pépites dans les bio-technologies, la micro-électronique, le numérique ou le tourisme.
Territoires fracturés
Mais à l’image d’un rapport mémorable de l’OCDE publié en 2013, le document fait le constat d’un territoire métropolitain très fracturé, avec des poches de grande pauvreté où le chômage domine notamment parmi les jeunes et des zones productives peu accessibles autrement qu’en voiture. La population y est aussi plus âgée avec 24,9 % de retraités contre 22,2 % dans les grandes métropoles françaises. Par ailleurs, le territoire repousse plus qu’il n’attire avec 12 500 départs en cinq ans, au profit de la région “et, plus faiblement du sud et l’ouest de la France”.
Le constat est connu de longue date : ce déficit est particulièrement sensible concernant les emplois de cadres. Les diplômés d’un niveau supérieur à Bac + 2 représentent 15,6 % des habitants au sein de la métropole contre 21,5 % à Toulouse et 19,6 % autour de Lyon. Résultat, les “cadres des fonctions métropolitaines” (métiers intellectuels, recherche et développement, etc.) sont moins nombreux ici avec 10,9 % de l’emploi contre 13 % dans les autres métropoles françaises, hors Paris. Il faudrait donc créer 8000 emplois de ce type pour rattraper le retard.
“Stratégie de disruption”
Face à cette situation, la vice-présidente de la métropole et présidente du département, Martine Vassal sort l’artillerie lourde sémantique dans l’édito qui ouvre le document : il s’agit de “changer de braquet”, de “niveau d’ambition” et miser sur les atouts du territoire pour le rendre plus attractif.
Tétanisé par les mauvais indicateurs socio-économiques qui nous sont rappelés chaque jour, maltraité par une presse nationale qui préfère entretenir les clichés plutôt que de venir observer ce territoire sous son vrai jour, découragés par le montant des investissements que nous n’avons pas faits, nous nous sommes enfermés dans une culture du rattrapage, une culture d’éternel challenger.
Il faut donc “une rupture” et comme Martine Vassal maîtrise la novlangue, “une stratégie de disruption”. En clair, elle propose de passer d’une stratégie de “rattrapage” à “une métropole de leadership”. Outre ce discours fort volontariste, l’élue métropolitaine se propose de prendre la vague de la révolution numérique en s’appuyant sur les atouts du territoire, capitaliser sur la présence des grands câbles sous-marins, miser sur les biotechnologies, construire “un territoire de référence dans les cleantechs” et accompagner l’émergence sans cesse remise à plus tard de la Méditerranée du sud pour devenir “leader sur les enjeux méditerranéens”.
Voilà pour “les ingrédients”, vient ensuite “la recette”. Rien de bien révolutionnaire dans cette nouvelle cuisine. Il s’agit surtout de passer à une “approche systémique” qui relie entre elles toutes les stratégies. Foncier, habitat, transports, grands événements… Tout doit être lié. “Même notre investissement dans la culture doit être concerté avec notre plan de développement du tourisme”, insiste Martine Vassal. Pour faciliter cette nouvelle approche, le maître-mot est la mutualisation des moyens. Au détour de l’édito, on découvre avec stupeur que l’ensemble des crédits dévolus à la promotion du territoire seraient “équivalents à ceux du Grand Londres”.
Le retour de l’alignement des planètes
Enfin, en touche finale, l’édito revient sur l’alignement des planètes politiques, “une chance historique” à laquelle la présidente du département dit consacrer “un part importante de [s]on énergie”. Et comme Jean-Claude Gaudin l’a déjà évoqué à la chambre de commerce, pour Martine Vassal, cet alignement comprend “la nouvelle équipe de la CCI mais aussi les syndicats patronaux”. Avec la première, la métropole veut mettre en place un “conseil de l’attractivité” en charge de la stratégie commune tandis que les seconds seront associés au sein d’un “Company advisory board”, sorte de conseil de développement dédié aux entreprises.
Une fois passé cet édito qui veut faire de la métropole la Californie du sud de l’Europe, le document décline cinq grands chapitres destinés à mettre en œuvre cette ambition d’ici 2021. Chaque secteur d’activité est décrit dans le détail, de l’industrie à l’agriculture en passant par la viticulture, le tourisme ou les assurances. Mais au-delà de ces piliers déjà connus de l’économie, la métropole veut s’appuyer sur six secteurs-clefs déjà définis par l’économiste Christian Saint-Etienne dans une étude commandée par la CCI, encore elle. Il s’agit de “l’aéronautique et la mécanique” (notamment autour du pôle Henri-Fabre et celui de Château-Gombert), “la logistique et le maritime”, “la santé” (entre les hôpitaux publics et les boîtes de biotechnologie), “les industries numériques et créatives” (avec The Camp en totem), “les énergies et environnement” (le projet Piicto à Fos, la Société des eaux de Marseille et Iter) et “le tourisme et l’art de vivre” qui comprend la culture, présenté comme un secteur de développement à part entière.
