Risque inondation : la bataille de l’Huveaune
Approuvé par le préfet fin février, le plan de prévention du risque inondation de l'Huveaune a donné lieu à une négociation serrée entre la Ville et les services de l'État. Ces derniers sont loin d'avoir donné raison à l'ensemble des demandes municipales. Remontée du fleuve à la rencontre des points chauds.
Un sentier improvisé sur les rives du fleuve côtier. Photo : B.G.
Discret bras de fer au-dessus d’un fleuve. On pourrait ainsi résumer la bataille d’eau à laquelle se sont livrés la Ville de Marseille et l’État autour du plan de prévention du risque inondation (PPRI) de l’Huveaune. Pour planter le cadre, ce fleuve côtier prend sa source dans le Var, se jette dans la mer à Marseille, au niveau des plages du Prado. Régulièrement, il sort de son lit et provoque d’importants dégâts dans l’une des communes qui le bordent. Ce fut le cas en 1978 à Marseille mais aussi en 1935 et 1960 à Auriol, Aubagne et dans d’autres communes du pays de l’Étoile…
Pour prévenir ce risque d’inondation avec une régularité centennale (1 % de “chance” d’arriver chaque année), le préfet a prescrit un plan qui croise les données hydrologiques de fréquence, vitesse et hauteur de crue avec les enjeux urbains des zones traversées. Détaillé sous formes de plans assortis de règlements, ce PPRI a été soumis à concertation puis à enquête publique en 2016 avant d’être approuvé par le préfet en février. Or, cette dernière étape n’a pas été le dialogue apaisé que l’on aurait pu attendre de partenaires associés durant de longs mois à la construction de ce plan et de ses multiples zonages récapitulés ci-dessous (les explications sont dans l’encadré).
Comment fonctionne un PPRI
Un plan de prévention des risques inondations est d’abord constitué de cartes avec plein de couleur qui suivent les bassins versants du cours d’eau visé. Teintes et gradations définissent des zones soumises à règlements. Elles sont le résultat d’un croisement entre les données hydrologiques et les enjeux urbanistiques. En clair, selon les zones, l’enveloppe de la crue est bleue ou rouge selon la nature de l’aléa (vitesse et hauteur d’eau) et la forme de la ville que la crue traverse.
L’endroit où le risque est le plus fort apparaît en bleu foncé dans les zones situées en centre urbain (CU). Elle apparaît en rouge dans les zones moins denses, appelées “autres zones urbanisées” (AZU). En centre urbain, le PPRI autorise donc des constructions, avec des prescriptions précises. En rouge, c’est l’aléa qui prend le pas et la règle est l’inconstructibilité. Lorsque l’aléa est faible ou modéré, en AZU, cela passe en bleu clair et la constructibilité est soumise à prescription. Enfin, on peut également voir du violet qui correspond à une “crue exceptionnelle” où les prescriptions sont légères.
Jusqu’aux derniers jours de l’enquête publique, les fonctionnaires et élus de la Ville ont tenté de faire entendre leurs arguments et d’infléchir le document qui s’impose désormais à l’ensemble des documents d’urbanisme du bassin versant. Cela commence par un “avis réservé” soumis au conseil municipal d’octobre et cela se termine par plusieurs courriers et échanges verbaux musclés en décembre au moment de l’enquête publique.
“Dogmatique” et “inapplicable”
En effet, le rapport des commissaires enquêteurs comprend quelques avis tranchés et épithètes fleuris à l’égard du document concocté par les services de la direction départementale du territoire et de la mer (DDTM), autrement dit les fonctionnaires locaux du ministère de l’Environnement. La veille de la clôture de l’enquête publique, le 9 décembre, le directeur de l’urbanisme, Domnin Rauscher, reçoit les commissaires enquêteurs durant deux heures. Son audition est une charge sévère : “projet de type classique de verrouillage”, ce document “dogmatique” est complexe et par ce fait “inapplicable”.
En clair, le haut fonctionnaire reproche au PPRI de ne pas prendre en compte la nécessité de renouvellement de l’est et du sud marseillais en figeant fortement la constructibilité en bordure du lit du fleuve. Or, ce territoire comprend de vastes zones au tissu urbain peu denses et susceptibles d’évoluer. En imposant des limites aux constructions futures, le document contraint l’expansion urbaine à ces endroits.
