“Saint-Just, c’est fini” : après 17 mois d’existence, un incendie a fait fermer le squat

Reportage
le 9 Juin 2020
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Ouvert en décembre 2018, le squat Saint-Just, situé en face du conseil départemental, a hébergé des centaines de familles et mineurs migrants. Sous le coup d'une procédure d'expulsion, c'est finalement un départ de feu dans une pièce du bâtiment lundi matin, qui aura causé une évacuation certainement définitive.

Les familles ont été redirigés en bus vers deux gymnases (Photo : LC)
Les familles ont été redirigés en bus vers deux gymnases (Photo : LC)

Les familles ont été redirigés en bus vers deux gymnases (Photo : LC)

La banderole emblématique qui interpellait la présidente du conseil départemental voisin flotte toujours aux fenêtres, mais les habitants sont rassemblés à l’extérieur, sur les pelouses. Lundi matin à sept heures, un feu s’est déclenché au rez-de-chaussée du squat Saint-Just, bâtiment du diocèse occupé depuis décembre 2018 par des familles et des mineurs migrants. Le lieu savait qu’il vivait ses derniers jours, et les flammes, importantes mais rapidement maîtrisées n’auront fait que précipiter l’inéluctable. Une centaine de personnes – aucune blessée – ont été évacuées par les marins-pompiers. Ce sont les derniers habitants d’un squat qui aura vu passer des centaines d’âmes au fil des mois.

Devant le portail, au pied de l’imposante bastide, les marins-pompiers aident les familles à tirer valises, sacs et baluchons vers les bus à destination de deux gymnases des quartiers Nord. Beaucoup vivaient à Saint-Just depuis plusieurs mois. Au bord de la route, les affaires s’entassent et les militaires s’appliquent à utiliser leur plus bel anglais pour orienter et collecter des informations. Contre la grille, un jeune enfant se cache sous la capuche de son anorak, tandis que sa grande sœur adolescente s’inquiète de sa moyenne trimestrielle auprès de la bénévole qui l’accompagne dans sa scolarité. Des policiers empêchent les personnes extérieures de dépasser l’entrée du domaine et les membres du collectif qui y organisent le quotidien depuis des mois doivent parlementer, et rappeler qu’il ne s’agit pas d’une expulsion ordonnée par la justice, mais bien d’une évacuation en raison du danger, et qu’ils peuvent se rendre utiles.

Camara, 17 ans, a dans un grand sac son manteau d’hiver et ses claquettes en plastique, il a filmé toute l’évacuation. “Je ne crois pas qu’on va revenir”, admet-il en regardant la bâtisse où il a passé sept mois. Un autre jeune homme, lui aussi prénommé Camara aimerait bien pouvoir revenir prendre quelques affaires qu’il a dû laisser, sans se faire d’illusion. “On va prendre le bus, mais on ne sait pas vers où il va”, commente ce jeune d’origine sénégalaise qui parle aussi bien français qu’anglais ou italien. Il ne connaît personne à Marseille, si ce n’est son ami Mohamed. Originaire de Tanzanie, et âgé de 28 ans, il garde à ses côtés une petite valise, sur laquelle trône une paire d’imposantes baskets de marque, un peu élimées, qu’il prend soin de ne pas trop abîmer. Le duo aimerait bien quitter Marseille pour Gap, dont ils ont entendu parler.

La fin de plusieurs mois de litiges devant la justice

“Saint-Just, c’est fini”, lâche Mami, un des plus actifs membres du collectif qui aura porté le lieu à bout de bras. La justice avait tranché, il y a plusieurs mois, en faveur d’une expulsion des habitants sous six mois. La trêve hivernale prolongée jusqu’au 31 mai aura permis un long sursis, mais le diocèse était désormais dans son droit de réclamer un recours à la force publique pour récupérer ses murs. Dimanche, le collectif expliquait par communiqué avoir reçu un commandement de quitter les lieux mais rappelait qu’une saisine du juge des exécutions demeurait en cours. La procédure n’aurait pas eu pour effet de suspendre la précédente décision. Quelques heures plus tard, le feu aura réglé en quelques instants les différents litiges qui se jouaient devant la justice depuis maintenant un an.

“S’il y a péril, il ne pourra pas de nouveau y avoir une occupation. La structure a été endommagée par l’incendie, a expliqué la préfète déléguée pour l’égalité des chances, Marie Aubert, présente sur place. Nous allons recenser l’ensemble des familles, si elles sont en situation de vulnérabilité, elles seront prises en charge”. 