Il s’agit donc d’investir sur ces secteurs prioritaires et soutenir l’industrie, pourvoyeuse d’emplois tout en facilitant les relations entre la recherche, la formation et l’entreprise pour réaliser de “véritables hubs de l’économie de la connaissance”.
Les lois de l’attractivité
Au sein des cinq chapitres mis en avant par les services de la métropole, c’est l’attractivité qui est le maître-mot et commande toutes les autres actions, y compris le tourisme et l’offre culturelle. Il s’agit avant tout d’améliorer son image, faire connaître la métropole et attirer à soi des entreprises et les “talents”. Ce sont les “fameux cadres des fonctions métropolitaines” qu’Aix et Marseille peinent à attirer. La métropole planche donc sur un “dispositif d’accueil” pour permettre “la relocation” de ces cadres et de leurs familles. Une “cité scolaire internationale” doit permettre de renforcer cet attrait.
Outre une présence renforcée dans les grands salons internationaux, Aix-Marseille Provence veut miser sur le “sky center” de la tour la Marseillaise que la métropole va partager avec le World Trade Center. Elle déploiera un réseau d’ambassadeurs, ouvrira un bureau à Paris et un autre à Bruxelles en colocation avec la région.
Enfin, la métropole veut donner un coup de fouet à sa stratégie de communication en lançant une campagne nationale, destinée à redorer un blason écorné par l’image de la ville centre et le caractère brouillé d’une métropole à la naissance tardive. Le document met ainsi en avant la stratégie payante des autres grandes métropoles qui ont su associer leur nom à un domaine de compétence reconnu comme l’aéronautique à Toulouse ou la santé à Lyon. Il cite également les grands événements culturels comme les nuits blanches parisiennes ou la fête des lumières lyonnaise. On pense forcément au succès célébré de la capitale européenne de la culture et son avatar attendu en 2018.
Pour le foncier, l’avenir est à l’ouest
Enfin, la métropole veut faciliter la vie des entreprises. Mais elle bute à cet endroit sur un enjeu de taille localement : la maîtrise du foncier. En effet, les principales zones de “l’économie productive” sont saturées : 98 % des 260 sites d’accueil sont occupés. Or, la métropole recherche 1500 hectares pour répondre aux attentes des entreprises. Si on en croit une des cartes présentées en annexe, l’essentiel des réserves se retrouve autour de l’étang de Berre avec 500 hectares à l’ouest et 400 à l’est, ainsi que dans le pays minier (200 hectares). En revanche, à Marseille, l’essentiel du foncier disponible (200 hectares) serait le fruit d’une requalification forcément coûteuse.
Autre point noir, en 2009, 9 % seulement des déplacements se font en transports en commun et ce taux a peu progressé depuis. La mobilisation de ce foncier est donc un des enjeux d’actualité puisque la métropole espère mettre sur le marché 400 hectares d’ici 2021.
Le point noir de l’emploi
Le document se fait moins disert sur les leviers disponibles pour améliorer la situation de l’emploi pourtant présentée comme la priorité absolue. En effet, la métropole compte proportionnellement plus de personnes sans emploi que le reste de la région et les quatre autres grandes métropoles régionales françaises (Lyon, Toulouse, Lille, Bordeaux).
L’Insee évalue à 59 000 le nombre d’emplois à créer pour rattraper ce retard. La métropole espère voir créer “20 000 emplois d’ici 2030”, dans les secteurs de l’économie dite productive avec 7300 emplois liés aux grands projets d’innovation et d’investissement dont “2500 pour la logistique portuaire” et 3500 pour les différentes composantes du projet aéronautique Henri-Fabre.
Pour le reste, la métropole compte également sur le développement continu l’économie dite “présentielle”. Artisanat, commerces et services à destination des habitants, elle représentait 43,3 % de la somme totale des emplois en 2014. Levier de l’attractivité, cette économie aussi appelée “domestique” est censée inclure “les plus fragiles” et donner de l’emploi au plus grand nombre via un dispositif de formation adapté. Le document évoque également la “silver économie” liée à la prise en charge des personnes âgées présentes en plus grand nombre qu’ailleurs. Former les jeunes non diplômés pour qu’ils s’occupent des vieux en surnombre, tout en attirant des jeunes cadres dynamiques pour chevaucher la vague numérique, voilà qui n’est pas de nature à réduire la fracture sociale du territoire.