“Incohérences”
L’avis du directeur général est appuyé par une lettre du maire. Datée du même jour, elle pointe “plusieurs niveaux d’incohérence”. Le principal grief concerne la distinction entre centre urbain (CU) et autres zones urbanisées (AZU) : “Cette dichotomie artificielle est absolument inopérante pour un territoire dont le véritable objet est le renouvellement urbain”, écrit Jean-Claude Gaudin.
Le ton et le timing ont été peu appréciés côté État et le préfet Stéphane Bouillon l’a fait savoir aux intéressés. La réponse est d’autant plus ferme que la Ville a été associée très en amont du projet. Cette “phase d’association” a duré de septembre 2014 au printemps 2016. Une période suffisamment large pour faire remonter d’éventuels remarques. Pire, la distinction que pointe le maire dans son écrit a été établie par l’agence d’urbanisme de Marseille (AGAM), ce que la DDTM se plaît à souligner dans sa réponse aux enquêteurs :
Cette phase de définition des enjeux a été conduite par l’AGAM, forte de sa connaissance poussée de l’agglomération marseillaise, et ce dans le cadre d’une association étroite avec les services de la Ville, à l’issue de laquelle le projet de carte des enjeux a été transmis par le préfet au maire de Marseille (courrier du 26 janvier 2015).
Mais la Ville a prévu une troisième lame dans sa réponse. Le même jour, l’adjointe à l’urbanisme, Laure-Agnès Caradec se fend d’une nouvelle missive qui reprend pour l’essentiel les remarques du maire et du directeur général. Elles sont accompagnées d’exemples précis où, selon la Ville, le zonage proposée par le PPRI est inopérant. Elle demande donc le reclassement de ces Autres zones urbanisées (AZU) en Centre urbain (CU) pour laisser la place à un renouvellement urbain non soumis à ces règles drastiques, notamment en terme de hauteur de plancher et surfaces. Une demande appuyée par les commissaires enquêteurs pour plusieurs de ces zones et, en particulier, le parc Chanot, le boulevard Michelet et le boulevard Fifi Turin à Pont-de-Vivaux. Dans le plan approuvé par le préfet, le 24 février, la DDTM a pris en compte ces remarques. Mais elles n’y a pas toujours répondu positivement.
En remontant le cours de l’Huveaune, de l’embouchure aux portes de Marseille, on peut suivre ainsi la manière dont les services de l’État ont pris en compte les remarques de la Ville – et d’autres acteurs – au moment de l’enquête publique.
Le Roucas-Blanc oui, les plages non
Marsactu l’a déjà évoqué, magnanime, l’État a accepté la demande de la Ville de faire sortir du zonage rouge le stade nautique du Roucas-Blanc. Le lieu est stratégique puisqu’il est censé accueillir où les installations olympiques des épreuves de voile en cas de victoire de Paris pour les JO 2024. En revanche, la DDTM a dit niet pour un passage en zone bleue “de l’ensemble des plages de Marseille”. “Nous avons répondu favorablement à la demande de la Ville pour le nord des plages [le Roucas-blanc, ndlr], indique-t-on à la DDTM. En revanche, au sud, il n’y avait pas lieu de le faire en l’absence de dynamique de projet. Il y avait le risque de faire de l’escale Borély un îlot isolé dans un espace très exposé au risque.” Il faut se souvenir que la Ville a la ferme intention de reconfigurer l’ensemble de ces plages en offrant au privé la concession de 20 % de ces surfaces. Le zonage du PPRI aura donc forcément une incidence sur l’emplacement de ces équipements et leur forme.