La cause du feu encore inconnue

Quant aux causes de l’incendie, elle restent inconnues. Aucun élément particulier n’est ressorti des premières constatations, confirme la direction départementale de la sûreté, chargée de l’enquête. Le feu a pris dans une pièce du rez-de-chaussée où étaient entreposés des dons divers, de la nourriture ou encore des outils, indique-t-on du côté du collectif.

Si la coïncidence de calendrier interroge forcément les militants, personne ne nie que les alertes avaient été maintes fois lancées. Le bâtiment était entretenu mais ancien, et longtemps surpeuplé. Ces installations électriques, notamment, causaient une forte inquiétude. Les marins-pompiers connaissaient d’ailleurs les lieux, qu’ils visitaient une fois par mois à titre préventif. “Les portes coupe-feu ont fait leur travail”, souligne d’ailleurs un de leurs porte-parole.

Les marins-pompiers ont aidé à évacuer le bâtiment après que les flammes ont été maîtrisées. (Image LC)

“Les dégâts sont très importants, ajoute Anne Giraud, membre du diocèse qui a suivi le lieu tout au long de l’occupation. Dans la partie touchée, le plafond s’effondre, tout a été trempé, c’est un vieux bâtiment. On ne pourra plus rentrer dedans malheureusement, les escaliers ont commencé à s’effondrer. Ce qui s’est passé aujourd’hui, cela fait des mois qu’on alerte dessus”.

Elle ajoute que le diocèse a “tout fait pour que ces personnes soient mises à l’abri comme elles le devraient” en sollicitant les pouvoirs publics, préfecture et département, au cours des mois écoulés, sans succès. En avril, c’est une action en justice intentée par Médecins du monde et Médecins sans frontière sur la base d’arguments liés à la crise sanitaire, qui avait permis de faire prendre en charge plusieurs dizaines de mineurs isolés par le département.

La procédure d’expulsion lancée revenait, selon Anne Giraud, à dire “que ça ne pouvait plus durer”. Au sein du collectif militant, où la fatigue et la lassitude sont fortes, certains comprennent, au moins en partie, la position du diocèse, qui a réussi, bon an mal an, à garder le contact avec eux. “Ils défendent leur bâtiment, on défend une cause”, sourit Mami.

Vers une nouvelle errance

En fin de matinée, 85 habitants du squat découvraient les gymnases mis à disposition par la Ville pour 48 heures. “La Ville de Marseille attend de l’État qu’il prenne au plus vite ses responsabilités afin que ces populations, dont il a la charge, accède enfin à des conditions de vie décentes”, indique un communiqué. Au gymnase Santi, l’un des deux réquisitionnés, vers midi passé, un couple de Nigérians n’avait pas mangé depuis le matin et s’inquiétait pour la suite.

“On souffre. Dans le gymnase, il fait froid comme dans un frigo. Nous sommes très fatigués”, confie l’homme. Le SAMU social devait démarrer la distribution de repas plus tard dans la journée. Non loin, une adolescente et sa mère, originaires d’Asie centrale, font quelques pas dans la cour. “On n’a pas vu les flammes mais on a entendu beaucoup de bruit. On ne sait rien pour la suite, mais je crois qu’on ne pourra pas rester très longtemps ici”, balbutie dans un français sans accent Albina, qui est scolarisée en 6e. Sa mère lui demande de traduire : “tous nos documents sont restés là-bas”. Elles vivaient toutes les deux au squat depuis un an, et ont reçu une réponse négative à leur demande d’asile.

Une jeune fille et sa mère d’origine kirghize, dans la cour du gymnase Santi (Image LC)

“Ca fait mal de les voir là-dedans, après 17 mois à vivre ensemble, commente Mami qui s’est rendu sur place et a dû de nouveau parlementer pour pouvoir voir les familles et “les rassurer”. Certains jeunes hommes avaient déjà rejoint le centre d’hébergement Forbin lundi soir. “Si l’idée c’est juste de les disperser dans la Ville, on n’a pas besoin de l’aide de l’État”, souffle le militant. La préfecture n’avait pas communiqué, lundi soir, au sujet de l’hébergement qui sera proposé sur le long terme. Mais le collectif ne s’attend pas à des miracles, les places en centre d’hébergement pour demandeurs d’asile et migrants étant en permanence saturées. Pas de doute, d’ici quelques jours ou semaine, ils donneront aux familles des rendez-vous dans un prochain squat à naître.

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