Le document de travail en intégralité est à lire ici :
Commentaires
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Félicitations pour l’exercice de synthèse ! Mais quelle indigestion de franglais ! La “relocation” des cadres, c’est le bouquet, pardon, le top ! Mise à part l’irritation linguistique, je trouve que ça révèle la faiblesse d’une vision qui se prétend affranchie du complexe du “challenger” (bis) ou du rattrapage… mais qui ne trouve pas d’autres sources d’inspirations que l’hégémonie culturelle du business anglo-saxon.
Certaines des études qui sous-tendent cette “stratégie” sont de grande qualité, mais je suis plus sceptique quant aux lieux communs prétendûment innovants – pardon, “disruptifs”. Derrière leurs habits neufs, j’y vois la continuation, voire l’accentuation d’une politique qui se donne comme objectif de conformer le territoire aux attentes des détenteurs du capital (ce n’est pas un gros mot, c’est un synonyme factuel de “investisseurs”). Certes, les investissements sont indispensables et il faut attirer ceux qui ont l’argent, puisqu’il n’est plus question de “prendre” l’argent là où il est, par une fiscalité qui permettrait plus d’investissements publics. Mais les intérêts du capital sont-ils les mêmes que ceux du territoire et de ses habitants ? Jusqu’à quel point, à quelles conditions ?
prendre l’argent là où il est (si au moins on le “prenait” vraiment
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Bonjour, je n’avais pas lu votre commentaire avant de publier le mien, mais je constate que nous nous rejoignons : “je trouve que ça révèle la faiblesse d’une vision qui se prétend affranchie du complexe du « challenger » et “s’engager dans une course à la séduction avec une épine dans le pied (dont tous les acteurs connaissent l’existence), n’est-ce pas un abus de fierté ?”
Cdt
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Cette novlangue mâtinée de franglais est le nouveau langage des cagoles.
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Merci pour votre article et votre chapeau d’intro qui pose bien le problème « Pour attirer les entreprises et les cadres qui vont avec, la métropole espère développer son attractivité mais reste vague sur les moyens de réduire les inégalités dans la métropole ».
En effet si le chômage, la pauvreté, les inégalités au sein d’un territoire qui « repousse plus qu’il n’attire », l’insécurité (« …maltraité par une presse nationale qui préfère entretenir les clichés ») semblent faire partie du diagnostic établi par la Métropole, ces faiblesses (/swot) ne semblent pas traitées dans la stratégie envisagée. Un peu comme si la stratégie le développement économique de la Métropole pouvait s’affranchir de chercher à améliorer la situation sur ces sujets-là !
Il relève pourtant du rôle de la Métropole de veiller à ce que son développement soit harmonieux. En ne s’attaquant pas à ces/ses problèmes elle s’engage sur la voie de la facilité. Mais s’engager dans une course à la séduction avec une épine dans le pied (dont tous les acteurs connaissent l’existence), n’est-ce pas un abus de fierté ?
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Merci Benoît pour cet article. Par contre, suis-je le seul a avoir des problèmes pour visualiser / télécharger le document?
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“Tout juste nouveau-nee”, Aie! Permettez-moi de dire que “nouvelle-nee” se dit aussi. Ce n est pas un gros mot. On commence a dire dans les services de natologie “le bebe” et la ” bebee” . Je vois deja les crispations des lecteur.e.s. mais bon! Hier etait le 8 mars. Journee Internationale des droits des femmes. Et la lutte contre les stereotypes, y compris dans leur expression grammaticale c’est 365 jours sur 365.
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Pour faire un peu café du commerce j’ai noté avec intérêt l’allusion à la “Fête des lumières” de Lyon comme “référence” attractive don la métropole pourrait s’inspirer. Quand on sait que des quartiers entiers de Marseille sont plongés dans le noir dès la nuit tombée sans aucune raison ni explication, on trouvera l’évocation plutôt cocasse.
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Pour l’explication, je suggère de demander à M. Miron. Je vous la fais courte : “tout le monde n’a pas envie d’avoir de la lumière dans sa rue, c’est une question de responsabilité des parents”, etc.
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Ah M. Miron, un des excellents éléments du Gaudin Circus. Cependant au cirque, il existe les clowns tristes, ici nous nous avons les clowns pathétiques.
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D’autres que moi n’arrivent pas à télécharger le document de travail?
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Bonjour, voici un lien direct https://marsactu.fr/wp-content/uploads/2017/03/Agenda-du-développement-économique.pdf
Cela doit être dû au module de visualisation des documents. Nous allons tâcher de corriger le bug.
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