Une école en zone inondable à Clot Bey
La Ville n’est pas la seule à avoir fait part de ses inquiétudes. La société Pitch Promotion a également participé à l’enquête publique. En effet, ce promoteur a déposé un permis de construire pour un nouveau quartier de ville situé sur l’emprise de l’ancien siège de la RTM, avenue Clôt-Bey. Situé non loin de l’Huveaune, le site est marbré de bleu foncé et de violet. Or, Pitch promotion doit y construire “plusieurs centaines de logements, un groupe scolaire, une crèche, une résidence senior et des commerces”. Pour le promoteur, le classement en “aléa fort” de parties de cette parcelle lui interdit de construire l’école et la crèche. Ces remarques, relayées par Laure-Agnès Caradec, n’ont pas entraîné un changement de zonage mais des assurances : “L’ensemble de ce secteur est classé en centre urbain, répond la DDTM. Cela permet justement de construire des établissements sensibles dans des zones où le risque est avéré. La Ville a largement matière à justifier le fait que ces établissements sensibles doivent être réalisés à cet endroit.”
L’exception du quartier Vélodrome
Dans son courrier, l’adjointe à l’urbanisme, Laure-Agnès Caradec a soulevé le cas particulier du parc Chanot. Adossé au nouveau quartier du stade Vélodrome, cette zone paraît correspondre pleinement aux enjeux d’un centre urbain. Dans la première mouture du PPRI, une vaste zone rouge apparaissait pourtant en plein milieu du parc de expositions. Or, la Ville a pour projet de reconfigurer l’ensemble de la zone dans la perspective du renouvellement de la concession qui la lie à la Safim, la filiale de Veolia qui assure l’exploitation du lieu jusqu’en 2019. Elle envisage notamment d’y implanter une Arena, complémentaire du stade Vélodrome pour y recevoir rencontres sportives et événements culturels. La Ville avait d’ailleurs soumis au vote une délibération en ce sens avant de la retirer au dernier moment, sans que l’on sache si l’arrivée du PPRI à la concertation publique dans la même période a joué un rôle dans ce retrait.
La DDTM a répondu aux attentes en faisant passer les enjeux d’aménagement avant les risques liés aux crues. “Il s’agit effectivement d’un secteur qui se densifie autour du stade”, commente-t-on à la DDTM. Cette densification avait d’ailleurs été soulevée par les riverains comme risquant d’offrir de nouveaux obstacles aux eaux de l’Huveaune. En effet, jusqu’à présent, les terres-pleins situés autour du stade étaient une zone d’expansion de crue dont le lit jouxte l’enceinte. Or, même si les nouveaux bâtiments construits prennent en compte ce risque d’inondation, ils perturbent forcément l’écoulement des eaux. Qu’en pense la DDTM ? “Cela concerne la police de l’eau et non pas le service prévention”, répond-on. Qui a en charge la police de l’eau ? “La DDTM mais c’est un autre service”, élude-t-on… En revanche, le centre commercial du Vélodrome devrait prévoir une butte à l’entrée de ses parkings souterrains pour éviter que l’eau n’y fasse cascade.
Michelet et Fifi-Turin restent en rouge
La Ville souhaitait également voir passer de rouge à bleu deux zones clairement définies en “autres zones urbaines” sur les cartes du plan de prévention. Il s’agit en particulier du sud du boulevard Michelet, à partir de la Cité radieuse de Le Corbusier. La Ville estime que cet espace relève d’un centre urbain. “Non, rétorque la DDTM qui persiste dans son choix. Cela ne correspond pas aux critères de ce zonage. Il s’agit essentiellement d’une zone résidentielle beaucoup moins dense. Encore une fois, cette proposition de zonage a été faite par l’Agam.”
Trois zones d’exception
Le PPRI définit trois espaces stratégiques de requalification (ESR) où les enjeux de renouvellement urbain sont importants tout comme le risque d’inondation. À Marseille, cela concerne le noyau villageois de Saint-Marcel (12e), la cité de la Gardanne (11e) et la Capelette (10e).
Même réponse pour le boulevard Fifi-Turin, situé entre la Capelette et Pont-de-Vivaux. Dans son courrier, le maire citait cet exemple pour souligner le caractère péremptoire du zonage : “Le côté pair est en centre urbain. Le côté impair en autre zone urbaine”. La dichotomie persiste dans le document approuvé. “Le long de ce boulevard, vous avez d’un côté une zone résidentielle et de l’autre une zone d’activités. Le zonage correspond à ces deux typologies différenciées”, constate la DDTM. Si les nombreux antiquaires situés côté droit du boulevard quitteront un jour le quartier, la Ville n’a pas encore de projet permettant de justifier la mise en place d’un espace stratégique de requalification comme à la Capelette.
Le futur parc de l’Huveaune
Ce document n’est pas que contraintes, pilotis, plancher à 2,2 mètres et “transparence hydraulique”. Il offre tout de même ça et là quelques ouvertures. Ainsi, dans le cadre de l’espace stratégique de requalification du noyau villageois de Saint-Marcel, la Ville prévoit de réaliser un parc fluvial dont la première étape serait réalisée dans ce quartier. Le rapport de présentation du plan de prévention mentionne bien la possibilité que cet espace vert soit le premier maillon d’un “parc linéaire potentiel d’ampleur métropolitaine le long de l’Huveaune”. Cet aménagement permettrait d’élargir le lit du fleuve et donc de “freiner la vitesse d’écoulement”.
Une transition toute trouvée pour évoquer un autre plan de prévention du risque d’inondation, à l’autre bout de Marseille. C’est d’ailleurs un des griefs de la Ville de ne pas avoir réalisé un plan “multi-risques” prenant en compte à la fois les eaux de ruissellement qui peuvent avoir un effet désastreux comme récemment dans les Alpes-Maritimes mais également les crues du second fleuve côtier marseillais : les Aygalades.
Or, dans ce secteur Nord, les enjeux ne sont pas moins forts. Le cours d’eau traverse une vaste zone d’activités avant de rejoindre les périmètres 1 et 2 de l’opération d’intérêt national Euroméditerranée. Le cœur du projet urbain du second périmètre, sis aux Crottes (15e) est justement un vaste parc permettant l’extension des crues. Mais le zonage, sa couleur et ses enjeux, est une donnée clef du développement de cette zone. “L’agence d’urbanisme et Egis Eau travaillent en ce moment à la fois sur les enjeux urbains et hydrologiques, répond la DDTM. Les premiers résultats seront connus cet été”. Bataille d’eau retour aux Aygalades ?
Commentaires
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“En clair, le haut fonctionnaire reproche au PPRI de ne pas prendre en compte la nécessité de renouvellement de l’est et du sud marseillais”.
Ben oui. Il s’agit d’un PPRI, pas du énième projet immobilier du clan Gaudin-affairistes.
Cet article illustre toute la médiocrité de cette municipalité, qui ne sait que bétonner encore et toujours pour engraisser ses amis promoteurs et acteurs du BTP.
L’Agam fait un bon travail de son côté, malgré les contraintes de son donneur d’ordre. Si ses travaux étaient suivis, Marseille aurait une autre allure.
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Depuis l’acte II des lois de décentralisation, les services de l’Etat sont constamment confrontés aux pressions des élus et notamment à Marseille. Comme sur les fonctionnaires municipaux, qui sont aux ordres depuis longtemps, les élus,— le plus souvent ignorants de toutes les règles de l’art et aveuglés par le bon sens — exigent des dérogations aux règlements nationaux en vigueur pour satisfaire leur électorat. La sécurité des biens et des personnes est reléguée au second plan. Quant à la sécurité publique,elle est ressortie seulement après chaque catastrophe naturelle; alors les élus, la main sur le cœur, accusent l’incurie de l’Etat… Les contraintes, sur les enjeux définis par les techniciens qui dressent le PPRI, touchent forcément aux enjeux privés et économiques des particuliers et des promoteurs. Aussi,les élus devraient être neutres et passifs lors de l’élaboration de ces documents. Alors, aujourd’hui la plus grande qualité demandée à ces fonctionnaires de l’Etat demeure l’aptitude à résister, surtout côté de la Canebière.
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C’est désolant de constater qu’une tragédie comme celle de La Faute-sur-Mer ne sert pas de leçon. Que cherchent ces élus et leurs services qui ne voient que des contraintes “dogmatiques” et “inapplicables” là où il est d’abord question d’intérêt général ?
La ville de Marseille ne manque pas de place pour se renouveler et se développer. Mais peut-être faudra-t-il admettre que ce renouvellement et ce développement doivent désormais moins passer par le bétonnage de tout terrain libre que par une densification de la ville existante, où il y a de quoi faire…
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